mardi 3 janvier 2017

Le cercle de libre pensée "La Prévoyance


LE CERCLE  DE LIBRE PENSEE DE BINCHE “ LA PREVOYANCE ”


                                                                                                                                         Alain GRAUX



Monsieur de la Palisse eût proposé de la libre pensée une définition aussi claire que définitive : la libre pensée est une pensée libre, c’est à dire affranchie des contraintes extérieures – sociales, philosophiques ou religieuses – susceptibles de peser sur la décision de l’individu. C’est là donner d’emblée pour le produit de la raison individuelle et de la liberté d’examen des autres opinions répandues dans le groupe et revendiquer en même temps la liberté d’expression comme un droit naturel imprescriptible.

Une telle conception devait inévitablement entrer en conflit avec toute autorité censée préserver l’ordre social et moral de la propagation des doctrines capables de l’affecter ou de saper les croyances généralement admises.

La libre pensée et le libre examen se sont donc toujours trouvés dans le parti de l’opposition[1].  Quelques personnes issues du mouvement libéral, et inspirées par les idées de libre examen prônées par l’Université Libre de Bruxelles, s’affichaient ouvertement anti-religieux. Le premier enterrement civil connu à Binche fut celui du notaire Willams[2], il fut célébré le 10 novembre 1882. C’était comme on disait alors un « affranchi du dogmatisme ». Lors de ses funérailles, les volets sur le passage du convoi étaient fermés comme s’il s’agissait de l’antéchrist[3].

La libre-pensée existait dans la région du Centre, c’est à La Hestre que fut fondé le premier cercle de libres-penseurs en Belgique, et déjà sous les auspices du socialisme rationaliste et athée. Jusqu’en 1885, ses adeptes étaient peu nombreux, à partir de cette date, avec la création du Parti Ouvrier, de sérieux progrès ont été faits dans toutes les communes du Centre par la libre pensée[4], on vit alors l’éclosion des cercles « d’affiliés »[5].

Binche connut une société de libre pensée qui développa ses activités de 1886 à 1960 au moins.

Très peu de documents attestent des activités de la société, si ce n’est une série de 409 testaments philosophiques rédigés, sous son auspice, de 1886 à 1960 (avec des lacunes) [6].

De ces testaments nous tirons les renseignements suivant

Lieu de rédaction :

Binche (364), Bray (1), Bruxelles (1) Buvrinnes (5), Bracquegnies (1), Epinois (3), Faurœulx (1), La Louvière (1), Leval-Trahegnies (1), Mont-Sainte-Aldegonde (1), Morlanwelz (1), Péronnes-lez-Binche (1), Ressaix (4), Wasmes (1), Waudrez (22).

 


Année de leur formulation


Cette statistique est un indice de fréquentation du Cercle :

1886 (1), 1891 (1), 1892 (2), 1894 (5), 1896 (4), 1897 (1), 1899 (1), 1900 (11), 1901 (3), 1902 (11), 1903 (12), 1904 (32), 1905 (36), 1906 (8), 1907 (7), 1908 (8), 1909 (2), 1911 (3), 1912 (29), 1913 (17), 1914 (24) , 1916 (4), 1917 (5), 1919 (4), 1920 (1), 1922 (2), 1923 (5), 1924 (2), 1925 (24), 1926 (6), 1927 (5), 1928 (13), 1929 (8), 1930 (6), 1931 (6), 1932 (9), 1933 (9), 1934 (4), 1935 (11), 1936 (13), 1937 (11), 1938 (9), …

1948 (4), 1949 (2), 1950 (1), 1951 (7), 1953 (1), 1954 (2), 1956 (1), 1960 (1).



Soixante-neuf de ces testaments philosophiques ont été rédigés par des femmes.

Ils sont libellés entièrement à la main jusqu’en 1938 au moins. A partir de 1948 ces testaments sont pré-imprimés et complétés à la main.



Professions


On relève parfois la profession des testateurs, en voici l’énumération :

Avocat (1), boulanger (1), clercs de notaire (2), cordonniers (2), docteur en médecine (1), négociant (1), tailleurs (2).



Teneur


L’acte est rédigé suivant le même moule :

Le testateur décline son identité, subsidiairement le lieu de son domicile. Il déclare vouloir être enterré civilement sans le secours d’aucun culte.

Il désigne deux personnes comme exécuteurs testamentaires suivis de leur domicile. Il les charge de faire respecter ses volontés.

