LES CAVES MANABLES DE BINCHE
Alain GRAUX
L’habitat binchois a toujours été très dense à
l’intérieur de son enceinte. Les « petites gens » ne pouvaient se
permettre d’acheter des maisons, aussi, louaient elles aux bourgeois de la
ville des caves habitables dites caves manables (du latin manere=demeurer) pour se loger.
Souvent ces caves n’avaient pour seule issue que
des escaliers faisant emprise sur la voie publique ouverts sur une trappe
donnant sur la rue appelée « bouqueau » ou « bouquiau ». Ce
nom est resté comme patronyme de certaines familles.
Une première pièce recevait un peu de lumière
par des fenêtres étroites, une seconde pièce (quand il y en a une), n’était
éclairée et aérée qu’indirectement par la première. Ces logements sans cour,
sans ventilation, quasi sans lumière, sans fosse d’aisance, réalisaient le
maximum des causes d’insalubrité.
Vue de la Grand-Place, vers
1854, lithographie de Th. Ch. Hoolans.
On y remarque les bouqueaux,
entrées des caves manables.
Le 19 juillet 1824, l’administration communale
édicte un règlement où l’on stipule :
Art. 18. Les caves habitées louées à des indigents doivent être
planchéiées ou pavées de carreaux ou en briques et dans le mois de mai de
chaque année, elles seront blanchies.
Art.19. Il sera fait chaque année, dans la première
quinzaine d’avril, une visite des caves par un membre de l‘administration
communale, accompagné d’un officier de santé. Procès-verbal sera dressé par eux
de l’état de ces caves ; il y sera fait mention de celles qui ne sont pas
planchéiées ou pavées, ou qui seront insuffisamment blanchies, ainsi que celles
trouvées malsaines et des travaux jugés nécessaires pour les rendre salubres et
habitables ; le procès-verbal sera notifié au propriétaire en ce qui le
concerne et pour qu’il ait à exécuter
les travaux prescrits
C’est surtout à partir du XVIIIe siècle que
l’on trouve des traces de ces caves qui sont réparties dans le centre de la
ville.
En 1715, le cahier des XXe de
cheminées renseigne
* Rue des Pelletiers :
Les hoirs Nicolas Flevin pour
leur maison et cave manable
* Sur le Marché :
- Le paveur Nicolas Correbon
(1667-1729), habitait une cave manable
sur le Marché, appartenant à Jean Stampe.
- La veuve Ladcat Arnould
pour sa maison où réside Ursmer Campain, et la cave manable en dessous
- Les hoirs Vanbrochen pour
la maison où ils résident
- Les mêmes pour la cave
manable en dessous
- Antoine Cordier pour sa
cave où réside Bertrand Mayeur (1662-1733)
Une loi du 9 août 1889, relative à l’habitat ouvrier, fit
ouvrir une enquête administrative qui eut lieu en juillet 1891, elle se révèle
catastrophique.
Suite à cette enquête l’administration communale prit des
mesures supprimant les caves insalubres par une ordonnance de police:
Le
Conseil,
Vu
l’article 78 de la loi communale,
Considérant que le rapport du comité des habitations
ouvrières de l’arrondissement signale l’insalubrité des caves habitées en notre
ville et dit qu’il est nécessaire, dans l’intérêt de la santé et de la moralité
de la classe ouvrière, de les faire disparaître au plus tôt.
Considérant que le rapport de la commission médicale
locale est conçu dans le même sens…
Art 1. Il est interdit d’habiter les caves à partir
du 1er juillet 1895.
Art.2. Les contrevenants à cette disposition seront
punis des peines de police.
Art.3. En cas de refus et de résistance de la part
des occupants, le bourgmestre pourra d’office faire évacuer les lieux, sans
préjudice des peines portées à l’article précédent.
En séance publique à Binche, le 24 mai 1894.
Les propriétaires et locataires des caves ne protestèrent
que mollement contre la fermeture collective qui leur fut signifiée.
Par tolérance, huit chefs de familles furent autorisés à
demeurer dans des caves manables jusqu’au 1er janvier 1896.
Malgré les avertissements cinq d’entre eux refusèrent de
vider les lieux et un jugement du 22 avril 1896 les condamnèrent à l’amende et
ne leur accorda qu’un mois pour déguerpir[1].
A l’époque de la fermeture il existait encore dans la
ville 31 caves habitées réparties comme suit :
Grand-Place 7 Rue
des Boulevards 1
Grand-rue 2 Rue
du pont-Martine 1
Faubourg Saint-Jacques 3
Rue de Biseau 2
Rue du Phénix 3 Rue
Neuve 5
Rue de Mons 1
Rue de Million 4
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