jeudi 14 juin 2018

L'industrie de la confection à Binche (1919-1980)


L’INDUSTRIE DE LA CONFECTION A BINCHE  (1919-1980)

                                                                                                                                         Alain GRAUX

La relance de l’économie après la première guerre mondiale

Le Frein que constitua la guerre 1914-1918, n'empêcha pas la relance de l'économie. Les firmes de confection binchoise, menacées par l'expansion des ateliers bruxellois de confections, envisagent la modernisation.  Le travail à cette époque ne manque pas.

Alors, la confection des vêtements commence à se fractionner au sein des usines, mais ce n’est que vers 1930 que furent créées les premières usines mécanisées appliquant au secteur vestimentaire les principes de la production industrielle



L’institut de la confection

Après la première guerre mondiale, le directeur de l'école industrielle, Mr Daloze, institua des cours pour -les chômeurs et des conférences pour les tailleurs. En 1930, la Commission administrative de l'école décida la création d'un comité de 4 patrons et de 4 ouvriers qui s'occupera de la section coupe et couture. Il faudra attendre le 16 février 1937 pour que cette section devienne "l'Institut de la confection"[1].



Facilités d’accès

Le recrutement nécessaire d'ouvriers et ouvrières venant des villages voisins était facilité par la création de lignes vicinales:

- Binche-Bersillies-l'Abbaye vers 1912,

- Binche-Anderlues le 4-7-1926

- Binche-Bray le 14-2-1931. Cette liaison compléta la ligne Charleroi-Binche-Mons [2].



La mécanisation à plus grande échelle

La mécanisation permit la baisse du prix de revient et l'intensification de la production. 20.000 vêtements par semaine s'exportaient vers la Hollande, la Suisse, la Norvège, la Suède. Cinq usines se mécanisent entre 1937 et 1940, d'autres hésitent vu la proximité du second conflit mondial.

Le travail à la chaîne permet l’organisation de bancs de machines, consistant en une succession de tables de couture, de machines à coudre et de presse. L’ensemble du banc effectue le vêtement en entier.



La grève de 1936

Le premier conflit entre les ouvriers et le patronat binchois prit cours en juin 1936.

Le 20 juin 1936 le Collège du bourgmestre et des échevins est réuni d'urgence:

Un comité de grève composé de MM. Finet, conseiller communal, Garin, Browet et Devos, demande aux commerçants binchois de fermer leurs magasins par sympathie.

Ces derniers sont représentés par le comité de l' « Union des commerçants binchois »: Jean Constant, président; Jongen, trésorier; Bardiaux et Delattre.

Après la sortie des personnes prénommées, le bourgmestre Derbaix reçut par téléphone, une demande de la "Chambre syndicale des patrons tailleurs" sollicitant une entrevue.

Une délégation de celle-ci est reçue, elle est composée de MM. Georget Hupin, président; Lucien Basselier; Elie Chevalier; Gérard Deliège; Alfred Derave; Amédée Empain; Narcisse Gigounon; Henri Niedergang et Arthur Traets.

Mr Hupin "exprime les regrets des patrons tailleurs que la liberté du travail n'ait pas été respectée, et que mercredi matin 17 courant, les forces de police aient été impuissantes à permettre aux ouvriers et ouvrières qui se présentaient d'entrer dans les ateliers qui les occupent, malgré l'opposition des groupes de grévistes qui barraient l'accès des établissements..".

Le bourgmestre exposa le détail de ses démarches auprès de la gendarmerie et du gouverneur du Hainaut pour faciliter l'entrée des usines, mais en fit remarquer le grand nombre et la dissémination des ateliers.

Mr Hupin reconnut la carence de la gendarmerie, il exposa " que les patrons emploient un grand nombre d'employés (coupeurs et employés de bureaux) payés au mois et qui ne se sont pas déclaré en grève. Les employés se présentent chaque matin mais sont empêchés par les piquets de grévistes. Les traitements des intéressés se montent à 75.000 Fr. par jour. Les patrons demandent si l'administration communale se déclare en mesure de faire respecter la liberté du travail".

Le bourgmestre ne put donner cette garantie et les patrons se retirèrent[3].

Le 23 juillet 1936, le Collège reçut séparément puis ensemble les délégués de la Chambre syndicale des patrons tailleurs, des délégués des syndicats des employés et les délégués des syndicats d'ouvriers tailleurs en vue de régler le conflit qui les divisaient. Après une discussion qui dura quatre heures, les trois parties se mirent d’accord sur des améliorations à apporter aux conditions de travail en attendant l'instauration d'une commission paritaire qui sera sollicitée d'urgence.

