LES MARCHÉS ET
FOIRE DE BINCHE DE LA NAISSANCE DE LA VILLE A NOS JOURS
Alain GRAUX
LES MARCHÉS
Si l’on
veut connaître l’esprit si particulier des « Binchous », c’est au
marché du samedi matin qu’il faut se rendre. C’est là que la gouaille du
« petit peuple » se fait le mieux sentir. Il en fut de même tout le
long de l’histoire de la ville car le marché est aussi vieux que la cité des
gilles.
Dès la naissance de la ville, Binche ne fut
qu’un vaste marché créé par le comte de Hainaut afin d’écouler les grains et
toutes sortes de denrées produites dans les environs et d’en retirer le plus de
bénéfice possible grâce aux tonlieux et taxes diverses que les tractations
suscitaient[1].
Halles et marchés apparaissent dans les textes
connus les plus anciens. Il est déjà question des halles dans une charte de mai
1229, nos princes accordant une rente de
treize livres à lever sur ces établissements au profit de l’abbaye d’Epinlieu à
Mons. Le fameux cartulaire des cens et rentes dus au comte de Hainaut de 1265[2]
nous renseigne abondamment sur les « étaux » héritables des
principaux corps de m étiers Binchois.
La blaverie
ou marché aux grains occupait la place principale de la halle, celle-ci
et ses annexes s’élevaient à côté de l’hôtel de ville à l’emplacement de
l’actuel Waux-Hall. Le poids public existait aussi à la halle, c’est là que
l’on devait peser les marchandises exposées à la vente[3].
Diverses mentions attestent de la pertinence du
marché sur la place :
En 1310 « …la
maison que on dist le Cainge séant le debout du Markiet… »
1343
« sour
le marckiet »
1449
« le
Markiet »
1594
« le
Marché »
1695
« rue
du Marché »
1791
« le
grand marché »[4].
Vers 1815, le marché de la Grand-place eut
tendance à changer d’emplacement, les riverains écrivirent au Collège de la
Régence de la ville afin de revenir aux anciennes dispositions :
« Les soussignés, bourgeois de
Binche, ont l’honneur d’exposer respectueusement à vos seigneuries que depuis
un temps immémorial le marché s’étendoit depuis le coin des rues des Ecoles et
Saint-Paul jusque à peu près le milieu de la place.
Que jamais aucun ordre émané de
l’autorité supérieure n’est venu interdire cette ancienne coutume que le
hasard seul a pu changer, que si la
police continuoit à négliger cet objet,
ne prêter point la main à ce qu’il soit remis à l’ancien pied, bientôt on le
verra s’établir à l’extrême opposé de la
place et les habitants du marché, privés d’un droit acquis depuis des années.
Que la vvaleur des maisons qui y sont contiguës n’a jamais été seulement
mesurée sur la grandeur, la beauté, la commodité mais bien sur la plus ou moins
grande proximité du susdit marché, c’est-à-dire qu’en les achetant on les a
toujours payées avec cette plus value… »[5].
Le 19 juillet 1824, le bourgmestre et les
échevins de la ville édictèrent un règlement communal dont une partie concerne
les marchés :
Art. 27 Le marché se tiendra au
milieu de la Grand-place vis-à-vis de l’hôtel de ville et de manière à laisser
libre un passage de quatre aunes de chaque côté de la place. Il commencera à 8
heures depuis le 1er novembre jusqu’au 31 janvier. A 7 heures depuis
le 1er février jusqu’au 30 avril et du 1er septembre
jusqu’au 31 octobre et à 6 heures depuis le 1er mai jusqu’au 31
août.
Art. 31 Les habitants peuvent seuls acheter
pendant les deux premières heures et pour leur consommation seulement.
Art. 32 Après les deux premières heures
écoulées, les revendeurs, revendeuses de cette ville ou étrangers et leurs
commissionnaires ou autres personnes préposées de leur part peuvent seulement
se présenter sur le marché pour y faire leurs emplettes.
Art. 33 Il est défendu à tous revendeurs ou
autres d’acheter quoi que se soit des enfants, serviteurs, domestique, sans
aveu de leurs parents ou maîtres, ni de personnes inconnues de prendre gage ou
faire autre trafic illicite.
Art. 56 Toute contravention aux dispositions
du présent règlement sera punie d’une amende de 50 centimes à 5 florins au
profit de la caisse communale et d’un emprisonnement d’un jour selon la gravité
des circonstances.
Par ordonnance,
Le secrétaire,
Legrand Le
bourgmestre, Wanderpepen
Le 22 février 1827, les marchands du marché aux
légumes, beurre et laitages, demandent aux magistrats de baisser les prix des
locations d’emplacements du marché vu la désertion des acheteurs suite aux
pluies continuelles qui entravent le commerce[6].
