lundi 6 décembre 2021

        LES VITRAUX DE SAINTE GUDULE A BRUXELLES PAR BERNARD VAN ORLEY

                                                                                                                                                   Alain GRAUX

 Il est un domaine dans lequel Bernard van Orley exerça une action prépondérante et où son talent apparaît et imprègne plus que jamais de l’influence de la Renaissance italienne, c’est celui de l’art de peindre sur verre. Il s’y montre  à la fois novateur et artiste excellent. Les productions de son crayon continuent, après plus de cinq siècles à exciter l’étonnement et l’admiration

Cet art fut le but constant des efforts de Van Orley,  efforts qui finirent par être couronnés par le succès le plus complet,  comme le prouvent les admirables vitraux de la croisée de l'église de  Sainte-Gudule, de Bruxelles, où il déploie sans efforts, et à un degré  éminent, son talent de dessinateur et de coloriste.

Afin de faire agréer une composition, il fallait d'abord en exécuter un premier dessin ou carton, de  dimension réduite. Le sujet adopté, il  était nécessaire d'en exécuter un second, grandeur d'exécution, et suffisamment détaillé pour servir de guide aux ouvriers. Un simple raisonnement suffit pour comprendre que ces derniers, quelle que fût leur habileté et leur expérience, ne pouvaient se contenter d'un croquis, d'une ébauche; il leur fallait un modèle de dimension suffisante.

C'est ainsi que pour les verrières de Sainte-Gudule, Van Orley a, non seulement composé des cartons moindres, mais encore d'autres très développés, grandeur d'exécution, où toutes les figures et tous les détails d'ornementation sont dessinés avec une régularité, une élégance qui étonnent et qui le placent certainement au premier rang des dessinateurs d'une époque qui a laissé d'admirables modèles en ce genre. Ce dernier travail n'a peut-être pas été fait entièrement de sa main, mais a certainement été exécuté sous sa direction et avec sa participation. Il constitue pour lui un véritable titre de gloire.

Il y avait longtemps que l'église principale de Bruxelles, la collégiale des Saints Michel et Gudule, était décorée de vitraux peints, mais rien  n'y est resté des productions de l'art tel qu'on le pratiquait au Moyen-âge. Toute l'ornementation de la cathédrale a été, sous ce rapport, renouvelée au XVIe siècle. Déjà, de 1510 à 1530, elle était ornée de nouvelles verrières exécutées par  Jacques de Vriendt ou Floris, d'Anvers, représentant le Jugement dernier, lorsque les fabriciens  se décidèrent à s'adresser à Bernard Van Orley pour d'autres travaux du même genre.

 


Vitrail du couronnement de Charles-Quint et de son épouse Isabelle de Portugal

 Les transepts de Sainte-Gudule  sont éclairés par une immense fenêtre qui occupe, au-dessus d'une porte, donnant  accès dans le temple, presque tout le mur terminal. Ces fenêtres sont en ogive, ainsi que les meneaux qui les décorent, mais les pages splendides dont Van Orley les orna appartiennent au style de la Renaissance. Au centre, se dessine un arc triomphal sous lequel Charles-Quint et Elisabeth de Portugal, d'un côté, Louis, roi de Hongrie, et sa femme Marie, soeur de Charles, de l'autre, se montrent agenouillés devant un autel, somptueusement vêtus et accompagnés de leurs patrons : Saint Charles (Charlemagne) et sainte Elisabeth d'une part, la Vierge et Saint Louis, roi de France, d'autre part. Dans le bas sont tracées des inscriptions et l'on voit deux guerriers, vêtus à la romaine, tenant des étendards. Dans le haut, la clarté se répand à grands flots et laisse apercevoir un réseau très compliqué, mais où l'on ne trouve que çà et là une armoirie, de manière à former une décoration d'une extrême légèreté et du plus bel aspect. La couleur se distribue dans ces verrières de manière à en augmenter encore l'effet magique. Tout l'effort est concentré dans la partie centrale ; là les plus vives nuances, où l'or domine, sont prodiguées pour rehausser l'éclat de la scène principale, tandis que, par un heureux contraste, la partie inférieure est plus sobre décoloration et que la partie supérieure présente seulement quelques détails, de couleur très vive, se détachant sur une masse claire. Jamais, on doit l'avouer. Van Orley ne s'est montré plus grand coloriste ; car c'est lui, on le conçoit, qui a donné au verrier proprement dit toutes les indications nécessaires. Le verrier n'a fait évidemment qu'exécuter ses ordres.

Un peut sans doute lui reprocher de ne pas répondre à la pensée qui animait dans le principe les peintres de vitraux, de ne pas être empreint de cet esprit religieux ou plutôt mystique, qui dominait au Moyen-âge. On y cherche, plutôt que l'on y trouve, des détails rappelant la destination  des verrières d'orner le temple de Dieu. Mais, de son temps, on songeait surtout à glorifier les grands de la terre, et la représentation du prince tenait la place d'honneur. C'est à cette considération que l'artiste a obéi en ne laissant qu'une place secondaire aux épisodes religieux. Cette réserve faite quant à la disposition générale des vitraux, on ne peut qu'en admirer l'ordonnance. Bernard Van Orley les exécuta en 1537 et

