L’INDUSTRIE DE LA CONFECTION A BINCHE (1919-1980)
Alain
GRAUX
La relance
de l’économie après la première guerre mondiale
Le Frein que constitua la guerre 1914-1918,
n'empêcha pas la relance de l'économie. Les firmes de confection binchoise,
menacées par l'expansion des ateliers bruxellois de confections, envisagent la
modernisation. Le travail à cette époque
ne manque pas.
Alors, la confection des vêtements commence à se
fractionner au sein des usines, mais ce n’est que vers 1930 que furent créées
les premières usines mécanisées appliquant au secteur vestimentaire les
principes de la production industrielle
L’institut
de la confection
Après la première guerre mondiale, le directeur
de l'école industrielle, Mr Daloze, institua des cours pour -les chômeurs et
des conférences pour les tailleurs. En 1930, la Commission administrative de
l'école décida la création d'un comité de 4 patrons et de 4 ouvriers qui
s'occupera de la section coupe et couture. Il faudra attendre le 16 février 1937
pour que cette section devienne "l'Institut de la confection"[1].
Facilités
d’accès
Le recrutement nécessaire d'ouvriers et
ouvrières venant des villages voisins était facilité par la création de lignes
vicinales:
- Binche-Bersillies-l'Abbaye vers 1912,
- Binche-Anderlues le 4-7-1926
- Binche-Bray le 14-2-1931. Cette liaison
compléta la ligne Charleroi-Binche-Mons [2].
La
mécanisation à plus grande échelle
La mécanisation permit la baisse du prix de
revient et l'intensification de la production. 20.000 vêtements par semaine
s'exportaient vers la Hollande, la Suisse, la Norvège, la Suède. Cinq usines se
mécanisent entre 1937 et 1940, d'autres hésitent vu la proximité du second
conflit mondial.
Le travail à la chaîne permet l’organisation de
bancs de machines, consistant en une succession de tables de couture, de
machines à coudre et de presse. L’ensemble du banc effectue le vêtement en
entier.
La grève
de 1936
Le premier conflit entre les ouvriers et le
patronat binchois prit cours en juin 1936.
Le 20 juin 1936 le Collège du bourgmestre et des
échevins est réuni d'urgence:
Un comité de grève composé de MM. Finet,
conseiller communal, Garin, Browet et Devos, demande aux commerçants binchois
de fermer leurs magasins par sympathie.
Ces derniers sont représentés par le comité de l' « Union des commerçants binchois »: Jean
Constant, président; Jongen, trésorier; Bardiaux et Delattre.
Après la sortie des personnes prénommées, le
bourgmestre Derbaix reçut par téléphone, une demande de la "Chambre syndicale des patrons tailleurs"
sollicitant une entrevue.
Une délégation de celle-ci est reçue, elle est
composée de MM. Georget Hupin, président; Lucien Basselier; Elie Chevalier; Gérard
Deliège; Alfred Derave; Amédée Empain; Narcisse Gigounon; Henri Niedergang et Arthur
Traets.
Mr Hupin "exprime les regrets des patrons tailleurs que la liberté du travail
n'ait pas été respectée, et que mercredi matin 17 courant, les forces de police
aient été impuissantes à permettre aux ouvriers et ouvrières qui se
présentaient d'entrer dans les ateliers qui les occupent, malgré l'opposition
des groupes de grévistes qui barraient l'accès des établissements..".
Le bourgmestre exposa le détail de ses démarches
auprès de la gendarmerie et du gouverneur du Hainaut pour faciliter l'entrée
des usines, mais en fit remarquer le grand nombre et la dissémination des
ateliers.
Mr Hupin reconnut la carence de la gendarmerie,
il exposa " que les patrons
emploient un grand nombre d'employés (coupeurs et employés de bureaux) payés au
mois et qui ne se sont pas déclaré en grève. Les employés se présentent chaque
matin mais sont empêchés par les piquets de grévistes. Les traitements des
intéressés se montent à 75.000 Fr. par jour. Les patrons demandent si
l'administration communale se déclare en mesure de faire respecter la liberté
du travail".
Le bourgmestre ne put donner cette garantie et
les patrons se retirèrent[3].
Le 23 juillet 1936, le Collège reçut séparément
puis ensemble les délégués de la Chambre syndicale des patrons tailleurs, des
délégués des syndicats des employés et les délégués des syndicats d'ouvriers
tailleurs en vue de régler le conflit qui les divisaient. Après une discussion
qui dura quatre heures, les trois parties se mirent d’accord sur des
améliorations à apporter aux conditions de travail en attendant l'instauration
d'une commission paritaire qui sera sollicitée d'urgence.
