mardi 17 janvier 2017

Le commerce de la dentelle de Binche


LE METIER ET LE COMMERCE DE LA DENTELLE DE BINCHE

                                                                                                                                                       Alain GRAUX

La dentellerie employait exclusivement à Binche une main d'œuvre féminine à domicile travaillant pour quelques firmes qui collectaient les travaux de leurs ouvrières. Les dentelles s'écoulaient dans les magasins de luxe s'adressant à une clientèle restreinte. Très peu de documents nous sont parvenus sur cette industrie isolée par rapport aux autres corps de métiers. On peut distinguer plusieurs phases dans le développement de cette industrie.

POINT DE BINCHE
La première époque appelée du "point de Binche" va du XVIIe au XVIIIe siècle, la dentelle se travaille d'une seule pièce sans application et en fil continu. Les motifs décoratifs sont verticaux, ils se dessinent sur un fond délicat qu'on l'appellera "fond de neige" dans les styles Louis XIV, Louis XV et Régence.
En 1738 la ville compte 13 dentellières ayant à leur service 134 ouvrières[1].
En 1746 le commerce de la dentelle est en plein essor.
En 1751, il y a  " mil ouvrières environ en dentelles figurées qui tirent leur filet de Bruxelles et Anvers donnant à connoitre  qu'il y a dans Binch trois moulins de moulquinerie dont les filets se font blanchir à Anvers et puis les mettent en œuvre au dit Binch" [2].
Le registre d'audience du Magistrat du 3-10-1766 note un net ralentissement.
Vers cette époque le recensement industriel du régime autrichien signale "…il s'y fait beaucoup de dentelle qui entretiennent les deux tiers de la ville de Binch...les filets se tirent d'Anvers."[3].
De 1749 à 1773[4], la maison Godefroy-Du Rondeau de Bruxelles commandait à plusieurs maisons binchoises de la dentelle:
à Mr Beaurain, à Claire Manet épouse Mallingret, à l'épouse Ch. Bourgeois[5]. En 1765, le négociant en dentelles valenciennois Tribout, en commande à un certain Sibille de Binche[6].
A la même époque, on signale sur la Grand-rue, M. Dupuis, maître-tailleur et trafiquant de dentelles.
Le recensement de l'an IV renseigne:
-Une marchande de dentelle: Marie-Thérèse Lucq, veuve Sebille, ayant 55 ans et habitant la Place. C'est probablement la seule "grossiste" de cette époque.
-32 ouvrières en figures (dentellières) mais ce chiffre n'est qu'indicatif étant donné le nombre de femmes signalées "épouse" sans qualification précise[7].

APPLICATION SUR TULLE
La deuxième époque dite du" point d'application" apparait dès le début du XIXe siècle, et ce sous l'influence de la mode. Le tulle sert de fond sur lequel viennent se déposer des motifs décoratifs exécutés à part. Le tulle fut fabriqué à la main jusque 1830 environ, l'industrie dentellière se mécanisera ensuite.
La grande foire industrielle du Département de Jemappes eut lieu en 1806, l'industriel Fontaine est représenté pour ses dentelles, il reçut la mention "honorable". Ses travaux partirent ensuite pour la grande exposition industrielle de Paris.
Le 13-3-1812, on peut lire dans une lettre écrite au sous-préfet: ".. la plus considérable de celles (industries de Binche) qui existent est celle des dentelles; mais j'ai l'honneur de vous faire observer que cette fabrication se borne au plat, c'est à dire aux dessins qui sont divisés par pièces qui sont travaillées par autant d'ouvrières qu'il y a de pièces dans le dessin, toutes ces pièces sont renvoyées à Bruxelles au négociant principal qui les replace sur le dessin original et les donne à des ouvriers de Bruxelles pour les rejoindre par le moyen des points qu'on nomme droges.
On compte dans cette ville 6 à 700 dentellières; elles ont gagné pour chaque jour dans les derniers mois de 1810 et les premiers de 1811 par jour, 15, 20 à 35 sous.." [8].
Victoire Claro présenta lors de l'exposition nationale de Tournai en septembre 1824, des travaux d'aiguilles avec des ouvrages sa fabrique en dentelle avec cadre. Elle y reçut la médaille de bronze. De même elle se présenta à l'exposition des produits de l'industrie nationale à Harlem (Hollande) en juillet 1825[9].
Un exposé de la situation administrative adressée au ministre de l'Intérieur par le gouverneur du Hainaut, le 4-2-1834 cite les principales maisons du négoce de la dentelle:
Defline et Parens, le veuve Maréchal, Masuy-Lefrancq-Coppée, Masuy-Fayt, la veuve Maréchal. Ces maisons occupent 600 ouvrières environ. La filocherie et tulle brodé emploie aussi 600 ouvrières.
La fabrication de fleurs artificielles (autre discipline dérivée de la broderie) est effectuée par les maisons Burgeau, Boulanger et Deprit-Richard. La broderie et la filocherie emploient 626 ouvrières.
En 1833, Ph. Vandermaelen cite[10]: "Plus de six cent ouvrières confectionnent des fleurs en plat qu'elles vendent principalement aux fabricants de dentelles à Bruxelles pour orner les voiles, les fichus et autres ouvrages en dentelle.."
Vers 1835, les demoiselles Souris, de Binche, fondèrent une école de dentellières à Mons[11].
Nicolas Fayt est signalé "trafiquant en dentelles en 1836.
La dentelle "duchesse" remplace la dentelle en fil continu et les dentellières travaillent leurs applications en fil coupé, les motifs rattachés entre eux par des brides tressées.
En 1841 la fabrique de fleurs d'application de la veuve Williams emploie 400 ouvrières[12].
A partir de 1842 1600 femmes sont employées dans cette industrie.
Les rapports laconiques rendus par l'Administration communale montrent le développement de l'industrie dentellière de la ville:
1847: 1600 … 1700 femmes occupées à confectionner la dentelle, elles gagnent de un à deux francs par jour, le prix est considérablement diminué, le gain actuel est réduit à 30cts à 1 franc.
1851, 1852: 1600 à 1700 femmes sont constamment occupées à confectionner de la dentelle fine dite de Binche, c’est la seule industrie féminine.
1855: les commandes se succèdent mais les prix restent toujours très bas.
1856: 1700 à 1800 femmes, la dentelle qui s'expédie vers l'étranger a subi une augmentation des prix.
Le 30-7-1856, L. Robillard, fabricant de dentelles à Paris, sollicite en faveur de Mme Dewandre-Hupin, directrice d'un atelier de dentelle à Binche, la médaille d'honneur des travailleurs industriels[13].
L'almanach du commerce et de l'industrie de 1857 cite comme fabricants de dentelles: Coquiart L.; Cordier E.; Vve. Damien; Vve. Courtois-Dejardin; Debaise-Colman; Debaise G.; Fontaine C.; Delwarte-Ligaux; Vve. Francart; Gaillard A.; Gaillard V.; Gravis U.; Lebrun A.; Lebrun-Cordier; Leclercq B.; Leclercq C.; Vve. Lefèbvre; Lefrancq A.; Ménart V.; Michaux L.; Vve. Thomas ; Sebille-Willems; Turlot F. [14].
1858: 1700 à 1800 femmes, les commandes sont moins considérables que l'an dernier, les prix sont à peu près les mêmes.
1860: 1650 femmes, il y a baisse des commandes mais les prix restent égaux.
En 1861 L'Almanach cite les mêmes maisons qu'en 1857 plus M. Coste[15].
1863: 1400 femmes, diminution des commandes, les prix sont peu élevés.
1865: 1000 femmes et enfants, les dentelles dites de Bruxelles s'exportent à l'étranger.
Les Almanach de 1867 à 1873 [16] ne renseignent plus comme fabriques de dentelle que la maison de la Veuve Nicolas Francart-Lambert [17] et celle d’Ursmer Gravis[18], et le plan Popp à cette époque ne cite que Gustave Debaise, négociant en dentelles, habitant la Grand-rue.
Peu après 1870, l'industrie périclite. Des dentellières quittent Binche pour s'installer à Bruges. La chute continuelle des prix fait chuter considérablement cette industrie[19].