Le travail devait reprendre le lendemain mais le 26 juillet 1936, le Collège fut de nouveau interpellé par les patrons qui exposèrent que malgré l'accord signé la veille, les tailleurs avaient rejeté les propositions patronales et qu'en conséquence les patrons avaient décidé de rester sur leurs positions et de fermer plutôt leurs ateliers. On décida alors de rédiger une circulaire à distribuer en ville donnant le compte-rendu de la réunion de la veille et expliquant l'accord conclu[4]. Cette mesure calma les esprits des plus belliqueux et le travail reprit dans les jours suivants.

L’accord conclu entre les membres de la Chambre patronale et les trois  syndicats était le suivant :

Salaire minimum de 32 Fr. pour les adultes masculins, par jour.

Majoration de 5% sur les salaires inférieurs à 5 Fr.

Minimum de 1,5 Fr. l’heure pour les ouvrières après 3 semaines d’apprentissage.

Minimum de 2 Fr. l’heure pour les mécaniciennes.

Accord de principe sur le congé payé de 6 jours

Apprenties : 150 Fr. par mois

Coupeurs de séries : 950 Fr.

Locaux garantissant toutes les conditions de salubrité et d’hygiène

Abandon de toutes mesures de répression pour faits de grèves. Le comité de la Chambre syndicale des patrons a informé ses membres qu’il a décidé de déduire ou de récupérer les heures perdues, pendant les jours de grève, par le personnel coupeur, se référant en cela à une consultation juridique qui estime qu’il y a rupture de contrat[5].



Le recensement économique de 1937

Le recensement économique du 27 février1937 renseigne 92 firmes de confection pour hommes occupent 1801 personnes. A trois firmes de vêtements pour hommes et dames sont attachés 21 personnes.



Sous l’occupation allemande de 1940 à 1945

Au début de l'occupation allemande, un ordre de réquisition fut lancé. Les tailleurs binchois se réunirent et se répartirent le travail. Certains patrons ne travaillèrent que par les ordres de réquisition. L'occupant procure du travail en salopettes, blousons ouatés etc. Toute la ville travaille pour les Allemands, il faut bien vivre, un seul confectionneur refuse de travailler, Georges Gigounon, son entreprise ne subsistera pas. D'autres vécurent chichement, travaillèrent parfois dans la clandestinité.

La qualité médiocre des matières premières eut pour conséquence néfaste l’usure prématurée des machines non fabriquées pour façonner des produits de remplacement et d’autres étoffes ersatz[6].

Les confectionneurs binchois devront répondre de leur collaboration économique au lendemain de la guerre, 300.000 mètres de tissus sont saisis pour une valeur de 70.000.000 Fr. (12-23 novembre1944).

Nous ne nous attarderons pas sur cette période néfaste de notre histoire nationale. On se rapportera utilement en ce qui concerne l’industrie de la confection à l’étude de Françoise Lecrenier[7]

L'union professionnelle "Syndicat chrétien des tailleurs et tailleuses de Binche et communes limitrophes" fut dissoute le 17 février 1942, elle cessa d'exister, faute de membres. L'acte est signé à cette époque par le président Boudart et le secrétaire Pruniaux[8].

Le procès de tailleurs de Binche commencera en mai 1945. Le jugement rendu en juillet 1945 par le Conseil de guerre de Charleroi au procès des confectionneurs binchois qui avaient travaillé pour les Allemands, avait été cassé par la cour de cassation. Il reprit le 12-4-1948 devant la cour militaire de Bruxelles.



Les organisations patronales et ouvrières après 1945[9]

A la fin du conflit, la vie économique reprend. La Chambre syndicale groupe alors 59 maisons de confection. 3 à 4.000 personnes y sont occupées.

De nombreux organismes officiels et privés virent le jour où revinrent à la surface: La Commission consultative des employés; la Commission paritaire régionale; les patrons sont unis au sein de la "Chambre syndicale de la Confection binchoise" dont le président est Georges Hupin-Deblocq; les ouvriers tailleurs chrétiens s'affilièrent à la "Centrale des ouvriers chrétiens de l'industrie textile de Belgique, section vêtement", dont le responsable, Enoch Lecomte (1947), tenait ses permanences rue des Archers[10]; les ouvriers socialistes sont affiliés à la "Fédération générale des travailleurs de Belgique, Centrale du vêtement et parties similaires", représentés par F. Liebaers.