Le travail devait reprendre le lendemain mais le
26 juillet 1936, le Collège fut de nouveau interpellé par les patrons qui
exposèrent que malgré l'accord signé la veille, les tailleurs avaient rejeté
les propositions patronales et qu'en conséquence les patrons avaient décidé de
rester sur leurs positions et de fermer plutôt leurs ateliers. On décida alors
de rédiger une circulaire à distribuer en ville donnant le compte-rendu de la
réunion de la veille et expliquant l'accord conclu[4].
Cette mesure calma les esprits des plus belliqueux et le travail reprit dans
les jours suivants.
L’accord conclu entre les membres de la Chambre
patronale et les trois syndicats était
le suivant :
Salaire minimum de 32 Fr. pour les adultes
masculins, par jour.
Majoration de 5% sur les salaires inférieurs à 5
Fr.
Minimum de 1,5 Fr. l’heure pour les ouvrières
après 3 semaines d’apprentissage.
Minimum de 2 Fr. l’heure pour les mécaniciennes.
Accord de principe sur le congé payé de 6 jours
Apprenties : 150 Fr. par mois
Coupeurs de séries : 950 Fr.
Locaux garantissant toutes les conditions de
salubrité et d’hygiène
Abandon de toutes mesures de répression pour
faits de grèves. Le comité de la Chambre syndicale des patrons a informé ses
membres qu’il a décidé de déduire ou de récupérer les heures perdues, pendant
les jours de grève, par le personnel coupeur, se référant en cela à une consultation
juridique qui estime qu’il y a rupture de contrat[5].
Le
recensement économique de 1937
Le recensement économique du 27 février1937
renseigne 92 firmes de confection pour hommes occupent 1801 personnes. A trois
firmes de vêtements pour hommes et dames sont attachés 21 personnes.
Sous
l’occupation allemande de 1940 à 1945
Au début de l'occupation allemande, un ordre de
réquisition fut lancé. Les tailleurs binchois se réunirent et se répartirent le
travail. Certains patrons ne travaillèrent que par les ordres de réquisition.
L'occupant procure du travail en salopettes, blousons ouatés etc. Toute la
ville travaille pour les Allemands, il faut bien vivre, un seul confectionneur
refuse de travailler, Georges Gigounon, son entreprise ne subsistera pas. D'autres
vécurent chichement, travaillèrent parfois dans la clandestinité.
La qualité médiocre des matières premières eut
pour conséquence néfaste l’usure prématurée des machines non fabriquées pour
façonner des produits de remplacement et d’autres étoffes ersatz[6].
Les confectionneurs binchois devront répondre de
leur collaboration économique au lendemain de la guerre, 300.000 mètres de
tissus sont saisis pour une valeur de 70.000.000 Fr. (12-23 novembre1944).
Nous ne nous attarderons pas sur cette période néfaste
de notre histoire nationale. On se rapportera utilement en ce qui concerne
l’industrie de la confection à l’étude de Françoise Lecrenier[7]
L'union professionnelle "Syndicat chrétien des tailleurs et
tailleuses de Binche et communes limitrophes" fut dissoute le 17
février 1942, elle cessa d'exister, faute de membres. L'acte est signé à cette
époque par le président Boudart et le secrétaire Pruniaux[8].
Le procès de tailleurs de Binche commencera en
mai 1945. Le jugement rendu en juillet 1945 par le Conseil de guerre de
Charleroi au procès des confectionneurs binchois qui avaient travaillé pour les
Allemands, avait été cassé par la cour de cassation. Il reprit le 12-4-1948
devant la cour militaire de Bruxelles.
Les
organisations patronales et ouvrières après 1945[9]
A la fin du conflit, la vie économique reprend. La
Chambre syndicale groupe alors 59 maisons de confection. 3 à 4.000 personnes y
sont occupées.
De nombreux organismes officiels et privés
virent le jour où revinrent à la surface: La Commission consultative des
employés; la Commission paritaire régionale; les patrons sont unis au sein de
la "Chambre syndicale de la
Confection binchoise" dont le président est Georges Hupin-Deblocq; les
ouvriers tailleurs chrétiens s'affilièrent à la "Centrale des ouvriers chrétiens de l'industrie textile de Belgique,
section vêtement", dont le responsable, Enoch Lecomte (1947), tenait
ses permanences rue des Archers[10]; les
ouvriers socialistes sont affiliés à la "Fédération générale des travailleurs de Belgique, Centrale du vêtement
et parties similaires", représentés par F. Liebaers.