Il lègue la somme symbolique de un franc (20 fr. à partir de 1948) à chacun de ses exécuteurs testamentaires et place le testament sous l’application de l’article 1035 du code civil[7].

Il signe et signale que l’acte est entièrement écrit à la main, suivi de sa signature et de la date de rédaction du testament philosophique.

L’acte est timbré pour authentifier l’acte[8].

Après 1948, l’acte pré-imprimé dit également :

Dans le cas où mes héritiers légaux n’exécuteraient pas ponctuellement le présent testament, dans le cas où mon enterrement ne serait pas purement civil et se ferait avec le concours d’un culte quelconque, je déclare les déshériter complètement de l’intégralité de la quotité disponible de tous mes biens meubles et immeubles, laquelle quotité disponible je lègue à Mr…..

Un seul testament n’a pas été rédigé dans les formes énoncées précédemment, et dénote des volontés nettement politiques, c’est celui de Laurent Vital[9], rédigé le 1er août 1950:

“ Voici mon testament.

A ma mort et après, le deuil ne sera pas porté, ni par ma femme, ni mes enfants, ni mes petits enfants.

Ni fleurs, ni couronnes.

Je veux être enterré comme un vrai libre penseur que je suis.

La musique qui m’accompagnera ne pourra jouer l’hymne réservé aux morts. Elle jouera les deux marches ouvrières que voici :

L’Internationale et la marche des Gueux.

Avant la mise au corbillard mon cercueil sera déposé sur le trottoir de ma demeure, et une vibrante Internationale sera jouée, non en sourdine, mais à pleins poumons, comme dans une manifestation.

Quand le cortège funèbre s’ébranlera, toujours à pleins poumons, la marche des Gueux, surtout pas de musique en sourdine.

Quand vibrera l’Internationale que tous ceux qui seront présents à mon enterrement chantent l’Internationale au son de la musique et à pleine voix. Quand on me descendra dans ma fosse, que j’appelle mon royaume unique, une vibrante Internationale accompagnée du chant sera jouée et chantée par tous les assistants.

Que mes enfants et petits enfants ne pleurent pas ma mort, mais qu’ils n’oublient jamais les 40 années de travail au fond de la mine, sous les dures lois des capitalistes.

A ceux qui s’occuperont de mes obsèques[10], je veux que tout ce qui est intégré dans mon testament soit scrupuleusement respecté.

Ce testament sera remis à mon fils Emile ou à défaut à ma fille Hermance, que le faire-part imprimé en 3 exemplaires soit remis à mes enfants à titre de mémoire de leur père.

Fait en tout état d’esprit à Waudrez le 14 août 1950

                                                                                                                                           Laurent Vital ”

J’ai vainement cherché des documents ou des personnes qui pourraient me donner des renseignements sur cette société locale disparue, les associations laïques n’en ont gardé aucun souvenir, si  les lecteurs de cet article pouvaient compléter mes informations, j’en serais très heureux, j’en ferais part dans un article complémentaire.




[1] TROUSSON Raymond, Histoire de la libre pensée des origines à 1789, Bruxelles 1993, p.5.
[2] Williams Florent, ° Binche 24-6-1827, y † 8-11-1882
[3] CAMBIER Joseph, Les souvenirs de l’Oncle Jo, dans bulletin SAAMB n°3, mai 1974.
[4] Histoire du socialisme et la coopération dans le Centre, par la Sociale, pp.24-25.
[5] MISONNE Octave, Une région de la Belgique, le Centre, Tournai, 1900, p.100.
[6] Ces testaments ont été déposés par M. Michel Andry à la bibliothèque de la Société d’histoire des familles à Mons (S.C.G.D.).
M. Andry  nous a aimablement  communiqué une copie de certains de ces documents qui nous a permis de rédiger cet article, qu’il en soit vivement remercié.
[7] L’article 1035 du code civil énonce que “ les testaments ne pourront être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur, ou par un acte devant notaires, portant déclaration du changement de volonté ”
[8] Suivant l’acte 1317 du code civil, l’acte authentique est celui qui a été reçu par des officiers civils ayant le droit d’instrumenter dans le lieu ou l’acte a été rédigé, et avec les solennités  requises.
[9] Vital Laurent, x Carlier Joséphine
[10] Il désigna comme exécuteurs testamentaires M. Leclercq et Jacques Frens, tous deux de Waudrez.

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