jeudi 2 mars 2017

La draperie binchoise au 18e siècle


LA DRAPERIE BINCHOISE AU XVIIIe SIÈCLE
                                                                                                                                          Alain GRAUX
LES DRAPIERS DE THUIN
Le transit des marchandises sur la Meuse et la Sambre était fort élevé au début du XVIIIe siècle, aussi les drapiers de Thuin n’arrivaient-ils plus à écouler leurs marchandises vers la France.
En 1700une ordonnance modéra à 2% les tarifs douaniers de Pays-Bas espagnols afin d’attirer le trafic marchand dans notre pays. Le 14 juillet 1702, les drapiers de thuin sollicitèrent le Magistrat binchois afin de s’établir dans la ville. Leur requête fut entendue :
« Sur la suict repris en assemblée ci-devant énoncée pour les demandes et conditions sur lesquels se sont présentés les maîtres drappiers, bourgeois de la ville de Thuin pour établir leur manufacture dans la ville de Binch ont appointé et convenu ce qui sensuict :
Scavoir : les dits maîtres drappiers tels qu Antoine Devergnie, Jacques Devergnie, Phile d’anlye, Lambert Voituron, Jean Bruslé et Jean-Thomas Lochez tous bourgeois de la ditte ville de Thuin, ony demandez la franchise de leur métier, et que leur at été accordeé, scavoir qu’ils devront avoir lettre de Messieurs du Magistrat par laquelle sera reprisse la préditte franchise, et qui dorésnavant voudra être maître drappierdevra devoir ledit nommez passer maître et avoir deux ans d’apprentissage pour y être receuz et devrons lesdits maîtres drappiers avoir deux regards sermentez qui seront en droit de visiter les marchandises, pour ensuitte si elles ne se trouvoient bien conditionnées, en être ordonné comme de droit et de justice pour le bien et soutient de laditte manufacture.
En outre a chacun desdits drappiers, on leur a accordé pendant le terme de dix ans, l’exemption de la maltode de la ville pour chacun demy brassin de bierre, en outre exemption de toutes tailles, tour de garde, garnisons et aultres semblables mises ou à mettre par la ville.
La ville se charge au surplus de leur fournir une foullerie bien conditionnée prette à travailler et l’entretien à la charge desdits maîtres drappiers et la tout pour ledit terme de dix ans, qui sera scituée au lieu et place du moulin d’en dessous le mont le justice. Le tout sous le bon plaisir de sa Majesté. La ville s’oblige pareillement de leur fournir à chacun en nombre de six, une ramme, et l’entretien d’icelle sera pareillement à leur charge. Surabondamment la ville s’oblige de leur fournir deux chaudières autrement tinture, scavoir une commune et une petite, desquels l’entretien sera pareillement à leur charge.
Et comme lesdits maîtres drappiers ont demandez d’avoir chacun leur maison, en nombre de six leur at été accordez et chacun cinquante livres à prendre sur les revenus et biens de laditte ville, sous le bon plaisir de Sa Majesté. Pour ce qui concerne la voiture et les meubles, marchandises et autres effects pour être conduit en cette ville, l’on s’oblige de leur fournir chacun quatres chariots à la charge de laditte ville. Pour l’exécution dudit transport et pour ce qui regarde les droits de bureaux pour les marchandises, il sera stipulé par la requeste que l’on présentera au Roy en son conseil prins à Bruxelles, de pouvoir faire rentrer lesdittes marchandises travaillées comme aussy les lainnes qu’ils pouroient avoir, sans payer aucun droits.
Par la même requeste devra être présenté et stipulé que lesdits maîtres drappiers requerrent Sadite Majesté pour l’établissement de laditte manufacture, de leur accorder l’exemption de la milice pour les jeunes gens étrangers qu’ils seront obligez d’amener avec eulx pour travailler de leur styl et mestier et enseigner ceux de ce pays pendant le terme de quelques années.
Sera aussy dit que dans laditte requeste que lesdits drappiers demandent et prétendent l’exemption des droits de l’Etat pour l’impôt du Roy et pour la consommation de bierre.
Sitot touttes les dites debvises et conditions lesdits maîtres drappiers s’obligent pour le terme de sept ans à commencer du jour qu’ils seront admis entretenir faire valloir et faire subsister laditte manufacture et au défaut dequoy ils s’en sont obligez et obligent leurs personnes et biens pour indemniser laditte ville de Binch, de tous fraix qui pourroient avoir été faitz pour la construction de la foullerie et autres despens engendrez pour l’établissement de la manufacture. A tous ce que les parties se sont obligées respectivement en cas de renonciation de tous fraix qui se pourront engendrer pour la poursuite et négociation qui seroit nécessaire si avant qu’elles soient agréées par Sa Majesté, en foy de quoy ils ont signé »[1].
Le 1er octobre 1702, le maître drapier Raucroix ayant appris la convention effectuée par les drapiers de Thuin, réclame au nom de ceux de Binche les mêmes exemptions de droits.
Le 13 juin 1703, les maîtres drapiers de Thuin venus à Binche, se plaignent des entraves que l’on met à leur établissement.
Il fallut attendre 1705 pour qu’aboutissent leurs démarches. Le 18 mars 1705, le Sr Pépin, receveur des octrois de la ville suivant une missive reçue de M. Onnezie décide : « qu’on peut convenir avec les maîstres charpentiers de la ville de Thuin pour la construction d’une foulerie à draps à faire au moulin d’En dessous le Mont près Binch suivant octroy du roy pour la manufacture desdits draps, ont convenu avec Médart Dartevelle et Nicolas Danelys, maistres charpentiers dudit Thuin ».
Ces deniers recevront 1900 livres de monnaie courante pour leur travail et 770 livres 12 sols d’argent pour les six rames de 200 pieds qu’ils réalisèrent au moulin d’En Dessous le-Mont aux endroits désignés par les maîtres drapiers. Le tout fut fini le 19 septembre 1705[2].
Le 30 avril 1705, les maîtres drapiers de Thuin avaient déclaré qu’ils étaient prêts à venir s’établir à Binche, mais soulevèrent des doutes quand à l’avenir du terme de 10 ans. Le Magistrat répondit :
« Mrs du Magistrat déclarent qu’après le terme de dix ans ils en Loyront également et qu’après leur décès s’ils ont quelques enfants maistres, ils en loyront aussi sans pourtant qu’ils en peuvent disposer en faveur des personnes, et à l’égard des tintures et foulerie elles seront en commune pour tous ceux qui seront maîtres »[3].
Une autre mesure prise par ordonnance du roi Philippe V d’Espagne le 28 septembre 1705, visait à protéger les drapiers binchois :
« Le Roi en son conseil,
Sa Majesté étant informée que dans les villes de Binch, Beaumont et Walcourt, l’on y fabrique beaucoup de carisées, sayes, étoffes, et voulant faire augmenter ladite manufacture, avantager les fabricateurs et empêcher l’entrée de celle de Thuin et d’autres, a ; par avis de son Conseil, et à la délibération de son vicaire général de ces pays, ordonné et déclaré, comme elle ordonne et déclare par cette :
Que toutes les pièces qui se trouveront présentement dans les maisons et boutiques desdites villes  seront prises par inventaire, marquées et plombées aux armes du Roy, par les officiers des droits d’entrée et sortie, chacun dans son district, avant de les pouvoir vendre et débiter, à peine de confiscation.
Que quand une pièce sera commencée, chaque maître ou particulier en avertira l’officier desdits droits, pour y donner la marque au premier but, et semblablement la marque au second bout, la pièce étant achevée, dont il tiendra notice, à peine que dessus : à quel effet, Sa Majesté autorise les officiers principaux de faire et envoyer les cachets à leurs subalternes.
Mande et ordonne Sa dite Majesté à tous ceux qui appartiendra, de se régler et conformer selon cette, et de faire afficher aux lieux ordinaires et accoutumés, pour que personne n’en prétendre cause d’ignorance.
Fait à Bruxelles le 28 septembre 1705.
Signé M. Emmanuel, comte de Bergeyck »[4].
Un autre décret daté du 18 janvier 1706, accorda aux drapiers l’exemption des impôts[5].
L’Etat remplit ainsi toutes les obligations promises par les jurés de Binche.
L’activité de ces manufacturiers et de leurs successeurs  est attestée par de nombreux documents au cours du XVIIIe siècle.
En 1744, lors de la guerre entre la France et l’Autriche, après la prise de Mons survenue le 10 juillet de cette année, les armées campèrent à proximité de Binche, à Waudrez et à Estinnes ; les installations des drapiers proches du moulin d’en dessous le Mont eurent à subir de forts dégâts.

