dimanche 5 février 2017

La chaire de vérité de la collégiale Saint-Ursmer


LA CHAIRE DE VÉRITE DE LA COLLÉGIALE SAINT-URSMER
                                                                                                                                          Alain GRAUX
Une tradition familiale rapporte que notre aïeul, Louis Besanger[1], menuisier ébéniste, avait fabriqué la chaire de vérité de la collégiale Saint-Ursmer. Je voulus en savoir plus et me suis rendu compte qu’en réalité il l’avait restaurée.
Cette chaire de vérité date des derniers temps de l’ancien régime, remplaçant celle existante qui devenait caduque. Le 12 mai 1789, le sculpteur Jaupart[2] présenta aux jurés de Binche le plan d’une chaire de vérité qui fut agréé sous les conditions suivantes :
« 1. Que la dite chaire devra être placée aux fraix de l’entrepreneur pour le jour de pâques de l’année 1790.
2. Qu’elle devra être faite en bois de chêne vieux mais de belle couleur uniforme pour pouvoir y recevoir un vernis.
3.  Que toutes les ferrailles nécessaires seront aux fraix de l’entrepreneur.
4. Que tout sera exécuté suivant la grandeur de l’échelle audit plan et la sculpture bien finie au dire d’expert.
5. Que la dite chaire sera posée contre le même pilier que la vieille et qu’il n’y aura qu’un escalier pour y monter comme il est désigné dans le plan.
6. Que le prix sera de huit cent florins argent courant qui lui sera payé  par la recette de l’église, citot que la chaire sera posée moyennant que le tout sera exécuté selon les conditions ci-dessus.
7. Que cependant pour la facilité de l’entrepreneur, on lui dépêchera fait à fait que l’ouvrage avancera des ordonnances de quelques cent livres et à proportion qu’il paraîtra aux maîtres de l’église être nécessaire »[3].
Le Magistrat consentit à cette demande lors de l’assemblée du 24 juillet 1789. Les maîtres de l’église convinrent de faire blanchir l’église avant la pose de la chaire de vérité.
L’ébéniste sculpteur se récusa par la suite car en dessous de l’acte du 12 mai 1789 on peut lire ;
«  Ledit Philippe Jaupart se présente ce jour d’hui 3 septembre 1789 en bureau, demandant de se désister de l’accord et entreprise ci-dessus »
Il fallut trouver un nouvel artiste pour exécuter ce travail, il se présenta le 24 juillet 1790 en la personne de Pierre Lignan[4].
«  Convenu avec Pierre Lignam, sculpteur pour l’exécution d’une chaire de vérité à placer dans l’église paroissiale de cette ville, suivant le plan qu’il lui resté en mains, approuvé par nous avec la Samaritaine au pied, et d’ajouter un double escalier, sous les conditions suivantes, savoir qu’il ne pourra employer que du bous bien sèche de quartier à vives hérettes (arêtes) sans aubier, bois rouge, ni nœuds, suivant le profil dudit plan et conformément et icelui relivré aux fraix dudit Lignan si Messieurs le jurés se trouvent convenir.
Il lui sera payé pour toute exécution compris la livrance du bois qui est à sa charge la somme de seize cent livres dont le payement de la moitié luisera fait en la plaçant et l’autre moitié six mois après en ce qui fut accepté par ledit Lignan soussigné »
Le 9 septembre 1790, l’artiste reçut 200 florins d’acompte. Il reçut ensuite la même année 400 livres[5].
Le compte de l’église de 1791 renseigne :
« A Pierre Lignan 52 livres pour boiserie du piètement de la chaire de vérité en ce compris le payement du tailleur de pierre et c’est en dessus du prix convenu pour ladite chaire suivant ordonnance et quittance …52. 0. 0. »[6].
Le compte de cette année signale un payement de 200 livres et de 400 livres et « n’a plus que 600 livres pour mémoire ».
On lit aussi :
« A Nicolas Dutilleux, vernisseur, 84 livres pour avoir verni la chaire de vérité à charge qu’il devra vernir le piètement et tout ce qui sera nécessaire lorsqu’elle sera achevée…84. 0. 0. »
Le meuble fut terminé en 1792. Le compte de cette année signale :
« A Pierre Lignan sculpteur, six cent livres pour restant du payement de la chaire de vérité »[7].
L’inventaire du mobilier de la collégiale Saint-Ursmer fut réalisé le 13 prairial an VI (1-6-1798) par Louis Leghay, commissaire préposé aux inventaires du mobilier national, il était accompagné par l’agent municipal de la commune de Binche, Florent-André Gathier et par Adrien Fontaine, appréciateur nommé par la municipalité du canton de Binche.
Au point 43, on peut lire : « Une chaire à prêcher au bas de laquelle est la Samaritaine en bois de chêne vernissé, apprécié à 15 francs…15 Fr. ».
On est en droit de se demander si la chaire de vérité se trouvait encore dans l’église après la vente du mobilier. Le 11 janvier 1802, le sous-préfet de Charleroi signale « l’église paroissiale de Binche se trouve dans une parfaite nudité, il ne reste que l’urne du maître-autel… »[8].
Il est à noter que dans son livre sur les monuments de Binche[9], le bourgmestre Derbaix présente une gravure de l’intérieur de la collégiale qui est probablement de la période 1830-1840. on y voit la chaire de vérité qui est représentée avec un cippe sculpté posé sur le dais de la chaire. Le bas du meuble se termine en cul de lampe, sans le piètement et la sculpture du Christ et de la Samaritaine.
Ce vase posé sur le dais fut sculpté par Philippe Jaupart  en 1824
« ..34e ordce , payé à Phle. Jaupart, sculpteur, la somme d’un florin 28 centimes et demi pour le prix d’un vase servant à la chaire de vérité… »[10].
Plus aucun compte ne signale la chaire de vérité si ce n’est une remise au vernis effectuée en 1840 par Louis Jourdain.