Reprise économique après 1945

L'actualité sociale sera à l'ordre du jour à partir de la reprise des activités en 1946 jusqu'au moment où l'industrie de la confection sera moribonde à la fin des années 70.

Dès 1945, la baisse de la main-d’œuvre qualifiée força un bon nombre d'ateliers à se mécaniser.

Quinze firmes abandonnèrent le travail à domicile:

En 1945: 3; en 1946: 5; en 1947: 4; en 1948: 3[11].

Le nombre et la cadence des commandes permettent de les échelonner sur toute l'année (aucun ralentissement n'est en vue dans les affaires) et les prix demandés, exigés et obtenus par les ouvriers à domicile montent en flèche[12].



La convention de 1946

Le 23 août 1945, patrons et syndicats adoptent une convention réglant les conditions d'emploi au sein des entreprises binchoises.

Les employeurs s'engagent à maintenir les avantages accordés avant septembre 1939, même pour les ouvriers ayant changé d'établissement, ceux qui ne les avaient pas obtenus obtiennent les mêmes avantages. A partir du 1-5-1945 les coupeurs, échantillonneurs, apprêteurs, magasiniers, etc. bénéficient d'avantages substantiels:

L'appointement mensuel fixe, 15 jours de congé annuel, l'indemnité égale au traitement pendant le mois de maladie et un préavis en cas de licenciement.

Cette convention définit en annexe certains termes qu'il est intéressant d'examiner succinctement:

Le coupeur: celui qui trace et coupe les confections d'après des modèles préétablis; celui qui crée des modèles.

L'échantillonneur: celui qui a fonction d'échantillonner les tissus rentrés et d'en faire des collections étiquetées et destinées à la représentation.

L'apprêteur: celui qui découpe les fournitures nécessaires à la confection du vêtement entier. Par contre celui qui découpe les doublures à la machine sous la responsabilité d'un contremaître n'est pas considéré comme apprêteur mais comme ouvrier découpeur de doublure.

Cette convention définit aussi les barèmes d'appointements pour les ouvriers, hommes et femmes, pour les apprentis, ainsi que pour les employés de bureaux.

De plus elle définit en sept catégories, le travail féminin dans les ateliers mécanisés.

Tout le travail des ateliers binchois sera ainsi défini pour les années qui suivront l'après-guerre.



La grève de 1946

Néanmoins une grève éclata le jeudi 10 octobre 1946 dans les ateliers mécanisés, à propos d'une révision à la hausse des barèmes effectuée en août 1946 et qui n'avait pas été entérinée par la Commission paritaire nationale, malgré le rappel Fréquent des syndicats.

Afin de mettre fin à ce conflit, la Commission paritaire régionale de Binche décida qu'une avance serait payée et que tous les ouvriers intéressés seraient consultés avec vote à bulletins secrets le lundi 14 octobre. La première convention de salaire fut admise en Commission paritaire de la confection pour hommes fut signée en fin octobre 1946.



Le recensement industriel de 1947

En 1947, il y avait 78 usines dont 27 mécanisées et 119 tailleurs à domicile[13].



La Fédération Nationale de l’Industrie du Vêtement

Afin de donner une plus grande impulsion à l'industrie du vêtement, l'Institut de recherches économiques du Hainaut, lança une enquête le 13-2-1948, sur l'industrie du vêtement. Le bourgmestre de Binche, Charles Déliège présidait la Commission d'enquête[14]. Le résultat de l’enquête fut publié en marss la revue « Le Hainaut économique »

Le 12-6-1948, afin de défendre leurs intérêts et de maîtriser toutes les ressources et potentialités économiques, les patrons de l'industrie du vêtement se groupèrent en une "Fédération nationale des industries du vêtement et de la confection »[15]. De nombreux patrons binchois s'affilièrent à cette fédération.



La concurrence hollandaise

L'activité des Binchois fut contrariée par les accords Benelux, qui voient la Hollande concurrencer l'industrie binchoise, en raison des salaires moins élevés qu'elle octroie à sa propre main-d’œuvre

Le coût de la vie est plus bas en Hollande qu’en Belgique, les charges sociales  sont minimes dans ce pays

En conséquence les prix de revient et de vente sont un tiers plus élevés en Belgique qu’aux Pays-Bas[16].



La guerre de Corée

En 1950, la guerre de Corée est venue jeter le trouble dans la marche normale des affaires: les manipulations qu'elle a provoquées sur le marché de la laine, ont amené l'industrie binchoise bien près de sa perte. En effet l'obligation pour les confectionneurs d'acheter jusqu'à 6 mois d'avance leur matière première entraîne un manque de sécurité dans la stabilité des prix. En 7 mois la laine passant du simple au double et retombant au 1/3 ne pouvait que créer des perturbations. Cette situation se stabilisa en 1951[17].



