dimanche 1 janvier 2017

La carte de Ferraris du canton de Binche


LA  CARTE ET LES COMMENTAIRES DE LA CARTE FERRARIS RELATIVE A NOTRE CANTON

                                                                                                                                      Alain GRAUX



Parmi les cartes anciennes de nos contrées, la Carte de Cabinet des Pays-Bas, dite Carte de Ferraris, est d’un grand intérêt pour l’histoire de l’habitat, des paysages, mais également des voies de communication en Wallonie, avant l’avènement de la Révolution Industrielle. Cette carte fut levée de 1771 à 1778 à l’initiative du comte Joseph de Ferraris, directeur de l’Ecole de Mathématique du Corps d’Artillerie des Pays-Bas. Il s’agit de la première carte topographique générale de nos contrées.

                                               La ville de Binche extraite de la carte 65 ou S8

Celles-ci étaient alors sous l’autorité des Habsbourg d’Autriche en la personne de l’Impératrice Marie-Thérèse qui règne à Vienne de 1740 à 1780. Levée par des élèves officiers, cette carte avait une vocation exclusivement militaire, devant servir à l’état-major autrichien à préparer de futures campagnes militaires et la défense des territoires habsbourgeois.

Cette carte a été dessinée et coloriée à la main, planche par planche et compte 275 planches de grande taille, accompagnées de commentaires sur le territoire représenté. Malgré ses imprécisions, cette carte fournit un grand nombre de renseignements sur la réalité paysagère, urbanistique, politique et économique de nos contrées à la fin du 18e siècle. Le relief, le réseau hydrographique, l’affectation du sol, l’organisation des villages, les frontières politiques, les infrastructures économiques (moulins, canaux), les bâtiments importants (châteaux, abbayes, églises, chapelles), sont représentés sur cette carte.

Bien évidemment les voies de communication son également soigneusement représentées étant donné la vocation militaire du document. Chaussées, chemins et sentiers portent même des noms, la toponymie – bien que parfois erronée et imprécise – étant aussi l’un des nombreux intérêts de la Carte de Ferraris. Avant même la réalisation de l’Atlas des Chemins vicinaux de 1841, la Carte de Ferraris constitue le premier jalon de notre connaissance des anciennes voies de communications sur l’ensemble de la Wallonie, réseau que vient ensuite modifier l’avènement du chemin de fer à partir de 1845, la Révolution Industrielle et le développement de notre société, de notre économie et des modes de communications modernes. Un patrimoine cartographique de première importance donc, soigneusement conservé à l’Institut Géographique National de Belgique.

Ces cartes sont accompagnées de commentaires, les « Mémoires historiques, chronologiques et œconomiques ».

Dans l’ »Eclaircissement sur la carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens » on lit :

« Il y a sur chacune de ces feuilles (275 cartes couvrant la Belgique) un mémoire historique, chronologique, œconomique et politique contenant une description du lieu principal où entrent les événements les plus remarquables ; les objets faisant monument et époque dans l’histoire, une dissertation sur la situation locale, la nature du sol, son produit en différents genres ou espèces et l’amélioration dont ce sol est susceptible ; sur le commerce du pays, un dénombrement des moulins, des usines, des carrières, des mines etc. ; le nom des rivières et des ruisseaux avec leur cours ; le nombre des ponts et des gués ; et enfin des observations militaires pour les campements et cantonnements »[1].

Le professeur Arnould, en raison de la parfaite uniformité de ces 275 mémoires a pensé à des informations obtenues sur place d’après un modèle de base[2]. On peut se demander si les auteurs des mémoires n’ont pas été aidés par les fonctionnaires de l’Administration des Finances, qui avaient mis au point un recensement économique[3].

La carte se rapportant à Binche et sa région est cotée 65 et les commentaires font partie du volume VI des Mémoires. Elle est levée à l’échelle 1/25.000. Le Crédit Communal de Belgique en a réalisé des copies en réduction, soit 2,7 fois en longueur et 4,72 fois en largeur.

La carte de Binche s’étend sur le baillage du Rœulx et la prévôté de Binche.

Les villages concernés sont Bellecourt, Boussoit, Bray, Buvrinnes, Carnières, Epinois, Estinnes-au-Mont, Estinnes-au-val, Haine-Saint-Paul, Haine-Saint-Pierre, Havré, Houdeng, La Hestre, Leval-Trahegnies, Maurage, Mont-Sainte-Aldegonde, Morlanwelz et le domaine royal de Mariemont, Péronnes, Ressaix, Saint-Vaast, Strépy, Thieu, Trivière, Vellereille-le-Sec, Villers-Saint-Ghislain, Waudrez, et la ville de Binche.

La carte est destinée aux militaires, on en donne donc différents éléments pouvant les aider en campagne, nous les sauterons pour vous livrer les considérations réalisées sur divers endroits de notre région:

« Mémoire concernant la feuille S8 de la carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens :

Cette feuille, dont l’endroit principal est Binch au comté de Hainaut, représente une partie de cette province, sous les noms de prévôté de Binch, de Mons et de baillage du Rœulx.

Les limites qui différencient ces districts, ainsi que celui des biens domaniaux y sont exactement tracées  et colorées comme on en est convenu.

Elle joint par son côté oriental la feuille T7, et par son septentrion la feuille U8.

Binch, est une petite mais très ancienne ville, dont l’enceinte étoit autrefois flanquée de quatre vingt dix neuf tours desquelles il ne reste aujourd’hui que ce qui a été épargné par les guerres des siècles précédents. Henri II, roi de France la fit brûler en 1554. Dom Juan d’Autriche la prit sur les rebelles en 1578, le duc d’Alençon la lui reprit d’assaut la même année au mois de 7bre, et le Français y mirent tout à feu et à sang.  En 1583, elle se rendit au prince de Parme. En 1667 à Louis XIV. En 1678, le 10 août, elle revint sous la puissance espagnole au moyen du traité de Nimègue, et en 1748, le 18 8bre elle appartint à S.M.I. par le traité d’Aix-la-Chapelle.

Le chapitre de Binch, qui était anciennement à Lobbes, fut transféré dans cette ville en 1409 pendant les troubles du pays de Liège et Guillaume de Bavière, comte de Hainaut l’y fixa pour toujours.

Son église collégiale dédiée à la Ste. Vierge, est sous la protection de st.-Ursmer, que la ville choisit pour patron ; il est composé de douze chanoines, d’un doyen et d’un prévôt qui est toujours l’abbé de Lobbes dont il y a un représentant.

On voit encore à Binch un couvent d’hommes et 2 de femmes.

Le commerce principal de cette petite place est en couteaux, en friperie et en pluts de dentelles dont elle fournit tout le Brabant.

Elle est à deux lieues de Mons et autant de Charleroi.

Morlanwelz, Haine-St.-Pierre et St.Paul, Estinnes et Haute Estinnes sont des endroits qui n’ont rien de remarquable, et qui ne sont pas digne d’attention que par différents camps qui s’y sont tenus.

….

Au nord-est de cette feuille, est le parc et château royale de Marimont où S.A.R. Mgr. Le duc Charles de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas autrichiens passe une partie de l’automne. Marie d’Autriche, aussi gouvernante des Pays-Bas le fit bâtir dans l’emplacement que lui donna l’empereur Charles V. Il fut ensuite brûlé par le roi de France Henri II, en même temps que la ville de Binch en représailles de ce que Marie avait fait brûler son château de Folembrai en Picardie, mais depuis il est magnifiquement rebâti, et l’on travaille encore tous les jours à l’embellir.

L’abbaye de l’Olive qui joint le parc et se nommait anciennement l’Hermitage fut fondée aux environ de l’an 1220 pour des religieux de l’Ordre de Citaux par un saint hermite de Flandre, nommé Guillaume.

Le prieuré de Montaigu situé au sud de cette abbaye est de l’Ordre des Prémontés et dépend de l’abbaye de Bonne-Espérance. Celui de Prix (Prisches) entre Binch et le village d’Espinoit est du même ordre et fut aussi érigé pour les religieux de la même abbaye.

Au nord d’Espinoit il y a un ermitage nommé Ste-Apolline où l’on enseigne des écoliers.

Le village de Péronne que l’on voit sur cette feuille vient d’être tout récemment réduit en cendres, à l’exception d’une partie de l’église et de la maison du curé.

