LA DISETTE DE LAVILLE
DE BINCHE EN L’AN IV
Alain GRAUX
La bataille de Fleurus en juin 1794[1]
livra notre pays aux armées de la révolution française ; les exactions
commises par les troupes contraintes à vivre sur le pays ont singulièrement
refroidi les sympathies de Belges pour les Français.
Des réquisitions arbitraires, des contributions
de guerre seront le lot que nous infligèrent les révolutionnaires qui suivent
en cela Lazare Carnot[2]
qui dit « Jetez l’épouvante chez les
ennemis, menacez la Belgique d’une destruction totale, que la terreur vous
précède, Bruxelles ne mérite aucuns ménagements… ».
Binche devait subir ces terribles injonctions
dès la première invasion ; le dénuement était tel que notre canton si agricole
dut importer du froment.
Le 6 nivôse an III (26 décembre 1794) le
citoyen Fidèle-Armand Honorez expose qu’il est urgent de s’assurer des
subsistances des habitants, il propose des visites domiciliaires pour connaître
combien de jours la ville peut tenir en cas de disette. Le lendemain, l’agent
national du district, Jean-Baptiste Godart, reçoit des plaintes concernant le
manque de pain et de sel. Les autorités redoutent des troubles dus à cette
situation. Le 14 nivôse, le commandant temporaire de la place demande qu’on
retire des mains des habitants toutes espèces d’armes ; la municipalité
fait obligation de dénoncer ceux qui cacheraient des armes. Elle est obligée de
réglementer la distribution des pains. Le 19 nivôse elle décrète que « les
grains sont limités à une livre et demie pour une ou deux décades, les bons ne
pourront excéder la quantité de grains ou de farine que la municipalité a reçu
pour éviter la confusion. Il sera nommé un ou deux boulangers pour la cuisson
du pain qui se fera à l’hôpital ; le citoyen Honorez est nommé commissaire
à l’inspection de la cuisson des pains, ceux-ci coûteront dix sous pour trois
livres ».
Le 24 nivôse, le receveur de l’orphelinat,
Jacques-François Haine, expose les difficultés qu’il a de se procure des grains
pour nourrir les orphelins. Les municipaux décident en conséquence qu’on lui en
procurera mais que le pain devra être composé d’un tiers de froment, un tiers
de vaireux et un tiers de succorion.
En floréal an III, les boulangers refuseront de
livrer du pain si on ne leur fournit pas le grain. Les administrateurs
communaux font alors une pétition au district pour obtenir six quintaux de
créréales, moitié froment, moitié seigle.
Treize boulangers se partagent le marché du
pain dans notre ville : Bernard Buisseret, rue du Cerf ; Joseph
Claise, rue de la Tripperie ; Englebert Courtois, Grand-rue ; Louis
Delrue et Philippe deprez, rue de la Caillerie (rue de Mons) ; Ursmer
deneufbourg et François Virlet, rue Saint-Paul ; Philippe Michel, rue
Margot du Fayt ; Louis Moreau, Joseph Leblanc, N. Médart et N. Navez.
Binche comptait alors 178 familles
nécessiteuses.
Le 23 nivôse an III, le citoyen Cohendos
propose que les contributions devraient peser sur les notables, les riches
propriétaires et les ecclésiastiques car il y a en ville plus de trois quarts
de fmilles indigentes et d’un cinquième de familles semi aisées ; en fait
il y a 2763 indigents pour une population de 3683 habitants.
Des réquisitions en grand nombre montrent le
dénuement de notre cité. Des chariots sont réquisitionnés par les municipaux
pour aller chercher du charbon pour les nécessiteux aux houillères de la Haine
mais aussi pour les besoins de l’armée : foins, avoines sont demandés pour
les cavaliers qui traversent la ville ou qui y stationnent.
Le 24 nivôse, Estinnes-au-Mont est
réquisitionnée de quinze quintaux d’avoine à fournir dans les trois jours car
Binche est démuni de foins, d’avoine et de viande. Battignies a fourni une
vache mais ce n’est pas suffisant. D’autre part les soldats logent chez
l’habitant, ils se plaignent d’être très mal logés et chauffés vu la rigueur de
la saison. Ils demandent qu’on ne les loge plus chez des indigents.
Ces quelques traits brossés de la vie courante
nous prouvent la rudesse de la vie de notre ville sous la période
révolutionnaire.
Références
Archives :
A.V.B. 00-00-01-42. Registre d’audiences de la
mairie de Binche du 19 frimaire an 3 au 25 prairial an 8.
A.V.B. 2723. Tableau contenant la liste des
habitants par professions et par rues.
Publications :
R. DARQUENNES, Histoire économique du département de Jemappes, in A.C.A.M., t. LXV
A. MILET, Fêtes
populaires et mentalité populaire à Binche (1794-1799), in « Les
Cahiers Binchois », n°5, 1982
[1] La bataille de Fleurus du
8 messidor an II (26 juin 1794) a lieu entre les coalisés (Royaume-Uni, Saint-Empire, Électorat de Hanovre) et la France.
[2] Lazare Carnot, né à Nolay (province de Bourgogne, actuelle Côte-d'Or) le 13 mai 1753 et mort en exil à Magdebourg (actuelle
Allemagne) le 2 août 1823, est un mathématicien, physicien, général et homme politiquefrançais. Membre
de la Convention nationale et du Comité de salut public, il est surnommé « L'Organisateur de la
Victoire » ou « Le Grand Carnot ».
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