L’affaire royale

L'affaire royale, en 1950, provoqua un mouvement social important qui perturba comme partout toutes les industries et en particulier celle  de la confection à Binche. Une grève générale étendue à tout le pays et surtout en Wallonie débuta dans la région du Centre le jeudi 27 juillet. A Binche, la grève touche 50 % des usines de confection. Le lundi 31 juillet, des incidents eurent lieu à l'usine Hupin. Cette nuit là, le roi Léopold accepte de céder ses pouvoirs au prince Bauduin et d'abdiquer un an plus tard. La F.G.T.B. appelle à reprendre le travail le mercredi[18]



La grève de 1952

Un appel commun lancé par F. Liebaers (F.G.T.B.) et J.Claassens (C.S.C.) invitait les ouvriers de la confection binchoise à se réunir le 14 mai 1952 au Waux-Hall afin de revendiquer une majoration générale des salaires de 7,5 % et de 10 % pour les débutants. Cette revendication avait été formulée lors de la réunion de la commission paritaire  du vêtement du 28 avril. Les patrons refusèrent lors de réunions de conciliations qui eurent lieu le 17 et 19 mai sous la présidence de Mr Castelain. Les ouvriers déposèrent un préavis de grève pour les établissements Hupin-Brichot, Basselier-Bourgeois, Lescalier, Vve. Delhalle et Gigounon-Dessart. Cette grève débuta le 26 mai. Nous pourrons suivre l'évolution de ce conflit social dans les rubriques de la liste consacrée aux entreprises, car cette grève prit des aspects bien différents suivant les sièges d'exploitation. Néanmoins elle se solda par un échec par le manque d'organisation des organisations syndicales et la riposte musclée des patrons, la grève s'épuisa jusqu'au début du mois de juin.

Suite aux accords entre les membres du Benelux, les confectionneurs binchois proposèrent une taxe compensatoire sur les articles de confection importés de Hollande, car disent-ils la disparité des salaires belges et hollandais entraîne une concurrence déloyale de la part des Hollandais.

On pût heureusement constater que la fabrication hollandaise, qui ne confectionnait que des vêtements à bon marché, ne concurrençait que partiellement la fabrication binchoise, qui ne travaillait que le "beau" vêtement.



La convention de 1954

Le 25 octobre 1954, la Fédération Binchoise des Industries du Vêtement (F.B.I.V.)[19] (2), représentée par A. de Stexhe; L. Basselier, P. Legrand et Ed. Deprez. La Centrale du vêtement et des parties similaires de Belgique, section de Binche,  représentée par G. Richard et L. Depauw. La Centrale chrétienne des travailleurs du textile et du vêtement, section de Binche, signèrent une nouvelle convention remplaçant celle d'août 1945.

On y définit:

a) les fonctions relevant du contrat de travail pour le magasinier, coupeur, plieur matelassier, ponceur, découpeur, réceptionnaire, vérificateur, chef presseur, emballeur et contremaître, contredame ou chef de banc d'atelier de confection.

b) les fonctions relevant du contrat d'emplois pour le chef magasinier, chef de coupe, coupeur première catégorie, modéliste dessinateur, créateur de tracés économiques, chef apprêteur, chef d'atelier de confection, contremaître chef de banc, chef réceptionnaire, coupeur réceptionnaire, chef presseur, chef expéditeur, chef échantillonneur.

c) les organismes de surveillance tels, commission paritaire, prud'homme, inspection du travail.

Le seul énoncé de toutes ces fonctions montre à quel point l'industrie mécanisée s'est développée.



La semaine de cinq jours

En 1955, Binche est à la tête de l'actualité sociale en instaurant à partir du 19 septembre 1955, les conditions d'essai de la semaine de 5 jours dans quelques firmes: les établissements. Basselier-Bourgeois, A. Bosman, D.B.M., Hupin-Brichot, Aug. Lescalier et Stone-Legrand.

La politique commerciale des marchés belges ou européens avait évolué énormément. A la fin de la guerre, les usines pouvaient agrandir leur marché aux dépens d'un espace vide non occupé par un concurrent, tandis qu'à la fin des années 50, le marché est saturé et les entreprises ne peuvent se faire de nouveaux clients qu'aux dépens de la concurrence.



