LA CHAIRE DE VÉRITE
DE LA COLLÉGIALE SAINT-URSMER
Alain
GRAUX
Une
tradition familiale rapporte que notre aïeul, Louis Besanger[1],
menuisier ébéniste, avait fabriqué la chaire de vérité de la collégiale
Saint-Ursmer. Je voulus en savoir plus et me suis rendu compte qu’en réalité il
l’avait restaurée.
Cette
chaire de vérité date des derniers temps de l’ancien régime, remplaçant celle
existante qui devenait caduque. Le 12 mai 1789, le sculpteur Jaupart[2]
présenta aux jurés de Binche le plan d’une chaire de vérité qui fut agréé sous
les conditions suivantes :
« 1.
Que la dite chaire devra être placée aux fraix de l’entrepreneur pour le jour
de pâques de l’année 1790.
2. Qu’elle devra être
faite en bois de chêne vieux mais de belle couleur uniforme pour pouvoir y
recevoir un vernis.
3. Que toutes les ferrailles nécessaires seront
aux fraix de l’entrepreneur.
4. Que tout sera
exécuté suivant la grandeur de l’échelle audit plan et la sculpture bien finie
au dire d’expert.
5. Que la dite chaire
sera posée contre le même pilier que la vieille et qu’il n’y aura qu’un
escalier pour y monter comme il est désigné dans le plan.
6. Que le prix sera de
huit cent florins argent courant qui lui sera payé par la recette de l’église, citot que la
chaire sera posée moyennant que le tout sera exécuté selon les conditions
ci-dessus.
7. Que cependant pour
la facilité de l’entrepreneur, on lui dépêchera fait à fait que l’ouvrage
avancera des ordonnances de quelques cent livres et à proportion qu’il paraîtra
aux maîtres de l’église être nécessaire »[3].
Le Magistrat consentit à cette
demande lors de l’assemblée du 24 juillet 1789. Les maîtres de l’église
convinrent de faire blanchir l’église avant la pose de la chaire de vérité.
L’ébéniste sculpteur se récusa par la suite car
en dessous de l’acte du 12 mai 1789 on peut lire ;
« Ledit
Philippe Jaupart se présente ce jour d’hui 3 septembre 1789 en bureau,
demandant de se désister de l’accord et entreprise ci-dessus »
Il fallut trouver un nouvel artiste pour
exécuter ce travail, il se présenta le 24 juillet 1790 en la personne de Pierre
Lignan[4].
« Convenu
avec Pierre Lignam, sculpteur pour l’exécution d’une chaire de vérité à placer
dans l’église paroissiale de cette ville, suivant le plan qu’il lui resté en
mains, approuvé par nous avec la Samaritaine au pied, et d’ajouter un double
escalier, sous les conditions suivantes, savoir qu’il ne pourra employer que du
bous bien sèche de quartier à vives hérettes (arêtes) sans aubier, bois rouge,
ni nœuds, suivant le profil dudit plan et conformément et icelui relivré aux
fraix dudit Lignan si Messieurs le jurés se trouvent convenir.
Il lui sera payé pour
toute exécution compris la livrance du bois qui est à sa charge la somme de
seize cent livres dont le payement de la moitié luisera fait en la plaçant et
l’autre moitié six mois après en ce qui fut accepté par ledit Lignan soussigné »
Le 9 septembre 1790, l’artiste reçut 200
florins d’acompte. Il reçut ensuite la même année 400 livres [5].
Le compte de l’église de 1791 renseigne :
« A
Pierre Lignan 52 livres
pour boiserie du piètement de la chaire de vérité en ce compris le payement du
tailleur de pierre et c’est en dessus du prix convenu pour ladite chaire
suivant ordonnance et quittance …52. 0. 0. »[6].
Le compte de cette année signale un payement de
200 livres
et de 400 livres
et « n’a plus que 600 livres pour
mémoire ».
On lit aussi :
« A
Nicolas Dutilleux, vernisseur, 84 livres pour avoir verni la chaire de vérité
à charge qu’il devra vernir le piètement et tout ce qui sera nécessaire lorsqu’elle
sera achevée…84. 0. 0. »
Le meuble fut terminé en 1792. Le compte de
cette année signale :
« A
Pierre Lignan sculpteur, six cent livres pour restant du payement de la chaire
de vérité »[7].