Reprise
économique après 1945
L'actualité sociale sera à l'ordre du jour à
partir de la reprise des activités en 1946 jusqu'au moment où l'industrie de la
confection sera moribonde à la fin des années 70.
Dès 1945, la baisse de la main-d’œuvre qualifiée
força un bon nombre d'ateliers à se mécaniser.
Quinze firmes abandonnèrent le travail à
domicile:
En 1945: 3; en 1946: 5; en 1947: 4; en 1948: 3[11].
Le nombre et la cadence des commandes permettent
de les échelonner sur toute l'année (aucun ralentissement n'est en vue dans les
affaires) et les prix demandés, exigés et obtenus par les ouvriers à domicile
montent en flèche[12].
La
convention de 1946
Le 23 août 1945, patrons et syndicats adoptent
une convention réglant les conditions d'emploi au sein des entreprises
binchoises.
Les employeurs s'engagent à maintenir les
avantages accordés avant septembre 1939, même pour les ouvriers ayant changé
d'établissement, ceux qui ne les avaient pas obtenus obtiennent les mêmes
avantages. A partir du 1-5-1945 les coupeurs, échantillonneurs, apprêteurs,
magasiniers, etc. bénéficient d'avantages substantiels:
L'appointement mensuel fixe, 15 jours de congé
annuel, l'indemnité égale au traitement pendant le mois de maladie et un
préavis en cas de licenciement.
Cette convention définit en annexe certains
termes qu'il est intéressant d'examiner succinctement:
Le coupeur: celui qui trace et
coupe les confections d'après des modèles préétablis; celui qui crée des modèles.
L'échantillonneur: celui qui a fonction
d'échantillonner les tissus rentrés et d'en faire des collections étiquetées et
destinées à la représentation.
L'apprêteur: celui qui découpe les
fournitures nécessaires à la confection du vêtement entier. Par contre celui
qui découpe les doublures à la machine sous la responsabilité d'un contremaître
n'est pas considéré comme apprêteur mais comme ouvrier découpeur de doublure.
Cette convention définit aussi les barèmes
d'appointements pour les ouvriers, hommes et femmes, pour les apprentis, ainsi
que pour les employés de bureaux.
De plus elle définit en sept catégories, le
travail féminin dans les ateliers mécanisés.
Tout le travail des ateliers binchois sera ainsi
défini pour les années qui suivront l'après-guerre.
La grève
de 1946
Néanmoins une grève éclata le jeudi 10 octobre
1946 dans les ateliers mécanisés, à propos d'une révision à la hausse des
barèmes effectuée en août 1946 et qui n'avait pas été entérinée par la
Commission paritaire nationale, malgré le rappel Fréquent des syndicats.
Afin de mettre fin à ce conflit, la Commission paritaire régionale de Binche
décida qu'une avance serait payée et que tous les ouvriers intéressés seraient
consultés avec vote à bulletins secrets le lundi 14 octobre. La première
convention de salaire fut admise en Commission paritaire de la confection pour
hommes fut signée en fin octobre 1946.
Le
recensement industriel de 1947
En 1947, il y avait 78 usines dont 27 mécanisées
et 119 tailleurs à domicile[13].
La
Fédération Nationale de l’Industrie du Vêtement
Afin de donner une plus grande impulsion à
l'industrie du vêtement, l'Institut de recherches économiques du Hainaut, lança
une enquête le 13-2-1948, sur l'industrie du vêtement. Le bourgmestre de
Binche, Charles Déliège présidait la Commission d'enquête[14]. Le
résultat de l’enquête fut publié en marss la revue « Le Hainaut
économique »
Le 12-6-1948, afin de défendre leurs intérêts et
de maîtriser toutes les ressources et potentialités économiques, les patrons de
l'industrie du vêtement se groupèrent en une "Fédération nationale des industries du vêtement et de la confection »[15]. De
nombreux patrons binchois s'affilièrent à cette fédération.
La
concurrence hollandaise
L'activité des Binchois fut contrariée par les
accords Benelux, qui voient la Hollande concurrencer l'industrie binchoise, en
raison des salaires moins élevés qu'elle octroie à sa propre main-d’œuvre
Le coût de la vie est plus bas en Hollande qu’en
Belgique, les charges sociales sont
minimes dans ce pays
En conséquence les prix de revient et de vente
sont un tiers plus élevés en Belgique qu’aux Pays-Bas[16].