Le colloque de 1958

En conséquence les patrons binchois envisagèrent un colloque au sein de la F.B.I.V. Il se tint le 25-11-1958, ses travaux définirent la façon d'améliorer une politique commerciale harmonieuse, d'étudier le comportement des individus et le rôle des chefs d'entreprise, de voir quelles sont les façons de mieux gérer leurs usines, d'en améliorer les structures.



La convention de 1960

Le 28 décembre 1959, les syndicats CSC et FGTB, sections du vêtement adressèrent à la Commission Paritaire Nationale de l'industrie de l'habillement et de la confection un cahier de revendications portant sur des augmentations de salaires, la suppression du travail du samedi, la suppression du régime d'amendes et l'octroi de diverses primes. Ces revendications furent partiellement rencontrées par le patronat, elles aboutirent à une convention signée le 23 mars 1960 et applicable à partir du 9 avril.



La loi unique (1960)

Des escarmouches entre les uns et les autres eurent lieu par voie de tracts. D'autre part, le gouvernement Eyskens avait au début de 1960, souhaité supprimer les subventions aux charbonnages et l'intention de fermer quelques sièges d'extraction.

Devant l'effervescence régnant dans le bassin du Borinage, le comité de la FGTB du Centre décida le 13 février, d'organiser une grande concentration des mineurs de la région.

Les événements iront plus vite, une grève spontanée s'étendit à d'autres secteurs: 

la sidérurgie et les usines Kéramis à La Louvière, les usines textiles de Binche furent touchées par des piquets de grèves "volants". Ce mouvement prendra fin vers le mois de mai.

Le 27-9-1960, Gaston Eyskens, qui venait de remanier son équipe ministérielle, annonçait un programme économique et social qui prendrait la forme d'un projet de loi unique déposé le 4-11-1960: il comportait des impôts nouveaux, des "assainissements" dans la sécurité sociale, etc. Ce projet devait être le départ d'un conflit social sans précédents.  Une grève générale démarre spontanément le 20-12-1960, jour de l'ouverture du débat à la chambre sur le projet de loi. Comme dans toutes les localités du Centre, les ouvriers binchois cessent le travail. Dès le 23 décembre, des heurts entre grévistes et gendarmes se produisirent comme en 1950, devant l'usine Hupin. Une concentration a lieu à Binche, l'après-midi du 27 de même que le 29, où la ville est envahie par un cortÈge de 15.000 grévistes venus de toute la région. Cette grève agonisa vers le 15 janvier, l'ardeur des grévistes faiblissant de plus en plus. La loi unique avait été votée à la Chambre le 13-1-1960[20].

Relevé statistique de 1960

Un relevé statistique concernant l'arrondissement de Thuin, concernant principalement Binche, renseigne qu'en 1960-1961, l’industrie du vêtement emploie:

Hommes: Employés:   323                   Ouvriers:     611

Femmes: Employées:  111                   Ouvrières: 2445

                                     ----                                     ------

Total:                            434                                   3056[21]



La crise de 1968

Vers 1968, la crise pèse sur l'industrie de la confection, le chômage saisonnier s'amplifie, plus de mille emplois furent supprimés en un an[22].

C'est à l'initiative du sénateur-Bourgmestre de Binche, Charles Déliège qu'une réunion se tint le 2-2-1968 à l'hôtel de ville. Elle rassemblait autour des autorités communales, de nombreux patrons binchois et délégués syndicaux, des délégués du ministère des affaires économiques et du commerce extérieur.

Le bourgmestre rappela que la situation économique du Centre s'était délabrée, que les mines et usines métallurgiques fermaient leurs portes, et en particulier pour Binche, celles de l'usine Levacq. La confection restant la principale et la seule industrie locale. Il parla du chômage grandissant et en rechercha les causes, la diminution du pouvoir d'achat des nombreux ouvriers licenciés, la mode des jeunes qui délaisse le pardessus au profit de vêtements moins classiques qui ne se fabriquent pas à Binche, le manque d'exportation et la différence des prix avec l'étranger, la concurrence de l'Allemagne, la diminution du nombre de vêtements fabriqués en série au profit de la mesure et de la demi-mesure.

Il préconisa donc l'exportation à plus grande échelle et passa la parole aux délégués ministériels qui firent connaître les avantages que les confectionneurs pouvaient tirer des lois pour l'extension des entreprises et de la participation aux foires internationales. Les questions et réponses fusèrent de la part pour préparer des lendemains meilleurs[23].

