HAINAUT, « JARDIN DES
MUSES » SOUS MARIE DE HONGRIE
Alain GRAUX
Au XVIe siècle, la production littéraire
est mince en Hainaut. Comment pourrait-il en être autrement, quand une censure
impitoyable traque toute pensée neuve? Lorsque Jacques Meyer, fort estimé
d'Erasme édite, en 1538, ses chroniques de Flandre, l'empereur accorde
l'autorisation « pourvu toutefois
que ledit suppliant, en faisant faire ladite impression, ensuivra les
corrections et changements faicts audit livre par lesdits de notre Conseil des
Flandres... à peine de perdre l'effect des actes. »
En 1533, le Tournaisien Jean des
Masures accompagne le cardinal de Lorraine à la Cour de France. Il y connaît
Clément Marot, Mellin de Saint Gelais, Ronsard et peut-être Rabelais. Il publie
en 1547, une version française de l'Enéide et en 1557 un recueil de poèmes
français et latins. Ronsard lui dédie le cinquième livre de ses poésies
lyriques.
Passé à la Réforme, Masures se
réfugie à Metz. Il y écrit son œuvre la plus importante, sa trilogie de David,
trois tragédies saintes où il conserve la technique traditionnelle des
mystères.
C'est à Mons que la vie
intellectuelle est la plus intense. Trois poètes, Jean Bosquet, Simon Bosquier
et François Brassart ont la faveur du public lettré de la ville, et le théâtre
y connaît un succès grandissant.
On y représente successivement le
jeu de la Saint-Jean, le mystère de la vie de saint Laurent, et une Chambre de
Rhétorique est créée en 1533.
Mais les autorités redoutent la
satire qu'applaudit volontiers un public frondeur, et aucune pièce n'est jouée
qu'elle n'ait subi au préalable la censure du magistrat.
Le jeu des acteurs est d'un
réalisme extrême. Lors d'une représentation, le 7 août 1549, en l'honneur du
prince héritier, du drame de Judith et Holopherne par les rhétoriciens de
Tournai, on y fait tenir le rôle d'Holopherne par un criminel récemment
condamné à mort. Au dernier acte, le rhétoricien qui incarne Judith tranche
d'un vigoureux coup de cimeterre la tête du malheureux.
Une écriture qui obéit plus à la
phonétique qu'à l'orthographe, une syntaxe d'une ahurissante fantaisie, font
difficulté à qualifier d'œuvre littéraire le journal que tient, pendant le
premier tiers du siècle, un bon bourgeois de Mons, Anthoine de Lusy. Et
pourtant, que les tableaux de mœurs qu'il trace, que la manière dont il
ressuscite pour nous le petit monde de sa ville et de son temps, sont vivants,
pittoresques, suggestifs ! Tout qui est curieux du passé de Mons se doit
de lire cet ouvrage, dont la publication (1969) est due à l’archiviste montois Armand
Louant.
Un bien curieux document est venu
jusqu'à nous ; c'est le Livre des Ballades, cahier où de 1530 à 1580, trois
membres d'une famille de la bonne bourgeoisie montoise, les Bocquet,
transcrivent leurs poèmes favoris. On y trouve Christine de Pisan, Chastelain,
Molinet, Pierre Gringore ou Gringoire, etc.
Au collège de Mons, on enseigne
le latin, la grammaire française, et l'histoire, surtout romaine. Mais afin
d'éviter la propagation de l'hérésie, les maîtres doivent faire profession
publique de foi catholique.
Beaucoup de théologiens lettrés y
ont fait leurs classes, et ont joué ensuite à Louvain un rôle important, et pas
toujours orthodoxe : tel ce Michel de Bay, dit Baius, dont les écrits condamnés
par Rome préludent au jansénisme, ou l'helléniste et hébraïsant montois Jean
Brisselot, dont Erasme loue fort les travaux et la science.
A Binche, un certain Cordier
ouvre, en 1545, la première imprimerie en Hainaut.
C'est à Mons que naissent les
trois grands artistes hennuyers du siècle : Du Brœucq, Lucidel et Lassus.
Si Mons a préféré pour l'église
Sainte-Elisabeth, le gothique brabançon, l'architecture religieuse du comté
reste dans son ensemble fidèle au gothique hennuyer, qui fleurit en Notre-Dame
d'Arquennes et Saint-Géry de Baudour, comme à Blaregnies, Boussu, Fontaine-l'Evêque,
Givry, Gosselies, Havré, Heppignies, Mellet, Merbes-le-Château, Mont-sur-Marchienne,
Petit-Rœulx-lez-Nivelles, Renlies et Solre-sur-Sambre.
