LA DRAPERIE
BINCHOISE AU XVIIIe SIÈCLE
Alain GRAUX
LES DRAPIERS DE THUIN
Le transit des marchandises sur la Meuse et la
Sambre était fort élevé au début du XVIIIe siècle, aussi les drapiers de Thuin
n’arrivaient-ils plus à écouler leurs marchandises vers la France.
En 1700une ordonnance modéra à 2% les tarifs
douaniers de Pays-Bas espagnols afin d’attirer le trafic marchand dans notre
pays. Le 14 juillet 1702, les drapiers de thuin sollicitèrent le Magistrat
binchois afin de s’établir dans la ville. Leur requête fut entendue :
« Sur la suict repris en assemblée ci-devant énoncée pour les demandes et
conditions sur lesquels se sont présentés les maîtres drappiers, bourgeois de
la ville de Thuin pour établir leur manufacture dans la ville de Binch ont
appointé et convenu ce qui sensuict :
Scavoir : les dits maîtres drappiers tels qu Antoine Devergnie,
Jacques Devergnie, Phile d’anlye, Lambert Voituron, Jean Bruslé et Jean-Thomas
Lochez tous bourgeois de la ditte ville de Thuin, ony demandez la franchise de
leur métier, et que leur at été accordeé, scavoir qu’ils devront avoir lettre
de Messieurs du Magistrat par laquelle sera reprisse la préditte franchise, et
qui dorésnavant voudra être maître drappierdevra devoir ledit nommez passer
maître et avoir deux ans d’apprentissage pour y être receuz et devrons lesdits
maîtres drappiers avoir deux regards sermentez qui seront en droit de visiter
les marchandises, pour ensuitte si elles ne se trouvoient bien conditionnées,
en être ordonné comme de droit et de justice pour le bien et soutient de
laditte manufacture.
En outre a chacun desdits drappiers, on leur a accordé pendant le terme
de dix ans, l’exemption de la maltode de la ville pour chacun demy brassin de
bierre, en outre exemption de toutes tailles, tour de garde, garnisons et
aultres semblables mises ou à mettre par la ville.
La ville se charge au surplus de leur fournir une foullerie bien
conditionnée prette à travailler et l’entretien à la charge desdits maîtres
drappiers et la tout pour ledit terme de dix ans, qui sera scituée au lieu et
place du moulin d’en dessous le mont le justice. Le tout sous le bon plaisir de
sa Majesté. La ville s’oblige pareillement de leur fournir à chacun en nombre
de six, une ramme, et l’entretien d’icelle sera pareillement à leur charge.
Surabondamment la ville s’oblige de leur fournir deux chaudières autrement
tinture, scavoir une commune et une petite, desquels l’entretien sera
pareillement à leur charge.
Et comme lesdits maîtres drappiers ont demandez d’avoir chacun leur
maison, en nombre de six leur at été accordez et chacun cinquante livres à
prendre sur les revenus et biens de laditte ville, sous le bon plaisir de Sa
Majesté. Pour ce qui concerne la voiture et les meubles, marchandises et autres
effects pour être conduit en cette ville, l’on s’oblige de leur fournir chacun
quatres chariots à la charge de laditte ville. Pour l’exécution dudit transport
et pour ce qui regarde les droits de bureaux pour les marchandises, il sera
stipulé par la requeste que l’on présentera au Roy en son conseil prins à
Bruxelles, de pouvoir faire rentrer lesdittes marchandises travaillées comme
aussy les lainnes qu’ils pouroient avoir, sans payer aucun droits.
Par la même requeste devra être présenté et stipulé que lesdits maîtres
drappiers requerrent Sadite Majesté pour l’établissement de laditte
manufacture, de leur accorder l’exemption de la milice pour les jeunes gens
étrangers qu’ils seront obligez d’amener avec eulx pour travailler de leur styl
et mestier et enseigner ceux de ce pays pendant le terme de quelques années.
Sera aussy dit que dans laditte requeste que lesdits drappiers demandent
et prétendent l’exemption des droits de l’Etat pour l’impôt du Roy et pour la
consommation de bierre.
Sitot touttes les dites debvises et conditions lesdits maîtres drappiers
s’obligent pour le terme de sept ans à commencer du jour qu’ils seront admis
entretenir faire valloir et faire subsister laditte manufacture et au défaut
dequoy ils s’en sont obligez et obligent leurs personnes et biens pour
indemniser laditte ville de Binch, de tous fraix qui pourroient avoir été faitz
pour la construction de la foullerie et autres despens engendrez pour
l’établissement de la manufacture. A tous ce que les parties se sont obligées
respectivement en cas de renonciation de tous fraix qui se pourront engendrer
pour la poursuite et négociation qui seroit nécessaire si avant qu’elles soient
agréées par Sa Majesté, en foy de quoy ils ont signé »[1].
Le 1er octobre 1702, le maître
drapier Raucroix ayant appris la convention effectuée par les drapiers de
Thuin, réclame au nom de ceux de Binche les mêmes exemptions de droits.
