lundi 13 février 2017

Trouille grenouillade


TROUILLE GRENOUILLADE
                                                                                                                                   Fernand GRAUX

L’anecdote dont je vais vous faire le récit s’est passée en la soirée du bal des Supporter de 1938.
Nous étions mon ami Fernand Philippart et moi en veine de rigolade et avions décidé de faire une descente carabinée en ville.
Pour ce faire, nous avions jeté notre dévolu sur un déguisement très classique mais qui porte toujours : changer purement et simplement de sexe !
Des gaines et des soutien-gorge complaisamment fournis par la sœur de mon camarade nous changea en un tournemain la silhouette, d’autant plus que nous n’étions ni l’un ni l’autre très corpulent (J’avais pour ma part la taille 44 mannequin), quelques éponges achetées à la hâte à « l’Economat », magasin situé à la rue de Versailles où nous habitions tous deux, rendirent indubitablement plus véridiques et plus moelleux encore nos attirants appâts, remplaçant nos chaussettes par de ravissants bas de soie et changeant nos souliers par d’élégantes chaussures à hauts talons ; une ultime et machiavélique astuce nous firent garder nos habits masculins par-dessus le tout rendant ainsi l’illusion la plus complète de jeunes femmes costumées en hommes, par raffinement supplémentaire nous avions glissé aux doigts des alliances prétées par nos parents enthousiastes, puis enfilé de gros gants de peau soigneusement boutonnés ne laissant en rien deviner les mains d’hommes qui se cachaient dessous.   
Et nous voilà partis bras dessus bras dessous, pour la tournée des grands ducs. Notre premier soin fut d’aller tester notre métamorphose en notre local favori « le vélo club au bon coin » où nous étions connus comme des « vies leus », banc d’essai redoutable, mais empruntant nos plus belles voix de fausset que l’on puisse imaginer, nous mîmes toute l’assemblée à l’épreuve nous permettant ainsi de nous rendre compte de notre parfait déguisement.
Après être descendus avec brio chez « Warnier », petit café maintenant disparu situé au coin de la rue Saint-Georges, nous nous rendîmes comme bien l’on pense au « Central », lieu de prédilection pour trouilles de nouilles, là, notre première victime fut notre ami Charles Deliège, je m’installai carrément sur ses genoux et …lui prodiguant mille baisers agrémentés de grosses boutades dont je vous laisse le soin d’en inventer ce qui faisait rire jusqu’à l’étouffement certains de ses voisins attablés avec lui. Il faut dire que notre ami ne se fit nullement prier pour nous payer un « apéritif » bien tassé espérant de se débarrasser au plus vite de ces deux « demoiselles » un peu trop bruyantes et quelque peu audacieuses allant jusqu’à montrer le gros de leurs cuisses si joliment gainées, au plus grand plaisir des spectateurs, notre ami était rouge comme une pomme belle fleur et…il se permit même le luxe de me pincer la cuisse (le petit coquin). Vous vous en doutez bien que ceux qui rigolaient le plus  sous cape…c’était nous.
Sortant à peine de ce café, nous rentions chez le « Grand Mien » autre bistro où l’on s’amusait ferme, et là aussi nous étions très connus, et malgré nos « m’erconissez co bie » répétés, nul ne parvint à percer notre identité. Après s’être fait payer de nombreuses pintes, sucées à l’aide de macaronis au travers de nos masques ruisselants de sueur, puis étant quelque peu éméchés, nous décidons de nous rendre chez « l’Marie », café situé au coin de l’hôtel de ville, là aussi çà guinchait à la diable, notre entrée fut sensationnelle et dès l’abord « invitées » à danser.
Et c’est là que mon histoire quelque peu banale s’est corsée ; un beau jeune homme bien balancé m’enlaçant la taille un peu plus qu’il ne l’aurait fallu et un peu trop entreprenant par surcroît entreprit de me compter fleurette. Il faut vous dire qu’ayant appris la danse dès mon plus jeune âge et par là assez bon virtuose de l’entrechat, il m’était très facile, vu ma souplesse d’exécution, de passer véritablement pour une jeune personne du sexe féminin, aussi mon ardent  cavalier fut tellement trompé par mon allure, mon hardiesse ainsi que mon verbiage intelligemment dirigé qu’il voulait à tout prix m’enlever mon masque afin disait-il de découvrir à quelle charmante personne il avait affaire, mais ma ténacité fut la plus forte (et pour cause). Une idée saugrenue germa dans ma petite cervelle, je lui promis afin de satisfaire sa curiosité toute naturelle un rendez-vous pour le lendemain, lui faisant croire que je travaillais comme secrétaire chez « Hupin », établissement de confection bien connu de tous, lui donnant comme signe de reconnaissance que j’aurais un exemplaire de « Match » revue en vogue.
Epilogue : le lendemain vers cinq heures je me trouvais donc au poste fidèle au rendez-vous fixé, mais ayant repris ma personnalité, et de ma poche sortait ostensiblement la manchette du magasine précité…je n’attendis pas très longtemps du reste, mon beau jeune homme brun arriva, pimpant, faisant les cent pas non loin de moi, cherchant visiblement son inconnue d’un soir. Regardant à maintes reprises sa montre bracelet l’air déconfit, son regard errant çà et là…quand tout à coup une hébétude sans bornes se lut sur son visage ahuri…il venait d’apercevoir le signe tant attendu scrutant d’un air plutôt hargneux mon œil malicieux et mon sourire plus que narquois ; le doute ne lui fut plus permis, il s’approcha de moi, l’insulte amicale aux lèvres « Fainéant » dit-il « s’astoue vous ? ».
Et l’affaire se termina gentiment devant un bon bock mousseux payé au « Terminus » par mon amoureux d’un soir de carnaval.

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