SOUS MARIE-THÉRÈSE D’AUTRICHE
Vers cette époque, Adrien-Joseph Delattre, écuyer, seigneur de Remaulcourt commandita et fit construire une usine connue sous le nom de « Nicolas Marchand et Cie ». Cette dernière mesurait 120 pieds de long sur 36 pieds de large (40m x 12m) et à trois étages.
On y fit placer du matériel provenant de la fabrique Lacossois à Malines. La fabrique employait 18 ouvriers aupeignage de la laine et au tissage des saies, tandis que 150 femmes de Binche et des environs y filaient la laine. En 1758, la manufacture travaillait 5.000 livres de laine produisant 330 pièces d’étoffes livrées au commerce, telle que mousseline, serge, flanelle, taffetas, satin, camelot, moirette, chamoise, demi-drap, croisée, mouchoirs, etc. La ville de Binche et les états de Hainaut lui accordèrent divers avantages. Mais en 1762 le Conseil  des Finances signale :
« …plus une manufacture octroyée en 1759 sous le titre de manufacture royale mais qui n’est pas en vigueur. Elle occupe seulement trois métiers qui emploient 3 mille livres de laine lavée ».
Ce même rapport dit qu’il y avait à Binche trois manufactures de petites étoffes de laines dites sayes et carizées occupant 10 métiers.
N. Potier a neuf métiers, il travaille 9.000 livres de laine annuellement.
Louis Durieux a deux métiers
Le rapport précise qu’ils tirent leurs matières premières des provinces de Limbourg et de Namur,
« …les quantités n’étant point limitées, ils en tirent suivant leur désir. Ces manufactures emploient 35 ouvriers non compris les fileurs »[6].
En 1763 on précise ; « les sayeteurs occupent 14 métiers qui emploient chacun mille livres de laine lav ée faisant 14.000 livres dont on fait environ 28.000 aunes d’étoffes… »[7].
L’enquête administrative de 1764 révèle 3 manufactures d’étoffes occupant 10 métiers.
 « Ces usines travaillent depuis 1763, par octroi du 12 mai contenant divers privilèges et à condition que chaque manufacturier aura trois outils battantes. Le débit des dites étoffes  se fait pour la plus grande partie dans la ville de Binch, étant à remarquer dans cette ville qu’il y a quantité de tailleurs frippiers qui font des habits, tant pour hommes qu’enfants pour lesquels ils emploient en doublure les dites serges qu’on vient acheter chez eux journellement, le reste s’exporte sur Mons par passavants de ce bureau.
La matière première qui est de laine, provient de Namur par acquit par caution du bureau principal de cette ville et des villages circonvoisins du district de ce bureau tant par acquit à caution des bureaux de Fontaine-l’Evêque et d’Anderlues, que par certificats des gens de loy : ces manufactures peuvent employer annuellement  environ 836 livres de laine filée, l’on n’emploie pas de teintures, les sayettes se faisant en blanc.
On sait uniquement que ces étoffes payent pour aller à Lobbes et à Thuin, pays de Liège, le droit de 60e.
On plombe ces étoffes pour les différentier de celles venues de l’étranger.
Nota bene. Il est à observer que les manufactures cy-dessus repris font peigner la quantité de 10.000 livres de laine lavée qu’ils tirent de Namur et des villages circonvoisins de ce bureau…dont ils employent 836 livres de laine filée pour leurs manufactures et que le reste s’exporte par acquit de caution de ce bureau sur Mons, Leuze et Bruxelles »[8].
Une liste des manufacturiers d’étoffes de laine et du nombre de leurs métiers, établie le 15 avril 1763 à Binche, renseigne :
Jean-Baptiste Pattré, 9 outils
Sébastien Durieux, 3 outils
Joseph Gaspard, 1 outil
Guillaume Brogniez, 2 outils[9].
Il y a d’autre part six tisserands occupant chacun un métier, ces derniers occupent chacun un ouvrier. Le lin dont ils se servent provient de Bruxelles
Le débit des toiles se fait dans la ville et les villages environnants et exportent une partie de leur travail à Liège où ils paient un droit de soixantième[10].
Parallèlement une fabrique de bas de laine est située à Battignies, elle occupe 3 métiers. On y confectionne 400 bas « tant grands que cadets ». Cette production se vend essentiellement dans la ville par des particuliers. La matière première de laine venant des environs, les teintures viennent de Binche et de Mons en petites quantités[11].
La fin du XVIIIe siècle vécut les derniers soubresauts de cette industrie drapière qui fut un des fleurons de l’industrie binchoise.