Le 13 juin 1703, les maîtres drapiers de Thuin
venus à Binche, se plaignent des entraves que l’on met à leur établissement.
Il fallut attendre 1705 pour qu’aboutissent
leurs démarches. Le 18 mars 1705, le Sr Pépin, receveur des octrois de la ville
suivant une missive reçue de M. Onnezie décide : « qu’on peut convenir avec les maîstres
charpentiers de la ville de Thuin pour la construction d’une foulerie à draps à
faire au moulin d’En dessous le Mont près Binch suivant octroy du roy pour la
manufacture desdits draps, ont convenu avec Médart Dartevelle et Nicolas
Danelys, maistres charpentiers dudit Thuin ».
Ces deniers recevront 1900 livres de monnaie
courante pour leur travail et 770 livres 12 sols d’argent pour les six rames
de 200 pieds
qu’ils réalisèrent au moulin d’En Dessous le-Mont aux endroits désignés par les
maîtres drapiers. Le tout fut fini le 19 septembre 1705[2].
Le 30 avril 1705, les maîtres drapiers de Thuin
avaient déclaré qu’ils étaient prêts à venir s’établir à Binche, mais
soulevèrent des doutes quand à l’avenir du terme de 10 ans. Le Magistrat
répondit :
« Mrs du Magistrat déclarent qu’après le terme de dix ans ils en Loyront
également et qu’après leur décès s’ils ont quelques enfants maistres, ils en
loyront aussi sans pourtant qu’ils en peuvent disposer en faveur des personnes,
et à l’égard des tintures et foulerie elles seront en commune pour tous ceux
qui seront maîtres »[3].
Une autre mesure prise par ordonnance du roi
Philippe V d’Espagne le 28 septembre 1705, visait à protéger les drapiers
binchois :
« Le Roi en son conseil,
Sa Majesté étant informée que dans les villes de Binch, Beaumont et
Walcourt, l’on y fabrique beaucoup de carisées, sayes, étoffes, et voulant
faire augmenter ladite manufacture, avantager les fabricateurs et empêcher
l’entrée de celle de Thuin et d’autres, a ; par avis de son Conseil, et à
la délibération de son vicaire général de ces pays, ordonné et déclaré, comme
elle ordonne et déclare par cette :
Que toutes les pièces qui se trouveront présentement dans les maisons et
boutiques desdites villes seront prises
par inventaire, marquées et plombées aux armes du Roy, par les officiers des
droits d’entrée et sortie, chacun dans son district, avant de les pouvoir
vendre et débiter, à peine de confiscation.
Que quand une pièce sera commencée, chaque maître ou particulier en
avertira l’officier desdits droits, pour y donner la marque au premier but, et
semblablement la marque au second bout, la pièce étant achevée, dont il tiendra
notice, à peine que dessus : à quel effet, Sa Majesté autorise les
officiers principaux de faire et envoyer les cachets à leurs subalternes.
Mande et ordonne Sa dite Majesté à tous ceux qui appartiendra, de se
régler et conformer selon cette, et de faire afficher aux lieux ordinaires et
accoutumés, pour que personne n’en prétendre cause d’ignorance.
Fait à Bruxelles le 28 septembre 1705.
Signé M. Emmanuel, comte de Bergeyck »[4].
Un autre décret daté du 18 janvier 1706,
accorda aux drapiers l’exemption des impôts[5].
L’Etat remplit ainsi toutes les obligations
promises par les jurés de Binche.
L’activité de ces manufacturiers et de leurs
successeurs est attestée par de nombreux
documents au cours du XVIIIe siècle.
En 1744, lors de la guerre entre la France et
l’Autriche, après la prise de Mons survenue le 10 juillet de cette année, les
armées campèrent à proximité de Binche, à Waudrez et à Estinnes ; les
installations des drapiers proches du moulin d’en dessous le Mont eurent à
subir de forts dégâts.
SOUS MARIE-THÉRÈSE
D’AUTRICHE
Vers cette époque, Adrien-Joseph Delattre,
écuyer, seigneur de Remaulcourt commandita et fit construire une usine connue
sous le nom de « Nicolas Marchand et Cie ». Cette dernière mesurait 120 pieds de long sur 36 pieds de large (40m x
12m) et à trois étages.
On y fit placer du matériel provenant de la
fabrique Lacossois à Malines. La fabrique employait 18 ouvriers aupeignage de
la laine et au tissage des saies, tandis que 150 femmes de Binche et des
environs y filaient la laine. En 1758, la manufacture travaillait 5.000 livres de laine
produisant 330 pièces d’étoffes livrées au commerce, telle que mousseline,
serge, flanelle, taffetas, satin, camelot, moirette, chamoise, demi-drap,
croisée, mouchoirs, etc. La ville de Binche et les états de Hainaut lui
accordèrent divers avantages. Mais en 1762 le Conseil des Finances signale :
« …plus
une manufacture octroyée en 1759 sous le titre de manufacture royale mais qui
n’est pas en vigueur. Elle occupe seulement trois métiers qui emploient 3 mille
livres de laine lavée ».