Dans une lettre au ministre Merlot datée du 24-9-1968, le bourgmestre signale les difficultés de l'industrie du vêtement et en particulier de la concurrence allemande, il dit qu'il y a plus de 30 % d'ouvriers et ouvrières en chômage complet et plus de 60 % en chômage partiel[24].

Le ministre des affaires économique lui répondit le 7-10-1968, que malgré l'instauration du libre échange dans le territoire de la C.E.E., les importations allemandes sont peu importantes.



Projets de fusion d’entreprises (1968-1975)

Au sein de la F.B.I.V. les patrons confectionneurs ne restèrent pas inactifs à la défense de leur industrie, une réunion se tint fin 1968 ayant pour but la restructuration de la confection: quinze firmes se déclarèrent partisans de collaboration:

Un premier groupe comprenant les établissements Basselier, Bosman, D.B.M., G. Gigounon, R. Ramboux, A. Traets et Vétimo, Basoti, voulait bien s'unir allant jusqu'une fusion partielle ou totale. Mais bien vite des divergences de vues s'établirent au sein du groupe, la firme A. Bosman se retira du projet, après avoir envisagé la fusion de l'ensemble, les-uns se dirent que du fait de la situation spéciale chez certains, des affinités chez d'autres, etc...Il serait peut-être préférable de poursuivre la discussion entre 2, 3, ou 4 d'abord.

Un autre groupe comprenant les firmes Bardiaux, Briquelet, Deliège-Thomas, Gigounon-Dessart, Legrand-Piret, Lescalier, Stone-Legrand étaient prêtes à passer des accords de collaboration avec des secteurs d'activités bien précis.



Déclin progressif de l’industrie de vêtement

Le congrès international des industries de l'artisanat tenu à Luxembourg en octobre 1973 mit en évidence le déclin de l'industrie du vêtement. Il souligne le fait que Binche produit 25 % de la production nationale dans ce secteur, mais qu'il y avait 49 firmes en 1960 et qu'il n'en reste plus dix ans plus tard qu'une trentaine. Peu à peu les entreprises de petites tailles, faute de pouvoir faire face aux problèmes de marché, ferment leurs portes[25].

Quelques autres éléments forcèrent le déclin de l'industrie de la confection. L'infrastructure générale de la région du Centre a quelque peu négligé la région:

-Binche est excentrique par rapport au tracé de l'autoroute de Wallonie et la lenteur de la réalisation de son accès par rapport à la ville est indéniable.

-La suppression de la voie ferrée Binche-Erquelinnes et la lenteur de l'électrification de la ligne Binche -La Louvière.

-Le remplacement de la ligne de tramway Binche-Mons .par des autobus.

En 1974, la crise bat son plein. Le 18 mars 1974, à l'invitation du "Fifty One Club de Binche", le directeur adjoint de l'I.D.E.A. donna une conférence sur la situation économique  de la région de Binche, on y découvre qu'en 1968, sur 11.000 emplois du canton de Binche, on en comptait 80 % à Binche dans le secteur de la confection.

Après le déclin marqué de 1968, la région connut une relance  de l'emploi en 1972, atteignant 12.700 emplois alors que Binche subissait une érosion continue de plus de 3.000 emplois.

La ville se trouve dans un problème de reconversion pratiquement insoluble, ne disposant pas des équipements nécessaires en matière de communications, la vocation de Binche serait dès lors résidentielle[26].

En 1974, Willy Burgeon, député de l'arrondissement de Thuin, lors d'un congrès économique local du P.S.B. exposa que les difficultés de la confection binchoise proviennent du caractère individualiste des entreprises qui sont pour la plupart de caractère familial. Trop souvent les cadres issus de la famille n'ont pas la qualification nécessaire pour faire progresser et adapter leur usine aux exigences du marché. Il regrette l'inexistence de centrales d'achat qui permettraient de faire chuter les prix des matières qui interviennent pour 50 % dans le prix de revient. Il prône le regroupement des entreprises binchoises et la spécialisation des firmes.

A la Chambre, le député Burgeon demanda au secrétaire d'Etat à l'Economie, sous quelles formes on pourrait envisager "une aide sectorielle sous la forme d'un contrat de progrès" ou d'élaborer "un contrat de restructuration" concernant les confectionneurs binchois[27].

Le 23 novembre 1974, la "Jeune Chambre économique binchoise" sous la présidence de René Hautmont organisa un colloque sur le thème: "A quels problèmes actuels et futurs sont confrontés les confectionneurs binchois?"