La guerre
de Corée
En 1950, la guerre de Corée est venue jeter le
trouble dans la marche normale des affaires: les manipulations qu'elle a
provoquées sur le marché de la laine, ont amené l'industrie binchoise bien près
de sa perte. En effet l'obligation pour les confectionneurs d'acheter jusqu'à 6
mois d'avance leur matière première entraîne un manque de sécurité dans la
stabilité des prix. En 7 mois la laine passant du simple au double et retombant
au 1/3 ne pouvait que créer des perturbations. Cette situation se stabilisa en
1951[17].
L’affaire
royale
L'affaire royale, en 1950, provoqua un mouvement
social important qui perturba comme partout toutes les industries et en
particulier celle de la confection à
Binche. Une grève générale étendue à tout le pays et surtout en Wallonie débuta
dans la région du Centre le jeudi 27 juillet. A Binche, la grève touche 50 %
des usines de confection. Le lundi 31 juillet, des incidents eurent lieu à
l'usine Hupin. Cette nuit là, le roi Léopold accepte de céder ses pouvoirs au
prince Bauduin et d'abdiquer un an plus tard. La F.G.T.B. appelle à reprendre
le travail le mercredi[18]
La grève
de 1952
Un appel commun lancé par F. Liebaers (F.G.T.B.)
et J.Claassens (C.S.C.) invitait les ouvriers de la confection binchoise à se
réunir le 14 mai 1952 au Waux-Hall afin de revendiquer une majoration générale
des salaires de 7,5 % et de 10 % pour les débutants. Cette revendication avait
été formulée lors de la réunion de la commission paritaire du vêtement du 28 avril. Les patrons
refusèrent lors de réunions de conciliations qui eurent lieu le 17 et 19 mai
sous la présidence de Mr Castelain. Les ouvriers déposèrent un préavis de grève
pour les établissements Hupin-Brichot, Basselier-Bourgeois, Lescalier, Vve.
Delhalle et Gigounon-Dessart. Cette grève débuta le 26 mai. Nous pourrons
suivre l'évolution de ce conflit social dans les rubriques de la liste
consacrée aux entreprises, car cette grève prit des aspects bien différents
suivant les sièges d'exploitation. Néanmoins elle se solda par un échec par le
manque d'organisation des organisations syndicales et la riposte musclée des
patrons, la grève s'épuisa jusqu'au début du mois de juin.
Suite aux accords entre les membres du Benelux,
les confectionneurs binchois proposèrent une taxe compensatoire sur les
articles de confection importés de Hollande, car disent-ils la disparité des
salaires belges et hollandais entraîne une concurrence déloyale de la part des
Hollandais.
On pût heureusement constater que la fabrication
hollandaise, qui ne confectionnait que des vêtements à bon marché, ne
concurrençait que partiellement la fabrication binchoise, qui ne travaillait
que le "beau" vêtement.
La convention
de 1954
Le 25 octobre 1954, la Fédération Binchoise des
Industries du Vêtement (F.B.I.V.)[19] (2),
représentée par A. de Stexhe; L. Basselier, P. Legrand et Ed. Deprez. La Centrale du vêtement et des parties
similaires de Belgique, section de Binche,
représentée par G. Richard et L. Depauw. La Centrale chrétienne des travailleurs du textile et du vêtement, section
de Binche, signèrent une nouvelle convention remplaçant celle d'août 1945.
On y définit:
a) les fonctions relevant du contrat de travail
pour le magasinier, coupeur, plieur matelassier, ponceur, découpeur,
réceptionnaire, vérificateur, chef presseur, emballeur et contremaître,
contredame ou chef de banc d'atelier de confection.
b) les fonctions relevant du contrat d'emplois
pour le chef magasinier, chef de coupe, coupeur première catégorie, modéliste dessinateur,
créateur de tracés économiques, chef apprêteur, chef d'atelier de confection,
contremaître chef de banc, chef réceptionnaire, coupeur réceptionnaire, chef
presseur, chef expéditeur, chef échantillonneur.
c) les organismes de surveillance tels,
commission paritaire, prud'homme, inspection du travail.
Le seul énoncé de toutes ces fonctions montre à
quel point l'industrie mécanisée s'est développée.
La semaine
de cinq jours
En 1955, Binche est à la tête de l'actualité
sociale en instaurant à partir du 19 septembre 1955, les conditions d'essai de
la semaine de 5 jours dans quelques firmes: les établissements.
Basselier-Bourgeois, A. Bosman, D.B.M., Hupin-Brichot, Aug. Lescalier et
Stone-Legrand.