On ne sait quand la chaire de vérité fut replacée dans son état initial avec son piètement sculpté.

DESCRIPTION
Cette chaire de vérité est un meuble de style Louis XVI, le corps du meuble présente à l’avant trois panneaux représentant les évangélistes avec leur attribut, ces médaillons sont surmontés d’une cocarde à la mode Louis XVI :
A gauche, Saint Marc (Lion)
Au milieu, Saint Luc (Bœuf)
A droite, Saint Jean l’évangéliste (Aigle)
De même, deux panneaux formant les portes de la chaire, représentent :
A gauche, Saint Mathieu (Ange)
A droite, Saint Augustin (Cœur enflammé et rayonnant)
Le dossier apposé sur la colonne présente lui aussi un médaillon avec la représentation de Saint Jean-Baptiste portant un agneau sur le dos.
Le dais formant la partie supérieure de l’œuvre présente une corniche terminée à sa partie inférieure par une frange.
Le piètement de la chaire est posé sur un socle de marbre noir. Un arbre à quatre branches relie la partie principale du meuble au socle. Ce denier est couvert de feuilles et de fleurs, un serpent et une grenouille y figurent.
Un escalier à droite et à gauche de la colonne sont ornés de feuilles et de roses, à leur base une frise de feuilles tressées court le long des escaliers.
La partie basse présente un groupe sculpté en ronde bosse. Illustration de l’évangile selon Saint Jean : « Révélation du sauveur du monde aux Samaritains ». Autour d’un puits[11] et à sa droite, le Christe est assis, sa cape forme un élégant plissé. A sa gauche, la Samaritaine, debout, pose ses mains sur une cruche d’eau. Le groupe offre un tableau serein


[1] Besanger Louis-Florent, ° Binche 26-4-1849, y † 24-3-1892, menuisier-ébéniste, x Binche 1-12-1875, Canivez Marie-Thérèse, ° Binche 1-8-1853, † Montpellier (Fr.) 11-6-1940, lingère
[2] Jaupart Philippe-Roger, ° Binche 1-4-1752, x Binche 3-8-1789, Massart Ursmarine. Ils demeuraient rue de la Caillerie (rue de Mons) en 1795 (A.V.B. 2723).
[3] A.V.B. 00-00-01-39.
[4] Lignan Pierre-Joseph, ° Binche 17-6-1745, x Binche 8-11-1784, Haine Caroline-Françoise. Ils demeuraient rue du Cerf en 1795.
[5] A.V.B. 00-08-01-96. Comptes de l’église année 1790.
[6] A.V.B. 00-08-01-97
[7] A.V.B. 00-08-01-98.
[8] A. MILET, Binche au début de la seconde occupation française (1794). Le commissaire civil Jasmin Lamotze et la saisie du trésor de la collégiale Saint-Ursmer, dans « Las Cahiers Binchois » n°8, 1987, p. 60
[9] E. DERBAIX, Les monuments de la ville de Binche, Mons, 1928, planche 14.
[10] A.V.B. 1610, compte de l’église année 1824.
[11] La rencontre près du puits est un thème de la littérature patriarcale. Les puits et les points d’eau jalonnent l’itinéraire des patriarches et du peuple de l’exode.

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