Elle avait auparavant effectué une enquête chez les confectionneurs pour la période 1970 à 1973. Il résultait de cette consultation que l'augmentation  du chiffre d'affaire (+30 %) ne semblait pas dû à une hausse des tarifs, mais à une quantité de vêtements produits (+20 %) accompagnée d'une diminution du personnel (- 7%) ce qui laissait un accroissement de productivité de plus de 20 % en 3 ans.

L'augmentation du chômage semble due à un problème de commercialisation la productivité étant plus forte que l'accroissement des ventes. Le chômage est ainsi provoqué par une saturation du marché belge. Les exportations tiennent une part minime dans l'ensemble de la fabrication binchoise.

En juillet 1975 Jean Gol, secrétaire d'Etat à l'Economie régionale wallonne, chargeait deux sociétés spécialisées dans l'analyse, l'organisation et la gestion financière, de lui présenter un rapport sur la situation des entreprises de la confection binchoises. Onze confectionneurs acceptèrent d'ouvrir leurs portes et leurs documents comptables.

Au terme de ces consultations les analystes préconisèrent un regroupement ou une collaboration entre plusieurs entreprises.

Le 15 décembre 1975 eut lieu à l'hôtel de ville une réunion importante qui réunissait le bourgmestre Leroy; MM. Furlan conseiller auprès de l'IDEA; Autenne, directeur de l'Institut Provincial de la Confection; les représentants des firmes binchoises: Deprez, D.B.M.; Hamaide, Vetimo; Legrand, Gigounon-Dessart; Decat, délégué de la Fédération belge du vêtement et le secrétaire François.



M. Furlan soumit les désirs du ministre de l'Economie, Gol, pour la poursuite des pourparlers entre son ministère et les entreprises binchoises. Trois problèmes furent examinés:

- La formation professionnelle de la main-d’œuvre.

- La formation des cadres et de la direction.

- La promotion de la confection binchoise.

Au 29 décembre 1975, seulement quatre firmes acceptèrent le principe du regroupement:

Les firmes D.B.M.; Stone-Legrand; Raymond Ramboux et Fils et Robert Deliège.

De nombreuses discussions suivirent pendant 9 mois entre ces firmes et le ministère de l'Economie. Malgré les bonnes volontés, elles ne purent aboutir.

Le mardi 21 octobre 1977, une table ronde de la confection s'est tenue à Binche pour analyser les problèmes de la confection. Le secrétaire d'Etat à l'Economie régionale wallonne, M. Urbain a évoqué le plan du gouvernement pour le soutien du textile, il préconise une politique de fusion  et de complémentarité des petites entreprises de manière à créer des entités plus grandes et plus rationnelles, il analysa aussi le cas de deux entreprises binchoises pour lesquelles une aide financière est prévue, si les études de son département s'avèrent favorables (Le Soir 27-10-1977)

Les mois de septembre et octobre 1978, voient l'offensive des patrons binchois face à l'administration communale, afin de diminuer le précompte immobilier qui était passé à 60 % pour la ville et la taxe sur le personnel qui passe de 300 Fr. à 500Fr. par personne occupée. Les établissements Marvan envisagent un déménagement[28]. La firme Vetimo, envisage une concertation avec la Ville[29]. Les firmes Auguste Lescalier et la F.B.I.V.C. protestent elles aussi.

Le 13 et 24 octobre 1978, à Bruxelles au cabinet du Secrétaire d'Etat à l'Economie régionale, R. Urbain, se réunit le patronat binchois, les intercommunales d'expansion économique et les interlocuteurs sociaux afin de décider de mesures pratiques pour assurer le sauvetage de la confection binchoise.

Le 23 novembre1978, la F.B.I.V.C. provoqua une réunion aux Ets. Debaise-Hannecart avec les organisations syndicales CSC, CNE, FGTB, SETCA, afin d'expliquer le point de vue patronal sur la crise que traverse l'industrie du vêtement.



La « Maison binchoise »

Toutes ces discussions débouchèrent sur un accord:

Les principales entreprises de l'industrie du vêtement binchoises constituent une société commerciale nommée " La Maison binchoise", mixte entre eux et l'Etat au capital de 9.000.000 de Francs dont 4.400.000 Fr. sont souscrits par l'Etat et 4.600.000 sont répartis entre:

S.A. Debaise-Hannecart                    : 2.600.000 Fr.

S.A. Aug. Lescalier                           : 1.000.000 Fr.

S.A. Vetimo                                       :   750.000 Fr.

Ets. Bardiau                                        :   150.000 Fr.

Manufacture Binchoise de confection:   100.000 Fr.

