A PROPOS DE LA STATUE DU GILLE
Alain GRAUX
Le
monument à la gloire du gille a été projeté pour la commémoration du quatrième centenaire des fêtes de 1549,
sous la houlette du bourgmestre Charles Deliège. Un comité se créa et décida la
réalisation de trois médailles commémoratives pour lesquelles un concours
ouvert à tous les sculpteurs hennuyers
eut lieu.
Pour
l’érection d’un monument à la gloire du gille, il n’y eut qu’un concours
restreint :
« Il a été décidé de solliciter un de ces
sculpteurs pour le 13 janvier prochain,
une maquette de 0,75 m
de haut représentant l’œuvre projetée sera confectionnée…le sculpteur ne
réalisant pas le monument sera indemnisé à concurrence de 15.000 Fr…le monument
sera taillé dans de la pierre provenant des carrières d’Anthisnes… ».
Ce
concours fut lancé le 24 novembre 1948. Deux candidats furent retenus.
M.
Alphonse Darville[1], grand prix de Rome, et
Robert Delnest. Après examen des maquettes, la commande fut passée par la Ville
de Binche à Robert Delnest sur les conseils d’un jury composé de L. Christophe,
directeur général du Ministère des Sciences et des Arts, des sculpteurs Rau,
Debonnaire et Mansart , des peintres Louis Buisseret et René Mallet, des poètes
Vanderborght et Seghin, du bourgmestre Deliège, des échevins, et de M.Roulez,
président des « Amis du vieux Binche ».
C’est
sur l’avis de Louis Buisseret que le comité opta pour une sculpture en bronze,
celui-ci signale « …que lorsque Mr
le bourgmestre me fit part de son intension d’ériger un tel monument, je
ne lui cachai pas que j’imaginais difficilement une représentation du gille en
pierre, ainsi privé d’un des éléments qui fait sa splendeur, c’est-à-dire le
jeu des couleurs dont il se pare… ».
Le
comité définit alors les modalités d’exécution de l’œuvre :
«…la dite statue sera coulée en bronze doré, aura une
hauteur totale de 3,10m environ, l’administration se réservant le droit de
surveiller le travail de réalisation.
Le plâtre doré devra être livré 5 jours avant les
festivités organisées pour la commémoration du 4e centenaire au mois
d’août prochain.
Les frais de transport ainsi que le retour à l’usine
sont à votre charge. Vos honoraires sont fixés pour le travail complet jusqu’au
placement définitif de la statue en bronze
à 150.000 Fr., étant entendu que les frais de fonderie et de dorure sont à vos frais… »[2].
Une
soumission fut lancée pour l’obtention de la fonte du monument. Les fonderies
de Coene, de Ruysbroeck et la Compagnie des bronzes de Molenbeek furent en lice
et ce fut cette dernière qui obtint le travail.
Le
cahier des charges élaboré par Robert Delnest fut très strict, retenons ici
quelques points essentiels tirés de celui-ci.
« - Exécution des coupes du modèle
plâtre
- les emboîtements seront prévus à la
romaine, les empreintes complètes seront
prises aux endroits de celles-ci, les coupes étudiées de manière à les cacher
le plus possible.
- l’alliage prévu est de 91% de cuivre, 6%
de zinc, 2% d’étain, il sera homogène, l’étain ne pourra transsuder et former des taches blanchâtres.
- l’épaisseur minimum sera de 6 mm aux endroits les plus
minces, des renforcements seront prévus à la partie supérieure du torse et la
terrasse.
- une armature intérieure sera prévue,
celle-ci permettra également de fixer l’ensemble sur le socle.
- l’aplomb
du gille sera rigoureusement observé.
- la surface des différentes parties sera
parachevée de façon à rendre toute trace de bavure, gerçure ou limage
invisible.
- les sertissures seront fortement matées et
rendues invisibles. »
Le
21 octobre 1950, le directeur de la a fonderie de Coene avait par ailleurs
rendu un avis désintéressé au sculpteur : « Je vous signale en particulier un détail qui a une grande importance à
l’inverse de ce qui se présente d’habitude, la majeure partie du poids de la
figure se trouve concentrée au-dessus de la tête, et, il faut exiger une
rigidité parfaite de la partie supérieure du torse et de la terrasse sans
laquelle il se produirait à la longue un travail de déformation qui
entraînerait inévitablement une rupture… ».
Le
prix de la fonderie avait été convenu lors de la soumission pour la somme de
208.000 Fr., cette somme fut majorée de 33.696 Fr. suite au renchérissement des
métaux au mois d’août 1951.
Voici
quelques caractéristiques de la statue, description du travail données
par la Compagnie des bronzes:
Le
gille mesure 3,8 m ,
il est réalisé en 19 parties reliées par des romaines : 1, le
chapeau ; 2 à 9, les huit plumes ; 10, le torse depuis la ceinture
jusqu’à la tête et fixé au bassin par des clefs ; 11 les deux
jambes ; 12 et 13, les deux bras dont un portant le panier ; 14, la
terrasse renforcée par des nervures venues de la fonte ; 15 à 19, les cinq
rubans fixés au chapeau et au torse par des prisonniers.
L’œuvre
terminée pèse 1280 kilos et mesure 4,3 m socle compris. C’est d’ailleurs une
prouesse technique que de tenir cette masse sur le cou[3].