La politique commerciale des marchés belges ou
européens avait évolué énormément. A la fin de la guerre, les usines pouvaient
agrandir leur marché aux dépens d'un espace vide non occupé par un concurrent,
tandis qu'à la fin des années 50, le marché est saturé et les entreprises ne
peuvent se faire de nouveaux clients qu'aux dépens de la concurrence.
Le
colloque de 1958
En conséquence les patrons binchois envisagèrent
un colloque au sein de la F.B.I.V. Il se tint le 25-11-1958, ses travaux
définirent la façon d'améliorer une politique commerciale harmonieuse,
d'étudier le comportement des individus et le rôle des chefs d'entreprise, de
voir quelles sont les façons de mieux gérer leurs usines, d'en améliorer les
structures.
La
convention de 1960
Le 28 décembre 1959, les syndicats CSC et FGTB,
sections du vêtement adressèrent à la Commission Paritaire Nationale de
l'industrie de l'habillement et de la confection un cahier de revendications
portant sur des augmentations de salaires, la suppression du travail du samedi,
la suppression du régime d'amendes et l'octroi de diverses primes. Ces
revendications furent partiellement rencontrées par le patronat, elles
aboutirent à une convention signée le 23 mars 1960 et applicable à partir du 9
avril.
La loi
unique (1960)
Des escarmouches entre les uns et les autres
eurent lieu par voie de tracts. D'autre part, le gouvernement Eyskens avait au
début de 1960, souhaité supprimer les subventions aux charbonnages et
l'intention de fermer quelques sièges d'extraction.
Devant l'effervescence régnant dans le bassin du
Borinage, le comité de la FGTB du Centre décida le 13 février, d'organiser une
grande concentration des mineurs de la région.
Les événements iront plus vite, une grève
spontanée s'étendit à d'autres secteurs:
la sidérurgie et les usines Kéramis à La
Louvière, les usines textiles de Binche furent touchées par des piquets de
grèves "volants". Ce mouvement prendra fin vers le mois de mai.
Le 27-9-1960, Gaston Eyskens, qui venait de
remanier son équipe ministérielle, annonçait un programme économique et social
qui prendrait la forme d'un projet de loi unique déposé le 4-11-1960: il
comportait des impôts nouveaux, des "assainissements" dans la
sécurité sociale, etc. Ce projet devait être le départ d'un conflit social sans
précédents. Une grève générale démarre
spontanément le 20-12-1960, jour de l'ouverture du débat à la chambre sur le
projet de loi. Comme dans toutes les localités du Centre, les ouvriers binchois
cessent le travail. Dès le 23 décembre, des heurts entre grévistes et gendarmes
se produisirent comme en 1950, devant l'usine Hupin. Une concentration a lieu à
Binche, l'après-midi du 27 de même que le 29, où la ville est envahie par un
cortÈge de 15.000 grévistes venus de toute la région. Cette grève agonisa vers
le 15 janvier, l'ardeur des grévistes faiblissant de plus en plus. La loi
unique avait été votée à la Chambre le 13-1-1960[20].
Relevé
statistique de 1960
Un relevé statistique concernant
l'arrondissement de Thuin, concernant principalement Binche, renseigne qu'en
1960-1961, l’industrie du vêtement emploie:
Hommes: Employés: 323 Ouvriers: 611
Femmes: Employées: 111 Ouvrières: 2445
---- ------
Total: 434 3056[21]
La crise
de 1968
Vers 1968, la crise pèse sur l'industrie de la
confection, le chômage saisonnier s'amplifie, plus de mille emplois furent
supprimés en un an[22].
C'est à l'initiative du sénateur-Bourgmestre de
Binche, Charles Déliège qu'une réunion se tint le 2-2-1968 à l'hôtel de ville.
Elle rassemblait autour des autorités communales, de nombreux patrons binchois
et délégués syndicaux, des délégués du ministère des affaires économiques et du
commerce extérieur.
Le bourgmestre rappela que la situation
économique du Centre s'était délabrée, que les mines et usines métallurgiques
fermaient leurs portes, et en particulier pour Binche, celles de l'usine
Levacq. La confection restant la principale et la seule industrie locale. Il
parla du chômage grandissant et en rechercha les causes, la diminution du
pouvoir d'achat des nombreux ouvriers licenciés, la mode des jeunes qui
délaisse le pardessus au profit de vêtements moins classiques qui ne se
fabriquent pas à Binche, le manque d'exportation et la différence des prix avec
l'étranger, la concurrence de l'Allemagne, la diminution du nombre de vêtements
fabriqués en série au profit de la mesure et de la demi-mesure.
