jeudi 23 mars 2017

In Binchou d'Nivelles: el Jénéral

IN BINCHOU D’NIVELLES : EL JÉNÉRAL
                                                                                                                                          Alain GRAUX

Je n’ai pu résister à l’envie de vous faire connaître une famille de Binchois qui partirent habiter Nivelles, et dont le journaliste Jean Vandendries relate une partie de leur vie[1] :
« …Le Jénéral, a indubitablement laissé des souvenirs chez les Aclots. Sa biographie est surtout retracée par Georgette Courtin, une nivelloise d’adoption, dans un texte manuscrit
Mariés en 1910 « avec rien » Edmond Lelièvre et Désirée Rochez étaient grossistes en pommes de terre à Binche lorsque fut déclarée ce qui allait être la première guerre mondiale.
Désirée n’avait pas eu une enfance riante. Sa grand-mère lui avait appris très jeune à lire les cartes. A sa mort, elle fut placée en orphelinat où on lui enseigna aussi « les ouvrages à la main ».
Peu après les hostilités, le stock de patates fraîchement rentré fut réquisitionné alors que le mari était rappelé sous les drapeaux. La grosse maison des faubourgs de Binche connut quelques mésaventures. Pour poursuivre, Désirée vendit un de ses chevaux et continua vaille que vaille à écouler une partie de ses récoltes. La misère s’installa, la forçant à manger en tout et pour tout trois sorets par jour. Avec la tête s’il vous plaît.
Edmond fut victime d’une grave blessure en Allemagne. Lorsqu’elle apprit qu’il allait être rapatrié, sa femme décida de mettre leur fils Maurice chez les Sœurs et de « monter » sur Bruxelles, avec Loulou, qui n’eut été sa queue en tire bouchon, aurait pu passer pour un parfait setter irlandais.
L’expédition fit halte à Nivelles.
Le cheval et le camion ? On leur trouva une remise et écurie au moulin Dulier.
La femme et l’enfant ? Une petite maison de la rue Bayard fit l’affaire. Désirée mit à profit les leçons de l’orphelinat, vivotant de couture et de broderie ainsi que de ses talents de cartomancienne.
Exceptionnels étaient ses talents et la ville ne tarda pas à s’en apercevoir. Le bouche à oreille fonctionna, lui amenant une jolie clientèle tant à domicile qu’en consultations. Heureusement d’ailleurs, car un marchand de bière devenu locataire d’une partie du moulin Dulier expulsa le camion qui tomba en ruines.
Le cheval fut vendu à l’armistice alors que Désirée multipliait les visites à l’hôpital afin de récupérer son mari. Elle y parvint et alla rechercher leur fils. Le spectre de la misère noire s’évanouit en même temps qu’un autre malheur la frappait de plein fouet ; la blessure contractée au front hollandais était inguérissable et ce n’est pas la « grosse » pension versée à Edmond qui ramena enfin la joie dans le ménage. Désirée mourut d’une crise cardiaque à l’hôpital vers 1926-1927.
Son mari resta invalide jusqu’à la fin de ses jours. Il était fort comme un chêne. La guerre l’avait marqué à vie et avait provoqué au cerveau des lésions irréparables. La guerre était devenue pour lui une réelle obsession.
Le Jénéral collectionnait les boîtes à conserves vides qu’il aménageait en machines de guerre. Lorsqu’il alla habiter à la rue Chambille, il emmena ses trésors qu’il avait reliés par une corde. Sortait-il, rentrait-il qu’il tirait avec volupté sur cette corde, déclenchant un joli tintamarre.
Le mini scandale qu’il s’autorisa dans l’église des Récollets est resté gravé dans la mémoire de quelques Aclots. Le vicaire Gosset en était à la consécration lorsque le Jénéral sortit sa « canne-épée »  en s’écriant « Présentez armes ». Quant au facteur, il n’aurait jamais  eu assez de place dans sa carnassière pour poster les lettres que le Jénéral rédigeait à l’intention de ses collègues officiers supérieurs de l’armée. Il signait ses lettre « l’officier généralisé ». Il allait aussi les déposer à la poste où le mot d’ordre était donné.
Son autre passion, c’était les chèques qu’il calligraphiait. Il les glissait dans les boîtes aux lettres des maisons particulières ou chez les commerçants. Plus il vous aimait, plus gros était le chèque. Il dessinait encore des plans de bataille jusqu’au coin de terre du parc de la Dodaine. Il se promenait comme un automate, vêtu d’un long manteau militaire  couvert de décorations, la tête coiffée d’un immuable képi, heureux de se faire saluer par la population et malheureux quand on le rencontrait sans lui donner de ce général qu’il rêvait d’être ou plutôt qu’il était… »

[1] VANDENDRIES Jean, Si Nivelles m’étais conté, Nivelles, 1990, pp. 263-265

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