Une avance de fonds de 9.000.000 Fr. est consentie par l'Etat, remboursable en 10 ans et à faible intérêt [30].

Du côté syndical on insiste sur le fait que la pression des organisations syndicales a été déterminante et on signale que l'emploi avait encore régressé de 1500 emplois, avec notamment 600 emplois par la disparition de la firme D.B.M.[31].

Petit à petit le nombre d'entreprises vit son nombre se réduire, après une importante restructuration, les établissements "Marvan" firent faillite à leur tour en juin 1984.



Espoir de la profession

Quelques firmes d'une certaine importance représentèrent encore la confection binchoise grâce à une politique de fabrication et de vente un peu différentes:

Des établissements tels ceux Derval, Auguste Lescalier et Vetimo, Bardiau, ou encore Deprez à Waudrez, par des transformations et techniques de pointe. Ces firmes étaient les dépositaires du savoir-faire d'une ville qui s'est toujours singularisée par rapport au monde industriel régional.4



En guise de conclusion

Toutes ces firmes sont maintenant disparues à l’exception de la firme Bardiau qui s’est spécialisée dans la vente de vêtements de luxe.

Quelques firmes diverses se sont établies dans le zoning industriel de Péronnes-lez-Binche, elles représentent avec le tourisme l’espoir  de notre vieille ville industrieuse, qui telle un phénix renaît toujours de ses cendres

 

[1] Le Binchois, (petit historique paru en juin 1948).
[2] Présence du tramway, Bulletin de l'Association pour le Musée du tramway (AMUTRA) et A.V.B. 01-00-02-21.
[3] A.V.B. 01-00-02-23.
[4] Idem
[5] Coupures de journaux dans «  La page binchoise » du Journal du Centre de 1936
[6] La situation de l’industrie de la confection à Binche…o.cit.p.212.
[7] F. LECRENIER, De 1941 à 1945, l'U.T.M.I. dans le Centre, un syndicat à l'heure allemande, Haine-Saint-Pierre, 1993.
[8] Recueil des actes des unions professionnelles, acte n°76/504, Bruxelles, 1942, p. 126.
[9] L'essentiel des archives retraçant l'industrie de la confection après la guerre 40-45, que j'ai pu consulter, m'avaient été aimablement confiées par M. et Mme. Jean Stone.
[10] Le Binchois, avis paraissant chaque semaine en 1947.
[11] S.GLOTZ, La confection binchoise. Ses origines et son développement jusqu'en 1951, dans « Anciens pays et assemblées d'Etats », Louvain, 1972, t.56, p.338.
[12] GLOTZ S. La confection...o.cit. p. 339.
[13] GLOTZ S. La confection...o.cit. p. 340.
[14] Rapport sur l'industrie de la confection à Binche, éd. I.R.E.H., Mons, 1948, 45p.
[15] Annexes du Moniteur belge (MB) acte 1421, à la date.
[16] J. GONDRY, L'industrie du vêtement à Binche
[17] M.A. de Stexhe-Hupin, L'industrie de la confection à Binche, 1951
[18] F. JORIS, Mémoire ouvrière 1885/1985. Histoire des fédérations  Soignies, Thuin, pp.144
[19] Ancienne Chambre syndicale de la confection de Binche.
[20] F. JORIS Mémoire ouvrière...o.-cit, pp.155-157. -  J. GAILLARD Au fil des jours. Journal d'une grève, dans: « T'Avau Binche » n°716, 31-12-1960.
[21] Bulletin de statistique, n°1, janvier 1964.
[22] T'Avau Binche n° 1074 3-2-1968.
[23] T'Avau Binche n° 1074 3-2-1968.
[24] T'Avau Binche n° 1113, 23-11-1968.
[25] La confection binchoise en crise?, dans  « La Libre Belgique », 25-10-1973
[26] D.B., La reconversion de Binche, dans « La Libre Belgique », 18-3-1974.
[27] D.B. De grandes difficultés menacent la confection binchoise, dans Le Soir, 4-9-1974.
[28] Lettre de Pol Smeyers au bourgmestre Leroy, 22-9-1978.
[29] Lettre d’Amédée Hamaide au bourgmestre Leroy, 23-10-1978.
[30] Notre dossier économique: La confection binchoise,  dans « Le Binchois » n° 4, 26-1-1979. – « Le bout du tunnel » pour la confection binchoise, dans « L'Indépendance », 27-1-1979.
[31] D.B. Maison binchoise: la dernière chance du secteur local de la confection, dans: Le Soir, 25-1-1979.

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