IN BINCHOU
D’NIVELLES : EL JÉNÉRAL
Alain GRAUX
Je n’ai pu résister à l’envie de vous faire
connaître une famille de Binchois qui partirent habiter Nivelles, et dont le
journaliste Jean Vandendries relate une partie de leur vie[1] :
« …Le Jénéral,
a indubitablement laissé des souvenirs chez les Aclots. Sa biographie est surtout retracée par Georgette Courtin,
une nivelloise d’adoption, dans un texte manuscrit
Mariés en 1910 « avec rien » Edmond Lelièvre et Désirée Rochez étaient grossistes en pommes de
terre à Binche lorsque fut déclarée ce qui allait être la première guerre
mondiale.
Désirée n’avait pas eu une enfance riante. Sa
grand-mère lui avait appris très jeune à lire les cartes. A sa mort, elle fut
placée en orphelinat où on lui enseigna aussi « les ouvrages à la
main ».
Peu après les hostilités, le stock de patates
fraîchement rentré fut réquisitionné alors que le mari était rappelé sous les
drapeaux. La grosse maison des faubourgs de Binche connut quelques
mésaventures. Pour poursuivre, Désirée vendit un de ses chevaux et continua
vaille que vaille à écouler une partie de ses récoltes. La misère s’installa, la
forçant à manger en tout et pour tout trois sorets
par jour. Avec la tête s’il vous plaît.
Edmond fut victime d’une grave blessure en
Allemagne. Lorsqu’elle apprit qu’il allait être rapatrié, sa femme décida de
mettre leur fils Maurice chez les Sœurs et de « monter » sur
Bruxelles, avec Loulou, qui n’eut été sa queue en tire bouchon, aurait pu
passer pour un parfait setter irlandais.
L’expédition fit halte à Nivelles.
Le cheval et le camion ? On leur trouva
une remise et écurie au moulin Dulier.
La femme et l’enfant ? Une petite maison
de la rue Bayard fit l’affaire. Désirée mit à profit les leçons de
l’orphelinat, vivotant de couture et de broderie ainsi que de ses talents de
cartomancienne.
Exceptionnels étaient ses talents et la ville
ne tarda pas à s’en apercevoir. Le bouche à oreille fonctionna, lui amenant une
jolie clientèle tant à domicile qu’en consultations. Heureusement d’ailleurs,
car un marchand de bière devenu locataire d’une partie du moulin Dulier expulsa
le camion qui tomba en ruines.
Le cheval fut vendu à l’armistice alors que
Désirée multipliait les visites à l’hôpital afin de récupérer son mari. Elle y
parvint et alla rechercher leur fils. Le spectre de la misère noire s’évanouit
en même temps qu’un autre malheur la frappait de plein fouet ; la blessure
contractée au front hollandais était inguérissable et ce n’est pas la
« grosse » pension versée à Edmond qui ramena enfin la joie dans le
ménage. Désirée mourut d’une crise cardiaque à l’hôpital vers 1926-1927.
Son mari resta invalide jusqu’à la fin de ses
jours. Il était fort comme un chêne. La guerre l’avait marqué à vie et avait
provoqué au cerveau des lésions irréparables. La guerre était devenue pour lui
une réelle obsession.
Le Jénéral
collectionnait les boîtes à conserves vides qu’il aménageait en machines de
guerre. Lorsqu’il alla habiter à la rue Chambille, il emmena ses trésors qu’il
avait reliés par une corde. Sortait-il, rentrait-il qu’il tirait avec volupté
sur cette corde, déclenchant un joli tintamarre.
Le mini scandale qu’il s’autorisa dans l’église
des Récollets est resté gravé dans la mémoire de quelques Aclots. Le vicaire
Gosset en était à la consécration lorsque le Jénéral sortit sa
« canne-épée » en s’écriant
« Présentez armes ». Quant
au facteur, il n’aurait jamais eu assez
de place dans sa carnassière pour poster les lettres que le Jénéral rédigeait à
l’intention de ses collègues officiers supérieurs de l’armée. Il signait ses
lettre « l’officier généralisé ». Il allait aussi les déposer à la
poste où le mot d’ordre était donné.
Son autre passion, c’était les chèques qu’il
calligraphiait. Il les glissait dans les boîtes aux lettres des maisons
particulières ou chez les commerçants. Plus il vous aimait, plus gros était le
chèque. Il dessinait encore des plans de bataille jusqu’au coin de terre du
parc de la Dodaine. Il se promenait comme un automate, vêtu d’un long manteau
militaire couvert de décorations, la
tête coiffée d’un immuable képi, heureux de se faire saluer par la population
et malheureux quand on le rencontrait sans lui donner de ce général qu’il
rêvait d’être ou plutôt qu’il était… »
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