Il préconisa donc l'exportation à plus grande
échelle et passa la parole aux délégués ministériels qui firent connaître les
avantages que les confectionneurs pouvaient tirer des lois pour l'extension des
entreprises et de la participation aux foires internationales. Les questions et
réponses fusèrent de la part pour préparer des lendemains meilleurs[23].
Dans une lettre au ministre Merlot datée du
24-9-1968, le bourgmestre signale les difficultés de l'industrie du vêtement et
en particulier de la concurrence allemande, il dit qu'il y a plus de 30 %
d'ouvriers et ouvrières en chômage complet et plus de 60 % en chômage partiel[24].
Le ministre des affaires économique lui répondit
le 7-10-1968, que malgré l'instauration du libre échange dans le territoire de
la C.E.E., les importations allemandes sont peu importantes.
Projets de
fusion d’entreprises (1968-1975)
Au sein de la F.B.I.V. les patrons
confectionneurs ne restèrent pas inactifs à la défense de leur industrie, une
réunion se tint fin 1968 ayant pour but la restructuration de la confection:
quinze firmes se déclarèrent partisans de collaboration:
Un premier groupe comprenant les établissements
Basselier, Bosman, D.B.M., G. Gigounon, R. Ramboux, A. Traets et Vétimo,
Basoti, voulait bien s'unir allant jusqu'une fusion partielle ou totale. Mais
bien vite des divergences de vues s'établirent au sein du groupe, la firme A.
Bosman se retira du projet, après avoir envisagé la fusion de l'ensemble,
les-uns se dirent que du fait de la situation spéciale chez certains, des
affinités chez d'autres, etc...Il serait peut-être préférable de poursuivre la
discussion entre 2, 3, ou 4 d'abord.
Un autre groupe comprenant les firmes Bardiaux,
Briquelet, Deliège-Thomas, Gigounon-Dessart, Legrand-Piret, Lescalier,
Stone-Legrand étaient prêtes à passer des accords de collaboration avec des
secteurs d'activités bien précis.
Déclin
progressif de l’industrie de vêtement
Le congrès international des industries de
l'artisanat tenu à Luxembourg en octobre 1973 mit en évidence le déclin de
l'industrie du vêtement. Il souligne le fait que Binche produit 25 % de la
production nationale dans ce secteur, mais qu'il y avait 49 firmes en 1960 et
qu'il n'en reste plus dix ans plus tard qu'une trentaine. Peu à peu les
entreprises de petites tailles, faute de pouvoir faire face aux problèmes de
marché, ferment leurs portes[25].
Quelques autres éléments forcèrent le déclin de
l'industrie de la confection. L'infrastructure générale de la région du Centre
a quelque peu négligé la région:
-Binche est excentrique par rapport au tracé de
l'autoroute de Wallonie et la lenteur de la réalisation de son accès par
rapport à la ville est indéniable.
-La suppression de la voie ferrée
Binche-Erquelinnes et la lenteur de l'électrification de la ligne Binche -La
Louvière.
-Le remplacement de la ligne de tramway
Binche-Mons .par des autobus.
En 1974, la crise bat son plein. Le 18 mars 1974,
à l'invitation du "Fifty One Club de
Binche", le directeur adjoint de l'I.D.E.A. donna une conférence sur
la situation économique de la région de
Binche, on y découvre qu'en 1968, sur 11.000 emplois du canton de Binche, on en
comptait 80 % à Binche dans le secteur de la confection.
Après le déclin marqué de 1968, la région connut
une relance de l'emploi en 1972,
atteignant 12.700 emplois alors que Binche subissait une érosion continue de
plus de 3.000 emplois.
La ville se trouve dans un problème de
reconversion pratiquement insoluble, ne disposant pas des équipements
nécessaires en matière de communications, la vocation de Binche serait dès lors
résidentielle[26].
En 1974, Willy Burgeon, député de
l'arrondissement de Thuin, lors d'un congrès économique local du P.S.B. exposa
que les difficultés de la confection binchoise proviennent du caractère
individualiste des entreprises qui sont pour la plupart de caractère familial.
Trop souvent les cadres issus de la famille n'ont pas la qualification
nécessaire pour faire progresser et adapter leur usine aux exigences du marché.
Il regrette l'inexistence de centrales d'achat qui permettraient de faire
chuter les prix des matières qui interviennent pour 50 % dans le prix de
revient. Il prône le regroupement des entreprises binchoises et la
spécialisation des firmes.
