vendredi 5 avril 2019

Les caves manables de Binche


LES CAVES MANABLES DE BINCHE
                                                                                                                                          Alain GRAUX

L’habitat binchois a toujours été très dense à l’intérieur de son enceinte. Les « petites gens » ne pouvaient se permettre d’acheter des maisons, aussi, louaient elles aux bourgeois de la ville des caves habitables dites caves manables (du latin manere=demeurer) pour se loger.
Souvent ces caves n’avaient pour seule issue que des escaliers faisant emprise sur la voie publique ouverts sur une trappe donnant sur la rue appelée « bouqueau » ou « bouquiau ». Ce nom est resté comme patronyme de certaines familles.
Une première pièce recevait un peu de lumière par des fenêtres étroites, une seconde pièce (quand il y en a une), n’était éclairée et aérée qu’indirectement par la première. Ces logements sans cour, sans ventilation, quasi sans lumière, sans fosse d’aisance, réalisaient le maximum des causes d’insalubrité.


Vue de la Grand-Place, vers 1854, lithographie de Th. Ch. Hoolans.
On y remarque les bouqueaux, entrées des caves manables.

Le 19 juillet 1824, l’administration communale édicte un règlement où l’on stipule :
Art. 18.           Les caves habitées louées à des indigents doivent être planchéiées ou pavées de carreaux ou en briques et dans le mois de mai de chaque année, elles seront blanchies.
Art.19.                        Il sera fait chaque année, dans la première quinzaine d’avril, une visite des caves par un membre de l‘administration communale, accompagné d’un officier de santé. Procès-verbal sera dressé par eux de l’état de ces caves ; il y sera fait mention de celles qui ne sont pas planchéiées ou pavées, ou qui seront insuffisamment blanchies, ainsi que celles trouvées malsaines et des travaux jugés nécessaires pour les rendre salubres et habitables ; le procès-verbal sera notifié au propriétaire en ce qui le concerne et pour qu’il ait à  exécuter les travaux prescrits
C’est surtout à partir du XVIIIe siècle que l’on trouve des traces de ces caves qui sont réparties dans le centre de la ville.
En 1715, le cahier des XXe de cheminées renseigne
* Rue des Pelletiers :
Les hoirs Nicolas Flevin pour leur maison et cave manable
* Sur le Marché :
- Le paveur Nicolas Correbon (1667-1729),  habitait une cave manable sur le Marché, appartenant à Jean Stampe.
- La veuve Ladcat Arnould pour sa maison où réside Ursmer Campain, et la cave manable en dessous
- Les hoirs Vanbrochen pour la maison où ils résident        
- Les mêmes pour la cave manable en dessous
- Antoine Cordier pour sa cave où réside Bertrand Mayeur (1662-1733)
Une loi du 9 août 1889, relative à l’habitat ouvrier, fit ouvrir une enquête administrative qui eut lieu en juillet 1891, elle se révèle catastrophique.
Suite à cette enquête l’administration communale prit des mesures supprimant les caves insalubres par une ordonnance de police:
            Le Conseil,
            Vu l’article 78 de la loi communale,
Considérant que le rapport du comité des habitations ouvrières de l’arrondissement signale l’insalubrité des caves habitées en notre ville et dit qu’il est nécessaire, dans l’intérêt de la santé et de la moralité de la classe ouvrière, de les faire disparaître au plus tôt.
Considérant que le rapport de la commission médicale locale est conçu dans le même sens…
Art 1. Il est interdit d’habiter les caves à partir du 1er juillet 1895.
Art.2. Les contrevenants à cette disposition seront punis des peines de police.
Art.3. En cas de refus et de résistance de la part des occupants, le bourgmestre pourra d’office faire évacuer les lieux, sans préjudice des peines portées à l’article précédent.
En séance publique à Binche, le 24 mai 1894.
Les propriétaires et locataires des caves ne protestèrent que mollement contre la fermeture collective qui leur fut signifiée.
Par tolérance, huit chefs de familles furent autorisés à demeurer dans des caves manables jusqu’au 1er janvier 1896.
Malgré les avertissements cinq d’entre eux refusèrent de vider les lieux et un jugement du 22 avril 1896 les condamnèrent à l’amende et ne leur accorda qu’un mois pour déguerpir[1].
A l’époque de la fermeture il existait encore dans la ville 31 caves habitées réparties comme suit :
Grand-Place                           7          Rue des Boulevards               1
Grand-rue                               2          Rue du pont-Martine             1
Faubourg Saint-Jacques         3          Rue de Biseau                        2
Rue du Phénix                        3          Rue Neuve                             5
Rue de Mons                          1
Rue de Million                       4



[1] DERBAIX E, Les habitations ouvrières à Binche, Bruxelles, 1919.

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