Le 18 octobre 1858, le conseil communal décide
qu’il continuera à y avoir à Binche
trois marchés par semaine : le lundi, le jeudi et le samedi avant
midi sur la place[7].
Le 16 septembre 1869, un marché aux fleurs et
aux oiseaux exotiques et domestiques (poules, coqs, pigeons, etc. A l’exception
des oiseaux insectivores) est autorisé tous les dimanches de 10h à midi[8].
La rue aux Fleurs en rappelait le souvenir
(Aujourd’hui rue des Ecoliers).
C’est au conseil communal du 16 novembre 1934
que date la forme actuelle du marché, on décide qu’on pourra y vendre tous les
comestibles mais que peuvent aussi y
exposer leurs marchandises les dentistes, charlatans, vendeurs de drogues,
médicaments et remèdes[9].
D’autres marchés anciens sont connus. Ainsi, il
existait une halle aux filets. Là se réunissaient les femmes qui vendaient du
lin, du fil, des étoupes, des plumes, du linge, etc.
En 1548 on dit « …qu’à la clôture du marchiet aux filletz estant deviers la grange de la
ville et icelle avoir redrechiez et renterret en terre… »[10].
En 1571 on cite « …la rue de Sainct-Jacques et faisant coing à la rue allant au marchiet
au fillet… »Il est encore cité en 1603 « …tenant d’autre à la grange de la ville et au jardin de la Basse court… »
La rue de la Halle-aux-Filets perpétue son souvenir.
Le marché aux herbes est souvent cité au XVIIIe
siècle
En 1739 on cite « la rue du vieu marché aux herbes » ce qui suppose une plus
grande ancienneté.
En 1778, on le dit « faisant toucquet à la
rue des Peltiers » (Touchant l’actuelle rue de Biseau)
De même, le marché aux poulets est fréquemment cité au cours du XVIIIe siècle, il se situait
au milieu de la rue du Cygne
Deux rues de la cité conservent le nom de
l’emplacement de ces marchés
Comme nous l’avons dit antérieurement le marché
aux grains se tenait dans la blaverie Suite au sac de la ville en 1554 et à
l’incendie qui ravagea les halles, ce marché tomba en désuétude.
Ce n’est qu’en 1840 que ce genre d’activités
reprit. Une requête fut introduite par les habitants de la ville le 22
juin 1840 :
« Attendu que de temps
immémorial il a toujours existé un marché aux grains dans cette ville, lequel
était tombé en désuétude à la suite du temps et de certains événements. Vu
qu’il est avantageux aux habitants de Binche et cultivateurs de nombreuses
communes des environs, il y a lieu de solliciter le rétablissement du marché
qui existait antérieurement à 1674. Ce marché aurait lieu le mardi de chaque
semaine… »[11].
Suite à cette demande, un arrêté royal en date
du 26 juillet 1841 autorisa le rétablissement du marché aux grains. On n’avait
toujours pas décidé de son emplacement. De nombreuses pétitions provenant des
différentes rues de la ville en revendiquèrent l’emplacement.
Le 15 août 1841, les habitants de la place de
la Régence et de la rue de Mons demandent qu’on le fixe place de la Régence ou
en un lieu public tel que chez Michel Joseph Plétinckx, cabaretier, maison qui
réunit toutes les commodités désirables[12].
Le 17 août 1841, c’est au tour des cabaretiers
de la rue Saint-Jacques qui en font la demande. Charles Meunier, marchand de
grains, réunit une trentaine de signatures pour qu’on en fixe le siège chez
lui, rue des Trois Escabelles. Suit ensuite une pétition menée par Max Goffeau pour que le marché se
tienne rue de la Halle-aux-Filets près de la maison d’auguste Lengrand.
Finalement l’administration communale fixa une réunion le 8 août 1841 et on décida
que le marché se tiendrait dans une pièce au rez-de-chaussée de l’hôtel de
ville[13]
Le marché de la Grand-place vers 1900
Le marché de la Grand-place vers 1900
Le marché aux chevaux, porcs, bêtes à cornes et
caprins, est attesté dès le Moyen-Âge. On cite dans les chirographes « le markiet des bestes » en 1309.
Cette appellation traversera le temps. Vers 1620 on dit déjà le « viel marché des bestes ».
Ce marché disparut sous la Révolution
française. Les marchands s’approvisionnaient alors dans les villages
environnants ou lors de foires (voir infra).