FABRICATION CONTEMPORAINE
L'industrie dentellière binchoise a pratiquement vécu. Seules restaient quelques anciennes dentellières.
Le recensement industriel du 31-10-1896 renseigne un fabricant de dentelle occupant 6 ouvrières à domicile[20].
Il ne restait que quelques dentellières après 1914.
Sous l’impulsion du bourgmestre Charles Deliège, le conseil communal vota le 27 avril 1950, la création d un cours de dentellière dans la ville. C’est Nelly Robe qui la dirige jusqu’en 1962. Lui succèderont, Claire Richard de 1962 à 1983, et Léona Laitem ensuite.
Les cours sont donnés dans les locaux de l’ancienne école Libre Laïque, et ensuite dans les locaux de l’hôtel de ville.
Une association sans buts lucratifs est fondée en 1989, elle fait la promotion de la dentelle de Binche et fonde, une vitrine et lieu d’exposition sur la Grand-Place, « le Fuseau ». Cette association perpétue l’antique tradition dentellière binchoise.




[1] T. LEJEUNE, Histoire de la ville de Binche, reproduction anastatique de l'édition de 1887, Bruxelles, 1981, p. 436.
[2] P. MOUREAUX, Les préoccupations statistiques du gouvernement des Pays-Bas autrichiens et le dénombrement des industries en 1764, Bruxelles, 1971, p.128.
[3] A.G.R. C.F. 6128.
[4] M. COPPENS, La dentelle de Binche dans la seconde moitié du XVIIIe siècle: certitudes et questions, in « Cahiers de Mariemont », 1996, pp. 127-137.
[5] M. Risselin-Steenebruggen Une famille de dentelliers bruxellois au XVIIIe siècle, in A.S.A.Bruxelles, t.48,1956, p.221.
[6] M. COPPENS, la dentelle...o. cit p.136.
[7] A.V.B. 2723
[8] A.V.B reg 72 correspondances 1808-1812.
[9] A.V.B. 2718.
[10] P. VANDERMAELEN, Dictionnaire géographique de la province de Hainaut, Bruxelles, 1833, p.73.
[11] T. LEJEUNE, Histoire...o.-cité p. 436.
[12] Almanach du Commerce ou indicateur industriel, commercial  et administratif de la Belgique pour 1841.Bruxelles, Seghers, 1841, 8°, p. 694.
[13] A.V.B. 01-00-02-2.
[14] TARLIER H. Almanach du Commerce et de l'Industrie publié par H. Tarlier avec le concours du gouvernement sur les documents fournis par les administrations communales. Bruxelles, H. Tarlier, 1857, p.45.
[15] Idem, année 1861, p. 84.
[16] TARLIER H. Almanach...op.cit, 1867, p.104; 1868, p.104; 1870, p. 101; 1873, p.103.
[17] Il faut lire Nicolas-Charles Francart qui avait épousé le 7-1-1839, Désirée Hortense Lambret
[18] Ursmer-Charles Gravis épousa le 4-5-1842 Félicité Leclercq, dentellière, il est signal‚ cabaretier et fabricant de dentelle.
[19] A.E.M. P.1071.
[20] Recensement publié par le Ministère de l'Intérieur.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire