mardi 29 novembre 2016

1814-1819, Quand les Prussiens et les Russes nous envahirent


1814-1819, QUAND LES PRUSSIENS ET LES RUSSES NOUS ENVAHIRENT

                                                                                                                                      Alain GRAUX

Suite à la campagne de Russie, la Belgique fut envahie par les Alliés qui poursuivaient les armées napoléoniennes affaiblies par la bataille de Leipzig[1].

Toute la région, et notamment Binche, fut encombrée à plusieurs reprises par les troupes russes et prussiennes. Le 1er février1814, les cosaques sont à Charleroi et à Mons le 6. La brutalité des troupes, les incommodités de leur logement, leurs exactions et leurs réquisitions ruineuses exaspèrent les populations de nos « libérateurs ».

Le général-major, commandant en chef de l’armée russe, Winzingerode[2], arriva à Binche le 2 février 1814.

Le 10-2-1814, le chirurgien Paul Courtois fut réquisitionné d’un cheval « sellé et bridé » pour un courrier du général Winzingerode. Il fut indemnisé, 47, 25 florins.

Le même jour, la veuve du tanneur Charles Gailliez, dut donner, elle aussi, un cheval, pour les mêmes raisons, elle en reçut 50 florins.

Le 18-2-1814, Nicolas Lambret, propriétaire, dut fournir un cabriolet à un colonel russe pour aller à Chimay, il fut indemnisé pour la somme de 7, 50 florins.

Les troupes des coalisés sont cantonnées dans la région comprise entre Mons et Anderlues.

Sur les abords de la nouvelle route menant de Mons à Charleroi, presque terminée, les cosaques sont stationnés,

Leval-Trahegnies garde en souvenir ces stationnements par le lieu dit « Côte de Moscou ».

C’est dans cette localité qu’eut lieu un incident fâcheux :

Un certain Hardas, habitant de la rue de Fontaine, tua un cosaque qu’il surprit en train de violer sa femme. Il fut emmené par les soldats, et on n’entendit plus parler de lui. Sa maison fut rasée[3].

Les officiers sont logés chez les notables binchois[4], comme nous l’apprend le Registre des assemblées du collège de Régence : Etat de répartition  pour le logement des troupes prussiennes en 1815.

Non seulement on dut les loger, mais on dut aussi leur fournir la nourriture, un Etat de répartition de la somme de 2504 francs pour logement et nourriture fournis aux troupes prussiennes pendant l’an 1815 » nous apprend quels sont les 341 Binchois qui durent y contribuer. Ils furent indemnisés  les 25 et 26 mai 1818[5].

De nombreuses réquisitions eurent lieu, elles ne furent indemnisées par la Régence de Binche qu’en avril 1827:

Narcisse Leghait, voiturier, perdit un harnais, donné à un officier russe pour son cheval, il en reçut 4, 50 florins.

Le 7-6-1815, le chirurgien Courtois refusa sa porte aux militaires prussiens de passage, en conséquence, trois militaires sont logés chez Séverin Cordier, aubergiste du « Cheval blanc », rue de Mons, aux frais du dit courtois[6].

Mais ils logent aussi à l’hôtel du Roi d’Espagne: « A l’aubergiste Sainte Marie 45 florins 10 s. pour un lit qu’il a fourni pour coucher le chef de la patrouille de la garde russe de l’empereur Alexandre… » [7].

Le 16-3-1814 eut lieu une rixe entre soldats russes, pris de boissons, dans le cabaret Jean Lechien[8], rue de la Triperie.

De même, une altercation eut lieu entre des Binchois et des soldats prussiens dans l’estaminet de la veuve Louis Navez[9], rue de la Triperie.

On se rappellera que le mot « bistro » vient de cette époque, où les soldats russes demandaient des boissons en en disant bistro, bistro = vite, vite.

Louis Pouillart, journalier, dut fournir un tombereau à l’armée prussienne en juin 1815, il fut dédommagé par 6 florins.

Un tableau des réquisitions faites par les Prussiens à leur passage du 20 au 26 juin 1815 renseigne :

20-06-1815 : 8 tonneaux de bière, cette bière ayant été requise par divers officiers a été prise de vive force par divers corps qui sont passés dans le même temps. C’est pourquoi les officiers n’ont pas fourni de bons.

20-06-1815 : 474 litres de genièvre, réquisition ordonnée par M. Thomas, commissaire du corps de cavalerie du roi de Prusse.

20-06-1815 : 100 livres de sel, 2600 rations de pain et 435 litres de genièvre, ordonné par M. Sallé commissaire de guerre de la 13e brigade du corps d’armée prussien.

20-06-1815 : 200 litres de genièvre et 8 chevaux, par le commissaire de guerre du 4e corps d’armée prussien.

21-06-1815 : 193 rations de fourrage et 10 litres de genièvre,  ordonné par M. Besserer, commandant prussien de la 12e batterie à cheval.

23-06-1815 : 90 pains et 30 tonneaux de bière, ordonné par le commandant Gervais du détachement du 22e régiment d’infanterie, composé de 70 hommes.  Il a été fourni de plus grandes quantités, mais ayant été pillés par les troupes, on en a pas reçu de bons de réquisitions.

26-06-1815 ; 35 rations de fourrage et avoine, ordonné par M. Hortiel commissaire expéditionnaire de la cavalerie de réserve, brigade du 2e corps d’armée [10]

En octobre 1818, suite à la débâcle de Waterloo, l’empereur Alexandre Ier de Russie, et le roi Guillaume III de Prusse passèrent par notre ville, pour loger ensuite à Mons à l’hôtel de la Couronne.

A cette occasion toutes les communes des environs furent réquisitionnées : des chevaux, et des guides devaient être prêts pour le passage des monarques, ils devaient être prêts  dans les cours des trois hôtels principaux de la ville : Lion d’Or, Roi d’Espagne et Cornet d’Or.

En octobre 1818, le gouverneur écrit au maire de Binche :

« Le 18 de ce mois, le duc de Wellington passera par votre ville, il ne s’y arrêtera pas ; le lendemain l’empereur de Russie, le roi de Prusse et les princes impériaux de Russie et le prince royal des Pays-Bas y passeront.

Ils y seront emmenés sans relais de Charleroy et arriveront à Mons.

Il faudra pour le service des deux souverains 61 chevaux et 36 pour le service des princes. Je charge les maîtres de poste d’Anderlues et de Bray de se rendre à Binche pour diriger ce service avec leurs chevaux, ainsi que ceux de Haisne et de la Noire  Bouteille en tout, 26 chevaux. Il s’agira donc de se procurer 80 chevaux dans les communes voisines »


Alexandre Ier, Tsar de Russie (1777-1825) par le Baron François Gérard

Un tableau explicatif de ces réquisitions fut établi :
Commune                   Chevaux. Guides.  Lieu indiqué pour se rendre

Binche                        18                    2          Cornet d’Or
Anderlues                   22                    3          Lion d’Or
Battignies                   5                                 Roi d’Espagne
Buvrinnes                   6                                 id
Carnières                    10                               id
Estinnes-au-Mont      13                    2         id
Haulchin                    10                               id
Haine-st-Pierre           5                                 Lion d’Or
Leval-Trahegnies      6                                  id
Mont-Ste-Aldegonde 4                                 Cornet d’Or
Morlanwelz                10                    1         Roi d’Espagne
Ressaix                       3                                 Lion d’Or
Vellereille-L-B.          8                                 id
Waudrez                     6                                  id
                                   ------             -----
                                 116                   8

Un relevé du nombre de rations, vivres viande, liquides, fourrages et moyens de transports, fournis par la ville de Binche à divers corps d’armée impériale russe fut établi :

1er détachement de convalescents  (373 hommes):
373, pains, légumes, sel, viande de 8 onces, eau de vie
97 rations pour chevaux à ration forte, de foin, paille
8 voitures fournies, à deux colliers.

Division de l’état-major (4 hommes)
4, pains, légumes, sel, viande de 8 onces, eau de vie
4 rations pour chevaux à ration forte, de foin, paille
2 voitures fournies, à deux colliers.

Officiers du régiment d’Alexpol (2 officiers)
2, pains, légumes, sel, viande de 8 onces, eau de vie
1 voiture fournie, à deux colliers.

2e détachement de convalescents (169 hommes)
169, pains, légumes, sel, viande de 8 onces, eau de vie
4 rations pour chevaux à ration forte, de foin, paille
4 voitures fournies, à deux colliers.

3e et dernier détachement (174 hommes)
174, pains, légumes, sel, viande de 8 onces, eau de vie
4 rations pour chevaux à ration forte, de foin, paille
6 voitures fournies, à deux colliers.

Le conseil de Régence de la ville de Binche décide le 3 décembre 1819, qu’il sera mis à disposition du secrétaire communale, la somme de 252 florins, pour être distribuée aux individus qui y ont droit, pour le logement de 722 hommes de l’armée impériale russe à raison de 35 centimes par homme et par jour, à la présentation des billets de logement.
De même la somme de 41 florins est attribuée par la caisse du receveur des convois et transports militaires pour les ayant-droit à raison de 87 cent. pour la réquisition de voitures à deux colliers.
Il est accordé 3 jours aux habitants de la ville pour recevoir les montants alloués, passé ce délai, il ne sera plus fait de suite aux requêtes.


[1] La bataille de Leipzig dite « bataille des Nations »eut lieu du 16 au 19 octobre 1813, défaite de Napoléon devant les Russes, les Autrichiens, les Prussiens, auxquels s’était joint Bernadotte.
[2] Winingerode Ferdinand, baron de -, ° Wurtemberg 1770, † Wiesbaden 1818, maréchal et diplomate russe. Il négocia l’entrée de la Russie dans la coalition de 1805. Chef de cavalerie audacieux. Il fut le premier à libérer Moscou en 1812, mais se fit prendre par les soldats de Mortier. Bientôt libéré, il  se battit  de nouveau contre Napoléon jusqu’en 1814.
[3] BURGEON R. et LEMAIRE E., Miettes levalloises, T. 2, 1e partie, p.23.
[4] A.V.B. 01-00-02-1. Registre des assemblées du collège de Régence : Etat de répartition  pour le logement des troupes prussiennes en 1815.
[5] A.V.B. 01-00-02-1. Pages 39 v° à 66v°
[6] A.V.B. 01-00-04-108.
[7] A.V.B. 00-01-04-109
[8] Le cabaret Jean-Joseph Lechien  et de son épouse Marie-Joseph Huart est déjà cité le 17 fructidor an 5 (3-9-1797) et le 4 fructidor an 10 (22-8-1802).
[9] Payen Marie-Augustine, ° Waudrez 30-8-1758, † Binche 25-12-1818, vendeuse de genièvre, x Waudrez 4-6-1782,  Navez Louis-Joseph, ° Binche 8-4-1761, † Valenciennes 11-12-1798, boulanger et cabaretier. Cabaret déjà cité le 9 pluviôse an 6 (28-1-1798).

[10] A.V.B. 7603

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