Le 25 mars 1837, certains marchands écrivirent
à l’administration communale :
« Les soussignés, habitants de
la ville de Binche, exposent très respectueusement que depuis certain temps, il
se fait toutes les semaines en la commune de Battignies, près de la banlieue de
la dite ville, une réunion de marchands de bestiaux qui attire les bouchers de
la ville et des environs.
Motif pour lequel les exposants
s’adressent à vous, Messieurs, afin qu’il nous plaise tant dans l’intérêt du
fermier, des taxes municipales, que de vos administrés et pour anéantir cette
habitude, établir dans cette ville, rue de Bergue, un marché aux bêtes qui
aurait lieu les mardis et jeudi de chaque semaine et dont les fraix d’appareil
seront à leur charge. Quoi faisant ce sera justice.
Signé : A. Brichot, P.
Babusiaux, Joseph Boulengé, Max Ramboux, François Petit, Ursmer Lardinois, M.
Buisseret, M. Flament, Alexis Bughin, Antoine Hupin, C. Meunier.
Suite à cette demande le conseil communal
adressa une requête au roi le 22 avril 1837 afin de rétablir le marché aux
bêtes. Le conseil provincial du Hainaut autorisa l’installation de ce marché le
17 juillet 1837.
Le conseil communal du 29 septembre 1837 créa
un règlement su marché et décida qu’il se tiendrait rue de Berg (actuelle rue
de la Régence qui s’appelait auparavant rue du marché aux bêtes)[14].
Parallèlement se tenait un marché aux porcs
s’étendait de la porte de Bruxelles à la rue Bard. Vers 1845, une pétition
signale qu’il se tient sans autorisation de la rue Bard au marché aux chevaux.
Ce changement occasionnait des pertes aux commerçants[15].
Le « marché aux bestiaux gras » était
important mais fut supplanté par les foires. La rue de la Régence ne retrouva
son animation qu’en 1934. Le conseil communal décida cette année là que le
marché de la rue de la Régence appelé marché Saint-Jean, se tiendra chaque
samedi. En cas d’insuffisance d place, il s’étendra à la rue des Archers dans
la direction de l’avenue Albert Ier et
ensuite en cas de besoin, dans la direction de la rue de la Pépinière. On y
vendait toutes les marchandises manufacturées non comestibles.
Ce marché était l’attraction des Binchois le
samedi avant-midi, un des vendeurs les plus connus était le marchand de pipes
Lambert, dont les boniments étaient fameux[16].Le 17 mars 1954, les marchands ambulants écrivent au collège des échevins :
« Les
marchands du marché Saint-Jean, vu la situation lamentable que prennent nos
affaires dans ce coin délaissé…seront obligés d’arrêter leur activité, à moins
que vous nous autorisiez à nous installer sur la Grand-place. Les huit ou dix
marchands que nous sommes et qui fréquentons votre marché depuis plus de quinze
ans, voyons notre chiffre d’affaires constamment amenuisé… »[17].
Le collège échevinal décida une enquête sous
forme de questionnaire adressé aux riverains de ce marché le 20 mai 1954. Elle
recueillit 16 partisans de son maintien pour 38 adversaires. Le marché fut
dissout[18].
Un autre marché fut créé dans le qurtier de la
gare par le conseil communal du 18 mai 1934 :
« Il y a lieu de proposer la
création d’un marché avenue de Burlet et rue de Senzeilles suite à une pétition
des commerçants du quartier de la gare qui se plaignent du manque d’activités
dans ce quartier. Les moyens de transport, tramways et autobus débarquant la
plupart des voyageurs dans le centre de la ville ».
Ce marché se tint le jeudi de chaque semaine,
avenue de Burlet et rue de la Victoire. Il n’eut qu’une courte vie car il ne
tint que quelques mois[19].
Le square Eugène Derbaix ne s’anime plus que
pour le marché aux fleurs qui se tient le premier dimanche de mai
LES FOIRES
Deux franches fêtes marchandes sont connues à
Binche dès le moyen âge, L’abbé Edmond Roland nous les fit connaître par ses
études des archives de la chambre des comptes des années 1368, 1369, 1371 et
1410[20].
Il y a lieu de penser qu’elles durèrent jusqu’à la fin de l’ancien régime car
le 27 pluviôse an X de la République (16-2-1802) le registre d’audiences du
Magistrat de Binche signale la demande la création de deux nouvelles foires[21] :
« Il a été envoyé au préfet de
ce département le procès verbal des foires de la ville de Binche fixées comme
s’ensuit :
Anciennes, fixées par l’ordonnance
générale centrale et dont les époques y fixées demandent à être continuées,
c’est-à-dire le 9 vendémiaire (30 septembre) et le 25 floréal (14 ou 15 mai).