Quoique ce territoire soit coupé çà et là de montagnes et couvert de quelques petits bois on y encontre néanmoins deux plaines rases d’une grandeur prodigieuse. Il semble que les belles collines qui en font la séparation aient été formées à plaisir par la nature. Ses plus hautes éminences se trouvent au nord de la ville de Binch et le long de la rivière de Haine. Elles ont 20, 30, à 35 toises d’élévation et on ne peut y monter que par des chemins usités. Toutes les autres dont il n’est pas fait mention ne surpassent pas 15 toises au dessus du fonds qu’elles dominent, et peuvent se traverser fort aisément en voiture. On voit d’après cela que ce pays peut passer pour un des plus ouverts puisqu’on n’y rencontre pas beaucoup d’obstacles quant au passage. Il en est de même pour les chemins creux qui ne sont enfoncés que de 6, 7, et 9 pieds. Eu égard aux rivières et ruisseaux, ils ne sont pas assez considérables pour former de grandes difficultés. On y compte 20 moulins à eau et 4 à vent pour la mouture des grains.

On voit aussi une tourbe à l’angle sud-est de la feuille, deux forges, ainsi que 13 houillères, elles sont pour la plupart dans les environs du château de Marimont, un chaufour vers le midi du village de Vellereille-le-Secq, et plusieurs carrières de pierres.

Il y a au nord du château de Marimont une fontaine d’eau minérale dont quantité de personnes ont éprouvé des effets salutaires.

Il est constant qu’à l’inspection de cette feuille on pourra juger du commerce dominant des Pays-Bas qu’elle représente ; ses belles campagnes produisent du grain de toutes espèces en si grandes quantité que ses habitants en font un débit considérable, dont le gain les fait vivre très à leur aise. Il est rare sans doute  qu’on rencontre des cantons aussi propres à la production que celui-ci, d’autant qu’il n’y a pas un pied de terrein qui ne soit exactement cultivé.

Les prairies y fournissent abondamment du bon foin et les trèfles qu’on sème sur une partie des terres arables augmentent encore la provision de fourrage au moyen duquel on y nourri beaucoup de chevaux et bêtes à cornes, dont on retire aussi un produit consistant en beurre, fromage ; que le peu de bois qu’on y coupe annuellement ne suffit cependant pas pour le chauffage, mais on en est dédommagé par la houille du pays dont le surplus donne encore lieu à un petit trafic.

Le sol qui y est sablonneux ne contribue pas moins à l’avantage qu’on a d’y pouvoir fréquenter les chemins en quelque saison et puisse être à faciliter aux laboureurs le transport de leurs engrais.

C’est dans cette partie du comté de Hainaut que la rivière de Haine qui devient par la suite navigable a sa principale source. Elle provient de plusieurs ruisseaux dont le plus considérable  est celui de Hage qui se joint à un autre au nord du village de Péronne, où la Haine prend son nom. Celle-ci coule rapidement en s’élargissant toujours à mesure qu’elle approche de sa sortie à l’ouest avec une largeur de 12 à 18 pieds. Ses bords sont obliques et elle déborde aisément surtout en hiver. On la passe sur des ponts de maçonnerie au village de Boussoit-sur-Haine à deux endroits, de Ville-sur-Haine, et sur un de charpente au nord d’Havré et à gué au village de Maurage.

Celui de Hage, qui entre au sud près le côté oriental de cette feuille passe dans les villages de Carnières et Morlanwelz et vient se joindre ensuite avec la Haine au dessous de Péronne n’est large que de 6 et 8 pieds, et profond de 2 à 3, son lit est pierreux, on le passe aussi en voiture sur 5 ponts de maçonnerie, savoir en 3 endroits à Haine-St.-Paul, St.-Vaast et Trivière ; sur un en charpente à celui de Morlanwelz et à gué par tous les autres chemins.

Le ruisseau qui coule avec rapidité à l’est de la ville de Binch, dont il lave les murs et mêle ses eaux avec celles de la rivière de Haine et du ruiseau de Hage n’est en principe qu’un filet d’eau qui augmente jusqu’à 8 pieds en largeur et 5 en profondeur dont 3 d’eau. Ses bords sont obliques et son lit pierreux, il ne peut contenir ses eaux en hiver et dans les tems pluvieux. Il se passe sur 10 ponts de maçonnerie, dont 1 vers Binch et 3 vers Péronne, et il est aussi guéable de même que ceux qui précèdent à tous les autres chemins aboutissans à ses deux rives…. »





[1] Introduction de l’édition Pro civitate, 1965, p.35.
[2] M.A. Arnould, L’originalité du travail cartographique de Ferraris dans les Pays-Bas autrichiens, dans Liber Mémorialis Emile Cornez- Anciens Pays et assemblées d’Etat, t. LVI, 1972, pp.219, 225.
[3] Voir Ph. MOUREAUX Les préoccupations statistiques du Gouvernement des Pays-Bas autrichiens, 1971.

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