jeudi 5 janvier 2017

Ma Grand-Place


MA GRAND PLACE

                                                                                                                                    Fernand GRAUX

   Est-il possible de rêver encore au vingtième siècle ? C’est pourtant ce qui m’est arrivé la semaine dernière ; ayant mené mes fils à la bibliothèque communale et désirant trouver un instant de détente, je restai seul, vautré sur le siège confortable de ma voiture en attendant leur retour.

La chaleur ambiante aidant, je me laissai aller à une douce rêverie, laissant errer mon regard sur les gros pavés de la Grand-place.

Soudain, je m’arrêtai sur une anfractuosité qui ne me semblait pas inconnue, en l’espace d’un clin d’œil je retournais quelques quarante années en arrière, c’est qu’en effet, cette petite fosse était celle où, étant gosse, j’enfouissait ma casquette en guise de piquet de goal…juste en face du café dit « Deleuze », cela me fit sourire en songeant qu’une fois…désoeuvré comme un gamin peut parfois l’être, j’avais entrepris, tenez-vous bien, de compter les pavés de la place ; j’en étais à moins de cinq mille deux cente, je les marquais d’une croix de craie blanche quand survint intempestivement le « champête el petit Co » qui m’intima l’ordre illico de cesser mon manège jugé par lui insolite !

Je me revoyais aussi, couché à même la grosse pierre plate, usée par le fond de nos culottes, de la devanture du café que tenait mon père Firmin, par un de ces après-midi d’août si chauds à ce temps là, écoutant les rengaines jouées par le piano mécanique que vomissait la porte toujours largement ouverte de chez Paul Hoyaux, un cabaret d’en face.

Il me semblait voir déboucher de la rue de la Hure, la haute charrette à pains du père Trigallet, menée à toute allure  et, d’une main  sûre ; son long bras décharné brandissant une « escoride » menaçante, envers la grappe faite d’enfants, suspendus au marchepied arrière de sa voiture cahotante…il ne fallait guère attendre pour voir réapparaître, débouchant de la rue du Cygne, son cheval retournant…seul ! et ar habitude à son écurie située chez « Sira » via les rues Notre-Dame de Lorette et Buisseret.

J’entendais comme dans un songe le bruit si caractéristique que faisait le bois sonore et clair des quilles pansues s’entrechoquant sous les coups des grosses boules en bois dur bordées de fer d »chirant l’air pur et calme de ces dimanches de 1928.

Ah ! Quelle impression que faisaient les terrasses  faites de longues tables et bancs descendant jusqu’au bas des trottoirs en face de chaque estaminet lors des ducasses ou réjouissances de la ville, il faisait bon vivre.

Je m’imaginais encore attendant au bas de la porte « de devant » la petite boîte métallique que me jetais mon père du haut du toit, dans laquelle il insérait la bague numérotée tirée de la patte du pigeon, bien souvent vainqueur. Il y avait une sorte de compétition entre les gamins de la place, fils de nombreux colombophiles, tel que : les Lelangue, les Gaillard, les Gressier, les Lebrun, les Boussart. C’était une course éperdue des gosses vers le contrôle qui se trouvait chez « el Poïe Godet », excusez moi de cet ancien sobriquet de monsieur Dupuis. Afin de grignoter l’ultime seconde qui aurait pu les faire vainqueurs !

C’était vraiment bon tout cela…jusqu’au carillon de l’hôtel de ville qui égrenant « Fanfan la Tulipe » me remémorait comment j’avais appris l’heure. Je les connaissais bien tous, ces airs tant et tant de fois entendus et…sur l’un de ces airs je me mis à murmurer les quelques vers que plus jeune j’avais  déjà esquissés :
D’sû l’garçon du p’tit Firmin
Que cos counissez sûr’mint
D’sû né à l’homb’ du cloquie
Qui s’estind d’su l’marquie…etc.

Quand soudain je fus tiré de ma torpeur par un coup sourd frappé contre la vitre de la voiture. Mes deux enfants me souriaient à travers le pare brise s’interrogeant sur l’air satisfait de mon physique, dû à ma petite méditation rétrospective.
Serait-ce vraiment présomptueux de ma part de dire que je rêvais de…ma Grand-place.


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