UN PROCES A PARIS
CONCERNANT LA DENTELLE
FABRIQUEE A BINCHE
Alain
GRAUX
Le 7 octobre 1851, à Paris, devant le tribunal
de commerce de la Seine eut lieu un procès entre la firme « Rosset et
Normand »[1] et les magasins
« Selleron, Delange et Cie ».
Rosset et Normand furent déboutés et firent
appel devant la cour de commerce de Paris, 2e chambre, qui confirma
le 6 avril 1853, le jugement des
premiers juges.
Ce procès concernait la propriété industrielle,
l’usurpation de dessins de fabriques, la fabrication étrangère de « l’application
de Bruxelles » et l’abus de confiance.
Quelques explications
sur la loi française
La loi du 18 mars 1806[2],
qui consacre un privilège de propriété exclusive en faveur des déposants de
dessins de fabrique, ne protège que les produits purement nationaux et non les
produits étrangers.
En conséquence la propriété d’un dessin de
dentelle dite « application de Bruxelles »ne peut être revendiquée en
France par celui qui fait fabriquer à
l’étranger (surtout antérieurement au dépôt) des découpures de dentelle
destinées à être appliquées en France sur tissus français conformément aux
dessins français.
Il en est ainsi de même que, que ce serait par
abus de confiance que le fabricant aurait, pour son propre compte, reproduit et
vendu ce dessin, qui ne lui aurait été confié que pour la mise en œuvre des
découpures destinées par le propriétaire du dessin à être appliqués en France
sur tulle français.
Le jugement d’appel du
tribunal de commerce de la Seine décidait en ces termes :
-
Attendu
qu’à la date du 23 décembre dernier, Rosset et Normand ont fait procéder dans
les magasins des défendeurs à la saisie d’une écharpe et d’un volant de
dentelle dites « applications de Bruxelles » comme étant de la
contrefaçon de deux dessins qu’ils venaient de déposer au secrétariat du
Conseil de Prud’hommes de Paris le 19 du même mois, dessins qu’ils ont fait
mettre en œuvre en Belgique, et dont ils revendiquent la propriété ;
-
Attendu
qu’avant de rechercher s’il y a en effet contrefaçon, il y a lieu d’examiner si
les demandeurs se trouvent dans les conditions légalement nécessaires pour
empêcher les dessins de fabrique de tomber dans le domaine public et en
conserver la propriété aux inventeurs.
-
Attendu
qu’il est impossible de méconnaître qu’en déterminant les règles propres à assurer
la conservation de la propriété de diverses inventions industrielles, le
législateur n’ait eu toujours et surtout en vue la production de la production
exclusivement nationale ;
-
Que
cette intention se révèle invariablement dans toutes les lois et documents
législatifs qui ont traité de la matière, soit pour le dépôt de dessins, soit
au point de vue des brevets d’invention ;
-
Qu’ainsi
la loi de 1844 sur les brevets d’invention (Art.32) prononce la déchéance
contre le breveté qui introduirait en France des objets fabriqués à l’étranger
et semblables à ceux qui sont garantis par son brevet ;
-
Attendu
la loi du 18 mars 1806, qui trace les mesures conservatrices de la propriété
des dessins ;
-
Attendu
que Rosset et Normand reconnaissent eux même que c’est à Binche (Belgique)
qu’ils ont fait mettre en œuvre les deux dessins de dentelles déposées par eux
au Conseil de Prud’hommes de Paris ;
-
Que
les pièces de comparaison par eux produites ont été également fabriquées à
Binche[3],
qu’elles sont donc en réalité un produit étranger ;
-
Qu’il
est même constant, en fait, que la fabrication par eux faite en cette ville à
l’étranger de même que l’achat des tissus saisis chez Selleron, Delange et
Compagnie, avait de longtemps précédé l’époque du dépôt, que si le fabricant
belge qu’ils ont employé, abusant, comme ils le prétendent, du mandat qu’ils
lui confiaient, a produit pour son propre compte le même dessin le même dessin
et l’a mis en vente. Ce fait blâmable, s’il était prouvé, pourrait sans doute
fournir à Rosset et Normand ouverture à une action personnelle contre lui
devant les juges compétents, mais il ne lui saurait suffire pou leur rendre, à
l’égard des tiers requérants de bonne foi , le droit originaire de
propriété qu’ils ont perdu de leur propre fait ; qu’ils sont donc sans
action contre Selleron, Delange et Cie, et ne doivent nullement imputer qu’à
eux-mêmes le dommage qui peut résulter pour eux de la préférence qu’ils ont
donnée à l’industrie étrangère pour la reproduction de leurs dessins, et de la
déchéance qui s’en est nécessairement suivie.
Signé : M.M.
Partarieu-Lafosse, conseiller f.f. de président.
Blanc,
Liouville et Devaux, avocats. ».
[1] La firme « Rosset et Normand » était établie
à Paris, 32 rue Feydeau et à Lyon, rue Royale. Elle présenta ses produits,
soieries, dentelles, etc. à Bruxelles en 1851.
[2] Cette loi avait
été promulguée afin de protéger les fabrications de dessins de soieries
provenant de Lyon.
[3] La firme « Selleron, Delange et Cie. » avait
acheté ces dentelles à la maison Chalier-Dupret de Bruxelles. Celle-ci avait
acheté au trafiquant de dentelles Nicolas Delwarde-Légaux.
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