Nouvelles, demandées en augmentation
des deux anciennes foires, le 21 frimaire (11 ou 12 décembre) et 23 messidor
(11 ou 12 juillet).
Les motifs donnés au préfet pour
l’établissement des anciennes et nouvelles foires sont :
Le 9 vendémiaire : c’est parce
qu’à cette saison que les moissonneurs, glaneurs et métayers ont recueilli les
grains propres à nourrir et engraisser les animaux et qu’ils sont habitués à
venir avec affluence depuis longtemps.
Le 21 frimaire : parce que
c’est le moment où les animaux ont acquis le gras nécessaire pour être mis en
vente.
Le 25 floréal offre aussi plusieurs
avantages sous le rapport d’une nouvelle végétation qui donne une abondante
nourriture et celui que les porcs se
vendent à cette saison à moindre prix et que les gens moyens en font plus
aisément leurs achats.
Le 23 messidor à raison que la
moisson étant relevée, il est d’usage dans toutes les communes des environs de
faire paître leurs bœufs, vaches et porcs sous les éteules (comme on dit
trivialement) sous la garde d’un conducteur, comme en outre c’est l’instant que
les apiculteurs, les distillateurs d’eau de vie ont reconnu le plus propre à
l’achat des bœufs et vaches qu’ils veulent engraisser »[22].
Ces quatre foires furent autorisées avec
parfois des dérogations pour les dates, ainsi, en 1818, le conseil communal
décide que la foire Saint-Rémy aura lieu le 1er octobre.
Le 28 mars 1825, l’administration communale
autorise la vente de chevaux pendant les quatre foires de bestiaux établies
dans la ville.
L’arrêté du 13 décembre 1827 autorise le
conseil communal à établir un marché aux chevaux le 15 de chaque mois, on porte
à douze mois au lieu de quatre la vente des chevaux[23].
La Ville favorise la vente par l’octroi de
primes d’encouragement. Le 15 février 1828, les premiers bénéficiaires de cette
prime furent :
Norbert Tordeur, marchand de chevaux à
Battignies pour la moitié et Félix André, marchand de chevaux à
Merbes-Sainte-Marie pour l’autre moitié, pour avoir amené le plus grand nombre
de chevaux. Ils reçoivent chacun cinq florins.
François-Joseph Drugmand, de Wavre, reçoit 3
florins, car il est le marchand venu de la commune la plus éloignée.
L’importance de ces foires n’est plus à
démontrer. Comme exemple, nous citerons un rapport du 16 avril 1852, établi par
le vétérinaire Louis-Joseph Lambot, de Battignies, qui présente le bilan de son
inspection à cette date :
Animaux
présentés Nombre vendus Prix
moyen des ventes
Chevaux 250 100 230 Fr.
Poulains 25 18 150
Fr.
Vaches 100 40 130
Fr.
Bœufs 9 8 185
Fr.
Génisses 20 2 100 Fr.
Bouvillons 3 2 100
Fr.
Peu à peu la foire mensuelle prit de
l’importance et envahit toutes les artères importantes de notre cité. Les
opérations se déroulaient sur la place ou dans les estaminets environnants. Les
maquignons se pressaient dans les hôtels et les auberges, ainsi l’hôtel Damade
au Pavé de Charleroi, comportait 26 chambres et des écuries pour 150 chevaux.
Des acheteurs arrivaient de France ou d’autres
pays, les chevaux étaient expédiés au départ de la gare de Binche par convois
de 25 ou 26 wagons.
Par décision du conseil communal du 22 novembre
1881, on perçut 1 franc sur les chevaux et mulets, 50 cts sur les vaches, 20
cts sur les ânes, 10 cts sur les porcs. Les saltimbanques et les voitures
furent taxés 1 franc, les charrettes, tréteaux et tables 50 cts[24].
La disparition de la foire est due aux progrès
de l’automobile. Les gens de ma génération ont encore connu les dernières
présentations d’animaux où l’on vendait
quelques chevaux et mulets entre la rue de Mons et la rue Notre-Dame et
un ou deux marchands de porcs
s’installaient face à la justice de paix jusqu’en 1960 environ. C’étaient là
les derniers soubresauts d’une activité qui fit la renommée de notre fière cité.
[1] C. BILLEN, Binche et sa campagne, des relations
économiques exemplaires au XIIIe s., in Mélanges G. Despy, 1988.
[3] T. LEJEUNE, Histoire
de la ville de Binche – reproduction anastatique de l’édition de 1887,
Bruxelles 1961.
[18] Enquête orale/ Jean
Stone, février 1994
[20] E. ROLAND, Deux franches fêtes marchandes à
Binche au Moyen-Âge, dans ACAM t. 61 (1), pp. 105-108, 1948
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