A la Chambre, le député Burgeon demanda au
secrétaire d'Etat à l'Economie, sous quelles formes on pourrait envisager
"une aide sectorielle sous la forme d'un contrat de progrès" ou
d'élaborer "un contrat de restructuration" concernant les
confectionneurs binchois[27].
Le 23 novembre 1974, la "Jeune Chambre économique binchoise"
sous la présidence de René Hautmont organisa un colloque sur le thème: "A
quels problèmes actuels et futurs sont confrontés les confectionneurs
binchois?"
Elle avait auparavant effectué une enquête chez
les confectionneurs pour la période 1970 à 1973. Il résultait de cette
consultation que l'augmentation du
chiffre d'affaire (+30 %) ne semblait pas dû à une hausse des tarifs, mais à
une quantité de vêtements produits (+20 %) accompagnée d'une diminution du
personnel (- 7%) ce qui laissait un accroissement de productivité de plus de 20
% en 3 ans.
L'augmentation du chômage semble due à un
problème de commercialisation la productivité étant plus forte que
l'accroissement des ventes. Le chômage est ainsi provoqué par une saturation du
marché belge. Les exportations tiennent une part minime dans l'ensemble de la
fabrication binchoise.
En juillet 1975 Jean Gol, secrétaire d'Etat à
l'Economie régionale wallonne, chargeait deux sociétés spécialisées dans
l'analyse, l'organisation et la gestion financière, de lui présenter un rapport
sur la situation des entreprises de la confection binchoises. Onze
confectionneurs acceptèrent d'ouvrir leurs portes et leurs documents
comptables.
Au terme de ces consultations les analystes
préconisèrent un regroupement ou une collaboration entre plusieurs entreprises.
Le 15 décembre 1975 eut lieu à l'hôtel de ville
une réunion importante qui réunissait le bourgmestre Leroy; MM. Furlan
conseiller auprès de l'IDEA; Autenne, directeur de l'Institut Provincial de la
Confection; les représentants des firmes binchoises: Deprez, D.B.M.; Hamaide,
Vetimo; Legrand, Gigounon-Dessart; Decat, délégué de la Fédération belge du
vêtement et le secrétaire François.
M. Furlan soumit les désirs du ministre de
l'Economie, Gol, pour la poursuite des pourparlers entre son ministère et les
entreprises binchoises. Trois problèmes furent examinés:
- La formation professionnelle de la
main-d’œuvre.
- La formation des cadres et de la direction.
- La promotion de la confection binchoise.
Au 29 décembre 1975, seulement quatre firmes
acceptèrent le principe du regroupement:
Les firmes D.B.M.; Stone-Legrand; Raymond
Ramboux et Fils et Robert Deliège.
De nombreuses discussions suivirent pendant 9
mois entre ces firmes et le ministère de l'Economie. Malgré les bonnes
volontés, elles ne purent aboutir.
Le mardi 21 octobre 1977, une table ronde de la
confection s'est tenue à Binche pour analyser les problèmes de la confection.
Le secrétaire d'Etat à l'Economie régionale wallonne, M. Urbain a évoqué le
plan du gouvernement pour le soutien du textile, il préconise une politique de
fusion et de complémentarité des petites
entreprises de manière à créer des entités plus grandes et plus rationnelles,
il analysa aussi le cas de deux entreprises binchoises pour lesquelles une aide
financière est prévue, si les études de son département s'avèrent favorables
(Le Soir 27-10-1977)
Les mois de septembre et octobre 1978, voient
l'offensive des patrons binchois face à l'administration communale, afin de
diminuer le précompte immobilier qui était passé à 60 % pour la ville et la
taxe sur le personnel qui passe de 300 Fr. à 500Fr. par personne occupée. Les
établissements Marvan envisagent un déménagement[28]. La
firme Vetimo, envisage une concertation avec la Ville[29]. Les
firmes Auguste Lescalier et la F.B.I.V.C. protestent elles aussi.
Le 13 et 24 octobre 1978, à Bruxelles au cabinet
du Secrétaire d'Etat à l'Economie régionale, R. Urbain, se réunit le patronat
binchois, les intercommunales d'expansion économique et les interlocuteurs
sociaux afin de décider de mesures pratiques pour assurer le sauvetage de la
confection binchoise.
Le 23 novembre1978, la F.B.I.V.C. provoqua une
réunion aux Ets. Debaise-Hannecart avec les organisations syndicales CSC, CNE,
FGTB, SETCA, afin d'expliquer le point de vue patronal sur la crise que
traverse l'industrie du vêtement.
