CEUX DONT ON NE
PARLE JAMAIS
Fernand GRAUX
L’étranger venu au carnaval de Binche pour la
première fois s’émerveille à juste titre de l’ambiance exceptionnelle qui se
dégage de chaque société suivie par lui, ambiance créée selon lui par des airs
entraînants , quelques peu particuliers et personnels joués par les musiciens desdites sociétés.
Mais ce qu’il ne sait pas c’est que le gille,
ne suit que le rythme des tambours imperturbablement, mais les tambours, eux,
éprouvent quelques fois le besoin de se
parfaire, de s’exprimer autrement, et c’est là qu’intervient le chant des cuivres ! Grâce à lui toute
la fantaisie des tamboureurs prend le dessus jusqu’au paroxisme.
J’ai eu l’immense plaisir ce dernier mardi-gras
de suivre assez longuement la musique des « Incas » et c’est alors que m’est
venue l’idée d’écrire ces lignes, car j’ai surpris la satisfaction
inconditionnée qu’éprouvaient deux tamboureurs de cette batterie à se donner,
ce que les vieux Binchois connaissent bien ; des « assauts »
dont les « Mémés » étaient autrefois les maîtres incontestés.
Les personnes qui suivaient ces musiciens
étaient ébahies, époustouflées, à voir la dextérité de ces deux batteurs
amoureux de leur art, le processus est immuable, après un air joué par les
cuivres les tamboureurs ne s’arrêtent pas pour autant de jouer, ils continuent
à battre consciencieusement la peau de leurs tambours. Après quelques reprises
(trois ou quatre) le « tapeu d’caisse » de sa vigoureuse mailloche donne
l’éveil à toute la fanfare puis « l’annonceu », le plus souvent une
clarinette « lance » les quelques notes qui avertissent les musiciens
de l’air à jouer, quelques roulements de tambours encore puis la fanfare se
déchaîne. Et c’est à ce moment que, rompant la monotonie des ra et des fla ,
que les tambours s’en donnent à cœur joie, réveillant, si je puis m’exprimer
ainsi , le pas du gille qui est en attente, imprimant par leur virtuosité un
sens nouveau à la danse inimitable du gille de Binche.
D’après de nombreux musiciens chevronnés, les
villageois des environs ne comprennent pas le sens caché de tout ce rituel et
aiment mieux le chant des cuivres que le son des tambours, ils s’adonnent plus
à la musique qu’à la cadence.
N’avez-vous jamais eu la curiosité de dénombrer
une fanfare ? Voici en ce cas ce dont elle se compose pour les plus
importantes ; une clarinette, deux trompettes, deux trombones, cinq
bugles, deux tubas, deux bombardons, quatre tambours et une caisse, soit
quatorze personnes.
Songez donc à ces gens qui, les doigts gourds
sous le froid mordant de ce mois dernier, jouant sept à huit heures d’affilée,
sans relâche ni répit, non pas pour gagner le peu d’argent qu’on leur concède
mais pour l’amour de la musique, nous ne pouvons que dire : chapeau !
De même lorsque réunis sous la même baguette
endiablée d’un chef au beau milieu de la Grand-place ces quelques deux cent
musiciens, comme un seul homme, entonnent l’air final du rondeau, le pas de
charge.
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