A Mons, où les chanoinesses de
Sainte-Waudru ont dès 1534, appelé Jacques Du Bræucq, ce dernier reste fidèle
au plan conçu par son prédécesseur Jehan Spiskin. Mais dans ses constructions
civiles, il met hardiment à profit, à Binche comme à Mariemont, les
enseignements de la Renaissance, et nombre d'architectes hennuyers suivent son exemple.
Il n'y a plus, en Hainaut, de Cour comtale où se cultive le goût des belles
lettres, et la noblesse, satisfaite du métier des armes et de l'exercice des
hauts emplois, est indifférente à l'œuvre des poètes. Mais elle aime le faste,
édifie des châteaux, et pour les orner, fait appel aux peintres, sculpteurs,
tapissiers et ébénistes les plus en vogue.
Le jubé de Mons par du Brœucq
La bourgeoisie riche construit en
ville ses hôtels, mais reste fidèle au gothique, ainsi qu'en témoigne à Mons la
maison dite du Blanc Lévrier ou celle de saint Christophe. C'est par contre en
style Renaissance que les magistrats de Beaumont, Binche et Braine-le-Comte
bâtissent les hôtels de ville de leurs cité.
Si, pour l'agrément de leur
demeure, les châtelains font appel à de nombreux sculpteurs, tel Jean
Fourmanoir, auteur des stalles de Sainte-Waudru, Jacques Du Brœucq, né à Mons
au début du siècle, est incontestablement leur maître à tous. Un voyage en Italie,
et surtout à Rome, lui révèle les canons de l'art Renaissant. A Mons, où il
réside constamment de 1535 jusqu'à sa mort sur- venue en 1584, il réalise pour
Sainte-Waudru le magnifique jubé mis en pièces par la Révolution, l'autel
Renaissance de la chapelle Sainte-Madeleine, et le bas-relief où sainte Waudru
est représentée visitant les travaux de l'église qui lui est dédiée. La
renommée de Jacques l'appelle souvent hors de sa ville, il sculpte à Saint-Omer
le mausolée d'Eustache de Croy, évêque d'Arras, ou bâtit le château des
seigneurs de Boussu.
Lorsqu'il eut achevé le palais de
Binche et le château de Mariemont, Marie de Hongrie le gratifia d'une pension
de deux cents florins l'an.
L'imagier Jean de Thuin collabore
souvent avec Du Brœucq, et Guillaume Dacquin, Jean de Louwez, Henri Faineau,
Laurent Lejeune, Collart de Halloy, Nicolas Baveau, Jacques le Poivre,
enrichissent de leurs œuvres églises et châteaux.
Dans le grand élan pictural qui
en Flandre comme en Italie et en France, magnifie le XVIe siècle, le Hainaut a
sa part. Le peintre Mabuse rompt avec ce que les formes du passé avaient
parfois de rigide, et apporte dans son art une douceur nouvelle. D'aucuns regrettent
de ne pas retrouver dans ses portraits la rigueur de trait par quoi Rogier de
le Pasture nous séduit et nous subjugue. Mais les visages de Mabuse vibrent
d'une tendresse humaine dont la plus émouvante expression se trouve dans le
modelé frémissant de ses Adam et Eve du musée de Palerme.
Mais celui qui, à cette époque,
illustrera plus que tout autre son Hainaut natal sera le montois Nicolas
Neufchâtel, dit Lucidel. Il fait son apprentissage chez son père Antoine de
Neufchâtel. En 1539, il est inscrit au registre des apprentis d'Anvers sous le
nom de Colyn van Nieuwcasteel. Il suit, peut-être en compagnie de Breughel, les
enseignements de Pierre Coecke. Excédé par les persécutions religieuses, il émigre
comme tant d'autres, s'établit à Nuremberg, et sera pendant trente ans le
peintre officiel de la Maison de Bavière. On peut discerner dans son œuvre,
qu'il faut rechercher surtout dans les musées d'Allemagne et d'Autriche, une
certaine influence d'Holbein.