L’or
de la statue fut appliqué par la maison Buggenhout, de Bruxelles, l’œuvre est
dorée à la feuille d’or double pour l’extérieur, la mixtion sur la première couche
est isolante et la seconde donne la patine.
Interviewé
par le journaliste Henri Kerels en 1951, le sculpteur explique :
« Pour le style, tous les éléments qui auraient
pu me perdre m’ont aidé, mais j’ai fait un dosage sévère des formes et de toute
ornementation, j’ai réduit les plis en
nombre et importance, afin de garder une unité radieuse ; j’ai intégré le
détail à la masse, les rubans du chapeau m’ont servi à balancer l’harmonie.
Le chapeau, ce qu’il m’a donné du fil à
retordre ! C’est à dessein que j’ai supprimé les barbes et les frisures des plumes, j’ai transformé
le tout en volumes presque abstraits. J’ai recherché un équilibre général dans
la légèreté de l’ensemble et des
détails, cela pour toute la figure… ».
Dans
un entretien donné au journal « T’avau Binche » le 29 septembre 1951,
le sculpteur dit «…le seul impératif
auquel j’ai du obéir a été celui de constituer le gille dans un mouvement
véritable… ».
Il
fut aidé en cela par une série de poses que fit un gille authentique, Jean
Deprez, dans l’atelier du maître à Ruysbroeck, atelier qui vit défiler un grand
nombre de visiteurs enthousiastes : le comité organisateur,
l’administration communale, des sociétés de gilles, etc.
Le
monument fut inauguré solennellement le 23 février 1952 au son des tambours.
Avec le temps la statue du Gille avait eu besoin d’un coup de neuf. En 2011, responsable de sa cure de jouvence, une société anversoise de restauration de métaux fut appelée à la rescousse
Comme on l’a dit plus haut, originellement, la statue du Gille, était couverte de dorure. Celle-ci s’est dérobée avec le temps.
Nicky Vergouwen, restauratrice de métaux, de la firme anversoise cite
“La sculpture a déjà été rafraîchie une fois, en 2006. On y a appliqué une patine brune qui, elle aussi, s’est abîmée avec le temps et les intempéries. Notre tâche consiste à enlever les résidus de dorure, les graffitis opérés par les passants, ainsi que les traces vertes, autre forme de corrosion dérangeante visuellement ”. Quant aux inscriptions gravées dans la pierre à l’aide d’objets pointus, elles sont malheureusement irréversibles. “ Une fois la statue nettoyée, nous uniformiserons sa couleur, en appliquant une patine similaire à celle utilisée en 2006. Cette étape terminée, nous appliquerons alors une couche de cire de protection ”.
Deux semaines de travail furent nécessaires. La dorure fut abandonnée
La statue fut traitée en vue de recouvrir son aspect originel. Cependant, le Gille ne récupéra pas sa teinte dorée. La restauratrice dit encore “La dorure attire les actes de vandalisme. Nous préférons donc lui laisser sa couleur bronze naturelle ”[4].
Voyons
maintenant qui est Robert Delnest.
Il
naquit à Mons le 24 mars 1904, il fut professeur d’académie dans sa ville
natale. Il était membre de nombreuses sociétés artistiques ainsi que du Conseil
des Arts plastiques de l’UNESCO. Il participa à d’innombrables expositions,
notamment au salon triennal d’Anvers, au salon du printemps au Palais des
Beaux-Arts de Bruxelles, à l’exposition internationale de Paris en 1935 où il
exécuta un bas-relief pour le pavillon de l’alimentation, exposa à Moscou et
Leningrad en 1937, Buenos-aires et le Caire en 1945. Il reçut le prix du Hainaut en 1951 suite à
l’exécution du « gille », il reçut aussi le prix Claire Sautet ainsi
que de nombreuses distinctions en particulier celle du Cadet d’honneur du travail
pour l’ensemble de son œuvre.
Ses
principales œuvres furent :
-
les six bas-reliefs et la carte de Belgique de la halte « Congrès »
de la jonction nord midi à Bruxelles
-
deux bas-reliefs en pierre bleue du palais provincial du Hainaut à Mons
-
une allégorie monumentale au jardin d’enfants de Molenbeek
-
les sept bas-reliefs de la façade de la direction du C.E.R.I.A. à Anderlecht
- les
bronzes « la parole » et
« l’action » de l’hôtel de
ville de Charleroi
- « L’œuvre du roi Albert Ier » en tôle
cuivre de 3,5 m
de haut, aux Etangs Noirs à Molenbeek.
-
il réalisa deux nus en bois exposés au musée d’Ixelles.
-
« Maternité » sculpture
enbois exposée à Paris en 1935
-
le buste tenta aussi l’artiste, il cisela de nombeux bustes de famille, celui
du Commissaire royal R.E.G. exposé à l’hôtel de ville de Quaregnon, du peintre
Fernand Gomaerts, de Marianne Pierson-Pierard exposé au musée de Leningrad.
Robert
Delnest décéda à Leuw-Saint-Pierre le 9 mai 1979.
[1] Darville Alphonse, sculpteur, médailleur et dessinateur belge,
né à Mont-sur-Marchienne le 14 janvier 1910 et mort à Charleroi le 21 novembre 1990.
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