Ce même rapport dit qu’il y avait à Binche
trois manufactures de petites étoffes de laines dites sayes et carizées
occupant 10 métiers.
N. Potier a neuf métiers, il travaille 9.000 livres de laine
annuellement.
Louis Durieux a deux métiers
Le rapport précise qu’ils tirent leurs matières
premières des provinces de Limbourg et de Namur,
« …les quantités n’étant point limitées, ils en tirent suivant leur désir.
Ces manufactures emploient 35 ouvriers non compris les fileurs »[6].
En 1763 on précise ; « les sayeteurs occupent 14 métiers qui emploient
chacun mille livres de laine lav ée faisant 14.000 livres dont on
fait environ 28.000 aunes d’étoffes… »[7].
L’enquête administrative de 1764 révèle 3
manufactures d’étoffes occupant 10 métiers.
« Ces usines travaillent
depuis 1763, par octroi du 12 mai contenant divers privilèges et à condition
que chaque manufacturier aura trois outils battantes. Le débit des dites
étoffes se fait pour la plus grande
partie dans la ville de Binch, étant à remarquer dans cette ville qu’il y a
quantité de tailleurs frippiers qui font des habits, tant pour hommes
qu’enfants pour lesquels ils emploient en doublure les dites serges qu’on vient
acheter chez eux journellement, le reste s’exporte sur Mons par passavants de
ce bureau.
La matière première qui est de laine, provient de Namur par acquit par
caution du bureau principal de cette ville et des villages circonvoisins du
district de ce bureau tant par acquit à caution des bureaux de
Fontaine-l’Evêque et d’Anderlues, que par certificats des gens de loy :
ces manufactures peuvent employer annuellement
environ 836 livres
de laine filée, l’on n’emploie pas de teintures, les sayettes se faisant en
blanc.
On sait uniquement que ces étoffes payent pour aller à Lobbes et à
Thuin, pays de Liège, le droit de 60e.
On plombe ces étoffes pour les différentier de celles venues de
l’étranger.
Nota bene. Il est à observer que les manufactures cy-dessus repris font
peigner la quantité de 10.000
livres de laine lavée qu’ils tirent de Namur et des
villages circonvoisins de ce bureau…dont ils employent 836 livres de laine
filée pour leurs manufactures et que le reste s’exporte par acquit de caution
de ce bureau sur Mons, Leuze et Bruxelles »[8].
Une liste des manufacturiers d’étoffes de laine
et du nombre de leurs métiers, établie le 15 avril 1763 à Binche,
renseigne :
Jean-Baptiste Pattré, 9 outils
Sébastien Durieux, 3 outils
Joseph Gaspard, 1 outil
Guillaume Brogniez, 2 outils[9].
Il y a d’autre part six tisserands occupant
chacun un métier, ces derniers occupent chacun un ouvrier. Le lin dont ils se
servent provient de Bruxelles
Le débit des toiles se fait dans la ville et
les villages environnants et exportent une partie de leur travail à Liège où
ils paient un droit de soixantième[10].
Parallèlement une fabrique de bas de laine est
située à Battignies, elle occupe 3 métiers. On y confectionne 400 bas « tant grands que cadets ». Cette
production se vend essentiellement dans la ville par des particuliers. La
matière première de laine venant des environs, les teintures viennent de Binche
et de Mons en petites quantités[11].
La fin du XVIIIe siècle vécut les derniers
soubresauts de cette industrie drapière qui fut un des fleurons de l’industrie
binchoise.
LES DERNIERS DRAPIERS
Le recensement effectué en l’an IV de la
république (1795) révèle qu’il y a encore à Binche quelques tisserands, à la
moyenne d’âge élevée (54,4 ans) [12]:
Faubourg Saint-Jacques : Pierre Marcq, 66
ans
Faubourg Saint-Paul : Pierre Scohier, 52
ans
Rue Lion Allard : Jacques Marcq, 64
ans ; Louis-Joseph Herlin, 62 ans ; François Herlin, 28 ans.
[1] A.V.B. 00-00-01-25. Audience du 17-7-1702.
[2] A.V.B. 00-00-01-25. Audience du 3-10-1705.
[3] A.V.B. 00-00-01-25. Audience du 30-4-1705.
[4] M. GACHARD, Recueil
des anciennes ordonnances de la Belgique, 1704-1794, 3e série,
Bruxelles, 1860, p.652
[5] A.G.R. Jointe
des administrations, 623
[8] A.G.R. – C.F. 4392 et P. MOUREAUX, La statistique industrielle dans les
Pays-bas autrichiens à l’époque de Marie-Thérèse, t.1, Bruxelles, 1974.
[9] A.V.B. 00-00-04-12.
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