Et pourtant ses portraits qui en
sont l'essentiel nous paraissent traduire un tempérament très personnel, un
parti pris de vérité qui donne au trait outre une netteté sans bavure,
hésitation ou repentir, une intensité d'expression qui ne doit rien au procédé,
mais trouve au contraire sa vigueur dans une sorte d'intransigeance têtue.
Certes, la peinture religieuse
est toujours en honneur. Mais la peinture profane prend une place de plus en
plus importante. Si les oratoires des châteaux s'ornent volontiers de quelque
sainte image, le châtelain préfère, pour la salle où il traite ses hôtes, des
toiles plus allègres, où la grâce d'un corps féminin peut faire briller à l'aise
son harmonieuse douceur.
Tout proche de l'art du peintre
est celui du verrier. Ce sont les frères montois Eve qui réalisent les beaux
vitraux de Sainte-Waudru.
Si des ateliers de Tournai,
sortent encore de chatoyantes tapisseries, 1550 marque pourtant le début d'une
décadence. D'abord, les ouvriers ruraux qui, dans le plat pays d'Ath et de
Binche, travaillent à bas prix pour les entrepreneurs tournaisiens, n'ont pas
toujours l'exacte discipline et l’amour du métier des vieux lissiers. Mais ce
sont surtout les persécutions religieuses qui en dépeuplant les ateliers de
leurs meilleurs artisans, entraînent une régression de la tapisserie wallonne,
dont Audenaerde, Bruges et Anvers prendront 'heureusement la relève.
Mais s'il est un art où le
Hainaut excelle, sous Charles-Quint comme sous Philippe le Bon, c’est la
musique. Mort en 1521, Josquin des Prés avait assuré brillamment la continuité
entre les deux siècles de l’école hennuyère. Après lui, Jean Stainier, d’Ath,
maître de chapelle apprécié de Charles Quint, achève ses jours à Cologne, en
1542. Philippe du Mont, né à Mons en. 1517, fait d’abord carrière dans son pays
natal, puis devient maître de chapelle
de Maximilien II. C’est Mons encore qui donne le jour à Michel de Bock, cependant que Nicolas Pâque, né à Soignies en 1512, devient
le maître de chapelle de la cour d’Espagne.
Marie de Hongrie aime la musique,
et sa chapelle particulière, que dirige le hennuyer Thomas Créquillon, est de
haute qualité. Au nombre de ses musiciens, il est un gnome difforme et barbu.
Il a nom Adrien Petit Coclico, et, savant et ingénieux théoricien de la musique
polyphonique, fait paraître, en 1552, son « Compendium Musices » et sa « Musica reservata ». Mais c'est Nuremberg qui en a la primeur,
car les persécutions religieuses ont fait de lui, dès 1545, un exilé
volontaire. L'Allemagne d'abord, la Norvège et le Danemark ensuite,
l'accueillent avec honneur.
Vers 1530, est né à Mons celui
qui sera le plus grand musicien du siècle, Roland de Lassus.
Le malheur des temps ne réussit
pas à étouffer l'âme du peuple, et un folklore coloré affirme sa volonté de
vivre. Si certains prétendent faire remonter à 1491 le traditionnel combat du
Doudou, on peut en tout cas écrire avec certitude qu'il se déroula sur la Grand-Place
de Mons en 1524.
Faut-il croire ceux qui, se
basant sur l'inventaire de la bibliothèque de Marguerite d'Autriche et Marie de
Hongrie, fondent sur la mention « d'accoustrement
de plumes venus des Indes, de haulmes et manteaux garnis de plumaiges, de
cloquettes et besans d'or », l'origine exotique des Gilles ? Samuel
Glotz en a réfuté toutes les théories.
Mais l'un des jeux populaires les
plus anciens et qui garde de nos jours la fervente faveur du public, est sans
conteste le tir à la perche.
A Mons, l'an 1525, « Messire Philippe de Croy jetta à bas avec
arc à balestre l'oiseau de la confrérie de Notre-Dame. A rayson de quoy le
magistrat alla en corps au-devant de luy à son retour en Mons, et le conduisit
avec leurs officiers jusques à la chapelle de ladite confrairie.
Après que les solennités et festins furent achevés, il donna un collier
d'argent doré avec un geai pendant en dessous, pour estre porté chasque année
par le roi des dits arcbalestriers, quiconque le seroit ».
Ainsi en va-t-il encore de nos
jours en maint endroit, encore que le collier soit d'ordinaire d'une orfèvrerie
plus modeste.
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