L’inventaire du mobilier de la collégiale
Saint-Ursmer fut réalisé le 13 prairial an VI (1-6-1798) par Louis Leghay, commissaire préposé aux
inventaires du mobilier national, il était accompagné par l’agent municipal de
la commune de Binche, Florent-André Gathier
et par Adrien Fontaine, appréciateur
nommé par la municipalité du canton de Binche.
Au point 43, on peut lire : « Une chaire à prêcher au bas de laquelle est
la Samaritaine en bois de chêne vernissé, apprécié à 15 francs…15 Fr. ».
On est en droit de se demander si la chaire de
vérité se trouvait encore dans l’église après la vente du mobilier. Le 11
janvier 1802, le sous-préfet de Charleroi signale « l’église paroissiale de Binche se trouve dans une parfaite nudité, il
ne reste que l’urne du maître-autel… »[8].
Il est à noter que dans son livre sur les
monuments de Binche[9], le bourgmestre Derbaix
présente une gravure de l’intérieur de la collégiale qui est probablement de la
période 1830-1840. on y voit la chaire de vérité qui est représentée avec un
cippe sculpté posé sur le dais de la chaire. Le bas du meuble se termine en cul
de lampe, sans le piètement et la sculpture du Christ et de la Samaritaine.
Ce vase posé sur le dais fut sculpté par
Philippe Jaupart en 1824
« ..34e
ordce , payé à Phle. Jaupart, sculpteur, la somme d’un florin 28
centimes et demi pour le prix d’un vase servant à la chaire de vérité… »[10].
Plus aucun compte ne signale la chaire de
vérité si ce n’est une remise au vernis effectuée en 1840 par Louis Jourdain.
On ne sait
quand la chaire de vérité fut replacée dans son état initial avec son piètement
sculpté.
DESCRIPTION
Cette chaire de vérité est un meuble de style
Louis XVI, le corps du meuble présente à l’avant trois panneaux représentant
les évangélistes avec leur attribut, ces médaillons sont surmontés d’une
cocarde à la mode Louis XVI :
A gauche, Saint Marc (Lion)
Au milieu, Saint Luc (Bœuf)
A droite, Saint Jean l’évangéliste (Aigle)
De même, deux panneaux formant les portes de la
chaire, représentent :
A gauche, Saint Mathieu (Ange)
A droite, Saint Augustin (Cœur enflammé et
rayonnant)
Le dossier apposé sur la colonne présente lui
aussi un médaillon avec la représentation de Saint Jean-Baptiste portant un
agneau sur le dos.
Le dais formant la partie supérieure de l’œuvre
présente une corniche terminée à sa partie inférieure par une frange.
Le piètement de la chaire est posé sur un socle
de marbre noir. Un arbre à quatre branches relie la partie principale du meuble
au socle. Ce denier est couvert de feuilles et de fleurs, un serpent et une
grenouille y figurent.
Un escalier à droite et à gauche de la colonne sont
ornés de feuilles et de roses, à leur base une frise de feuilles tressées court
le long des escaliers.
La partie basse présente un groupe sculpté en
ronde bosse. Illustration de l’évangile selon Saint Jean :
« Révélation du sauveur du monde aux Samaritains ». Autour d’un puits[11]
et à sa droite, le Christe est assis, sa cape forme un élégant plissé. A sa
gauche, la Samaritaine, debout, pose ses mains sur une cruche d’eau. Le groupe
offre un tableau serein
[1] Besanger Louis-Florent, ° Binche 26-4-1849, y †
24-3-1892, menuisier-ébéniste, x Binche 1-12-1875, Canivez Marie-Thérèse, °
Binche 1-8-1853, † Montpellier (Fr.) 11-6-1940, lingère
[2] Jaupart Philippe-Roger, ° Binche 1-4-1752, x Binche
3-8-1789, Massart Ursmarine. Ils demeuraient rue de la Caillerie (rue de Mons)
en 1795 (A.V.B. 2723).
[4] Lignan Pierre-Joseph, ° Binche 17-6-1745, x Binche
8-11-1784, Haine Caroline-Françoise. Ils demeuraient rue du Cerf en 1795.
[6] A.V.B. 00-08-01-97
[7] A.V.B. 00-08-01-98.
[8] A. MILET, Binche
au début de la seconde occupation française (1794). Le commissaire civil Jasmin
Lamotze et la saisie du trésor de la collégiale Saint-Ursmer, dans
« Las Cahiers Binchois » n°8, 1987, p. 60
[11] La rencontre près du puits est un thème de la
littérature patriarcale. Les puits et les points d’eau jalonnent l’itinéraire
des patriarches et du peuple de l’exode.
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