vendredi 2 février 2018

Un procès à Paris concernant la dentelle fabriquée à Binche

UN PROCES A PARIS CONCERNANT LA DENTELLE FABRIQUEE A BINCHE                                                                                                                                                          
                                                                                                                                      Alain GRAUX
Le 7 octobre 1851, à Paris, devant le tribunal de commerce de la Seine eut lieu un procès entre la firme « Rosset et Normand »[1] et les magasins « Selleron, Delange et Cie ».
Rosset et Normand furent déboutés et firent appel devant la cour de commerce de Paris, 2e chambre, qui confirma le 6 avril 1853, le  jugement des premiers juges.
Ce procès concernait la propriété industrielle, l’usurpation de dessins de fabriques, la fabrication étrangère de « l’application de Bruxelles » et l’abus de confiance.

Quelques explications sur la loi française
La loi du 18 mars 1806[2], qui consacre un privilège de propriété exclusive en faveur des déposants de dessins de fabrique, ne protège que les produits purement nationaux et non les produits étrangers.
En conséquence la propriété d’un dessin de dentelle dite « application de Bruxelles »ne peut être revendiquée en France  par celui qui fait fabriquer à l’étranger (surtout antérieurement au dépôt) des découpures de dentelle destinées à être appliquées en France sur tissus français conformément aux dessins français.
Il en est ainsi de même que, que ce serait par abus de confiance que le fabricant aurait, pour son propre compte, reproduit et vendu ce dessin, qui ne lui aurait été confié que pour la mise en œuvre des découpures destinées par le propriétaire du dessin à être appliqués en France sur tulle français.

Le jugement d’appel du tribunal de commerce de la Seine décidait en ces termes :
-          Attendu qu’à la date du 23 décembre dernier, Rosset et Normand ont fait procéder dans les magasins des défendeurs à la saisie d’une écharpe et d’un volant de dentelle dites « applications de Bruxelles » comme étant de la contrefaçon de deux dessins qu’ils venaient de déposer au secrétariat du Conseil de Prud’hommes de Paris le 19 du même mois, dessins qu’ils ont fait mettre en œuvre en Belgique, et dont ils revendiquent la propriété ;
-          Attendu qu’avant de rechercher s’il y a en effet contrefaçon, il y a lieu d’examiner si les demandeurs se trouvent dans les conditions légalement nécessaires pour empêcher les dessins de fabrique de tomber dans le domaine public et en conserver la propriété aux inventeurs.
-          Attendu qu’il est impossible de méconnaître qu’en déterminant les règles propres à assurer la conservation de la propriété de diverses inventions industrielles, le législateur n’ait eu toujours et surtout en vue la production de la production exclusivement nationale ;
-          Que cette intention se révèle invariablement dans toutes les lois et documents législatifs qui ont traité de la matière, soit pour le dépôt de dessins, soit au point de vue des brevets d’invention ;
-          Qu’ainsi la loi de 1844 sur les brevets d’invention (Art.32) prononce la déchéance contre le breveté qui introduirait en France des objets fabriqués à l’étranger et semblables à ceux qui sont garantis par son brevet ;
-          Attendu la loi du 18 mars 1806, qui trace les mesures conservatrices de la propriété des dessins ;
-          Attendu que Rosset et Normand reconnaissent eux même que c’est à Binche (Belgique) qu’ils ont fait mettre en œuvre les deux dessins de dentelles déposées par eux au Conseil de Prud’hommes de Paris ;
-          Que les pièces de comparaison par eux produites ont été également fabriquées à Binche[3], qu’elles sont donc en réalité un produit étranger ;
-          Qu’il est même constant, en fait, que la fabrication par eux faite en cette ville à l’étranger de même que l’achat des tissus saisis chez Selleron, Delange et Compagnie, avait de longtemps précédé l’époque du dépôt, que si le fabricant belge qu’ils ont employé, abusant, comme ils le prétendent, du mandat qu’ils lui confiaient, a produit pour son propre compte le même dessin le même dessin et l’a mis en vente. Ce fait blâmable, s’il était prouvé, pourrait sans doute fournir à Rosset et Normand ouverture à une action personnelle contre lui devant les juges compétents, mais il ne lui saurait suffire pou leur rendre, à l’égard des tiers requérants de bonne foi , le droit originaire de propriété qu’ils ont perdu de leur propre fait ; qu’ils sont donc sans action contre Selleron, Delange et Cie, et ne doivent nullement imputer qu’à eux-mêmes le dommage qui peut résulter pour eux de la préférence qu’ils ont donnée à l’industrie étrangère pour la reproduction de leurs dessins, et de la déchéance qui s’en est nécessairement suivie.
Signé : M.M. Partarieu-Lafosse, conseiller f.f. de président.
            Blanc, Liouville et Devaux, avocats.  ».




[1] La firme « Rosset et Normand » était établie à Paris, 32 rue Feydeau et à Lyon, rue Royale. Elle présenta ses produits, soieries, dentelles, etc. à Bruxelles en 1851.
[2]  Cette loi avait été promulguée afin de protéger les fabrications de dessins de soieries provenant de Lyon.
[3] La firme « Selleron, Delange et Cie. » avait acheté ces dentelles à la maison Chalier-Dupret de Bruxelles. Celle-ci avait acheté au trafiquant de dentelles Nicolas Delwarde-Légaux.

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