LES DERNIERS DRAPIERS
Le recensement effectué en l’an IV de la république (1795) révèle qu’il y a encore à Binche quelques tisserands, à la moyenne d’âge élevée (54,4 ans) [12]:
Faubourg Saint-Jacques : Pierre Marcq, 66 ans
Faubourg Saint-Paul : Pierre Scohier, 52 ans
Rue Lion Allard : Jacques Marcq, 64 ans ; Louis-Joseph Herlin, 62 ans ; François Herlin, 28 ans.

[1] A.V.B. 00-00-01-25. Audience du 17-7-1702.
[2] A.V.B. 00-00-01-25. Audience du 3-10-1705.
[3] A.V.B. 00-00-01-25. Audience du 30-4-1705.
[4] M. GACHARD, Recueil des anciennes ordonnances de la Belgique, 1704-1794, 3e série, Bruxelles, 1860, p.652
[5] A.G.R. Jointe  des administrations, 623
[6] A.G.R. – C.F. 4281
[7] A.G.R. – C.F. 6133
[8] A.G.R. – C.F. 4392 et P. MOUREAUX, La statistique industrielle dans les Pays-bas autrichiens à l’époque de Marie-Thérèse, t.1, Bruxelles, 1974.
[9] A.V.B. 00-00-04-12.
[10] P. MOUREAUX, La statistique…op.cit. p. 577.
[11] Idem p. 576.
[12] A.V.B. 2723

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