La
« Maison binchoise »
Toutes ces discussions débouchèrent sur un
accord:
Les principales entreprises de l'industrie du
vêtement binchoises constituent une société commerciale nommée " La Maison
binchoise", mixte entre eux et l'Etat au capital de 9.000.000 de Francs
dont 4.400.000 Fr. sont souscrits par l'Etat et 4.600.000 sont répartis entre:
S.A. Debaise-Hannecart :
2.600.000 Fr.
S.A. Aug. Lescalier : 1.000.000 Fr.
S.A. Vetimo : 750.000 Fr.
Ets. Bardiau : 150.000 Fr.
Manufacture Binchoise de confection: 100.000 Fr.
Une avance de fonds de 9.000.000 Fr. est
consentie par l'Etat, remboursable en 10 ans et à faible intérêt [30].
Du côté syndical on insiste sur le fait que la
pression des organisations syndicales a été déterminante et on signale que
l'emploi avait encore régressé de 1500 emplois, avec notamment 600 emplois par
la disparition de la firme D.B.M.[31].
Petit à petit le nombre d'entreprises vit son
nombre se réduire, après une importante restructuration, les établissements
"Marvan" firent faillite à leur tour en juin 1984.
Espoir de
la profession
Quelques firmes d'une certaine importance
représentèrent encore la confection binchoise grâce à une politique de
fabrication et de vente un peu différentes:
Des établissements tels ceux Derval, Auguste
Lescalier et Vetimo, Bardiau, ou encore Deprez à Waudrez, par des
transformations et techniques de pointe. Ces firmes étaient les dépositaires du
savoir-faire d'une ville qui s'est toujours singularisée par rapport au monde
industriel régional.4
En guise de conclusion
Toutes ces firmes sont maintenant disparues à
l’exception de la firme Bardiau qui s’est spécialisée dans la vente de
vêtements de luxe.
Quelques firmes diverses se sont établies dans
le zoning industriel de Péronnes-lez-Binche, elles représentent avec le
tourisme l’espoir de notre vieille ville
industrieuse, qui telle un phénix renaît toujours de ses cendres
[2] Présence du
tramway, Bulletin de l'Association pour le Musée du tramway (AMUTRA) et
A.V.B. 01-00-02-21.
[3] A.V.B. 01-00-02-23.
[4] Idem
[5] Coupures de journaux dans « La page binchoise » du Journal du
Centre de 1936
[7] F. LECRENIER, De
1941 à 1945, l 'U.T.M.I.
dans le Centre, un syndicat à l'heure allemande, Haine-Saint-Pierre, 1993.
[9] L'essentiel des archives retraçant l'industrie de la
confection après la guerre 40-45, que j'ai pu consulter, m'avaient été
aimablement confiées par M. et Mme. Jean Stone.
[11] S.GLOTZ, La
confection binchoise. Ses origines et son développement jusqu'en 1951, dans
« Anciens pays et assemblées d'Etats », Louvain, 1972, t.56, p.338.
[12] GLOTZ S. La
confection...o.cit. p. 339.
[13] GLOTZ S. La
confection...o.cit. p. 340.
[14] Rapport sur
l'industrie de la confection à Binche, éd. I.R.E.H., Mons, 1948, 45p.
[15] Annexes du Moniteur belge (MB) acte 1421, à la date.
[16] J. GONDRY, L'industrie
du vêtement à Binche
[17] M.A. de Stexhe-Hupin, L'industrie de la confection à Binche, 1951
[18] F. JORIS, Mémoire
ouvrière 1885/1985. Histoire des fédérations Soignies, Thuin, pp.144
[19] Ancienne Chambre syndicale de la confection de
Binche.
[20] F. JORIS Mémoire ouvrière...o.-cit, pp.155-157.
- J. GAILLARD Au fil des jours. Journal d'une grève, dans: « T'Avau Binche »
n°716, 31-12-1960.
[28] Lettre de Pol Smeyers au bourgmestre Leroy,
22-9-1978.
[29] Lettre d’Amédée Hamaide au bourgmestre Leroy,
23-10-1978.
[30] Notre dossier
économique: La confection binchoise,
dans « Le Binchois » n° 4, 26-1-1979. – « Le bout du tunnel » pour la confection
binchoise, dans « L'Indépendance », 27-1-1979.
[31] D.B. Maison binchoise: la dernière chance du secteur
local de la confection, dans: Le Soir, 25-1-1979.
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