1538, comme l'indique un millésime placé sur chacun d'eux dans le haut. « Au mois de décembre de cette année (1537), le lendemain de la Saint-Thomas (ou 22 décembre), fut placé, dit une chronique manuscrite de Bruxelles du temps, le beau vitrail de Sainte-Gudule, près du baptistère. Ce vitrail représentant Charles-Quint et sa femme, fut fait par maître Bernard Van Orley, peintre, et bourgeois de Bruxelles. » La verrière qui fait face, et qui date de l'année suivante, fut entreprise par Bernard pour 375 florins du Rhin, auxquels la fabrique ajouta encore 50 florins. Pour aider les marguilliers à acquitter cette dépense, le gouvernement de Charles-Quint leur abandonna 174 florins provenant d'un billet gagné dans une loterie et dont le domaine avait hérite comme délaissé par un bâtard. Pendant les troubles de religion, ce vitrail, parait-il, eut beaucoup à souffrir, car les maîtres d'église de Sainte-Gudule dépensèrent, à ce qu'ils disent dans une requête de l'année 1614, plus de 1.600 florins pour le réparer convenablement.

A la même époque, on construisit à Sainte-Gudule, à côté du choeur principal, une grande chapelle latérale, érigée en l'honneur du Saint-Sacrement de Miracle, où l'on devait conserver les hosties poignardées par les juifs, disait-on, en 1370. Lorsque le plan de cette partie du temple fut adopté, en 1532, ce fut Bernard Van Orley qui en peignit une reproduction et qui reçut, pour ce travail, 10 florins carolus ou 2 livres 18 sous (quittance datée du 24 novembre). La chapelle achevée, on résolut d'en garnir les fenêtres de vitraux peints et ce fut notre artiste qui conçut le plan de cette décoration et en exécuta une partie. Les fenêtres, non compris les baies moins grandes donnant au-dessus des bas-côtés qui séparent la chapelle du chœur, sont aux nombre de cinq : quatre vers le nord, et une à l'abside. Les quatre premières ont continué à subsister, la cinquième, après avoir disparu, a été refaite de nos jours, sur les dessins et par les soins de Capronnier. Si la mon empêcha Van Orley de les achever toutes, du moins on peut dire que l'idée qui a présidé à l'exécution de ces verrières est de lui.

Chacune d'elles constitue un don de têtes couronnées. Elles sont dues à la munificence : la première de Jean, roi de Portugal, et de Catherine d'Autriche, sa femme; la deuxième de Marie de Hongrie, la troisième de François I", roi de France, et de sa femme, Éléonore d'Autriche, et la quatrième de Ferdinand, roi de Hongrie ou des Romains, et de sa femme, Anne de Hongrie. Ces personnages y sont représentés à genoux, avec leurs saints patrons. Plus haut se passe une des scènes se rattachant à l'histoire de la profanation des hosties. Le bas est occupé par des écussons, avec inscriptions et autres détails décoratifs, qui se répètent dans la partie supérieure.

Près de François se tient saint François d'Assise, au-dessus duquel plane le crucifix; de ce dernier partent quatre rayons couleur de sang, qui vont frapper les mains et les pieds du pieux cénobite. Le tout forme un ensemble du plus bel effet; car, on le reconnaît.

Le troisième vitrail, le seul exécuté par Van Orley, reste un modèle, la décoration architecturale y est plus élégante, la pose des personnages plus gracieuse, la touche plus légère.

Dès l'année 1536, le gouvernement de Charles-Quint avait donné au chapitre de Sainte-Gudule une somme de 360 livres pour l'aider à orner de vitraux peints la nouvelle chapelle de cette église. Celui de Van Orley fut le premier placé en 1540; comme l'envoyé du roi de France demeurait alors à Malines, ce fut dans cette ville que le trésorier de l'église en alla chercher le prix, s'élevant à 222 couronnes d'or ou 400 florins. En vertu de l'accord qui avait été fait entre l'artiste et les marguilliers, les patrons ou modèles furent remis à ceux-ci, le 24 janvier 1541-1542, par les héritiers et les orphelins de Van Orley, moyennant le paiement de 4 livres 10 escalins de gros ou 18 florins.

Les autres vitraux ne furent édifiés qu'en 1546 et 1547; ils furent exécutés par Jean Van Haecht, d'Anvers, d'après les dessins (au moins pour deux d'entre eux) de Michel Coxie. Mais on peut supposer que celui-ci profita des indications de son maître, car depuis il ne se livra plus à des compositions du même genre, soit qu'il ait craint de ne rien faire de comparable aux créations de Van Orley, soit qu'il ait dédaigné de participer à un art qu'il considérait comme secondaire.

Il est d'autant plus regrettable que celui-ci n'ait pu achever l'œuvre qu'il avait commencée. A sa mort, le chapitre de Sainte-Gudule acheta de son fils Jérôme, des esquisses qu'il avait préparées dans ce but, et du peintre Gilles Willems, qui demeurait alors chez lui, le dessin qu'il avait esquissé pour la fenêtre dont le roi de Portugal avait promis de faire les frais.

Bibliographie

A. HENNE, Les arts en Belgique sous Charles-Quint, Bruxelles, 1845.

E. LEVY, Histoire de la peinture sur verre en Europe et particulièrement en Belgique, Bruxelles, 1860.

A.WAUTERS, Bernard van Orley, Paris, 1892.

Vitrail représentant Louis II de Hongrie et son épouse Marie d’Autriche

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