mardi 6 décembre 2016

La ferme de la Princesse


DU MOULIN PAR DESSOUS-LE-MONT A LA FERME DE LA PRINCESSE A WAUDREZ

                                                                                                                                        Alain GRAUX

C’est sous son nom actuel, toponyme récent, que nous allons étudier un des ensembles très ancien du village de Waudrez qui se situait dans l’alleu de Binche à proximité du site de l’antique village de Vodgoriacum, le long du chemin menant de Binche à Péronnes.

Ces bâtiments subirent de  nombreuses mutations qui méritent d’être connues : ils furent, moulin, manufacture de draps, tordoir, ferme et actuellement fabrique artisanale de foie gras.

LE MOULIN PAR DESSOUS LE MONT


Le toponyme « Par dessous le Mont » lui vient du fait qu’il se situe à proximité du Mont de Justice, lieu où l’on pendait brigands et assassins de l’alleu.

La première mention du moulin se trouve dans le cartulaire des cens et rentes dus au comte de Hainaut rédigé en 1265 [1].
« ..et est à savoir ke as II molins deseure dis desous le Mont et à Parcegnies, là ù li cuens ne prent ke le moitiet au blet, il ne rent au maistre carpentier ne al abateur ne al esquareur ke III d. le ior. Et doivent tout cist molins estre détenu par les mosniers de kevilles, de vans et de fuseaus, por les farines k’il en portent. »

A cette époque le meunier s’appelait Martin de Dessous-le-Mont, il avait acheté une partie des revenus  d’un moulin de Binche appelé le moulin David.
En 1329 (a.st.), l’abbesse de l’Olive, Isabeau, conclut un échange de propriété entre son abbaye et Guillaume, comte de Hainaut. L’abbaye  possédait cinq des huit parts d’une rente qu’elle échange avec le comte qui en possédait les trois autres ; en échange,  ce dernier leur propose quelques terres situées sous  Waudrez et Buvrinnes :
« ..comme nous  et no dite église euyssiens en hyretage à tousiours perpétuelment sour le moulin desous le Mont, de wit vaissiaus de blet ke li dit moulins waignoit les chiunch vaissiaus dou dit blet…que nos chuinch parties de le waigne dou dit moulin nous estoit de petite valeur, et pour chou que nous désirions que nos tières et hiretages chi-apriès nommet fussent quitei, affrankit et deskierket des débittes deues à nos sire li cuens…avons nos chuinch parties dou dit moulin, avoech un courtil et tière ki gisent devant le dit moulin, ki contient entour demi-bonnier de tière, pau plus pau moins… » [2]
En 1413-1414, à proximité du moulin,  un chaufour  appelé « Caufour  dessous le Mont »appartenait à Jehan le Caufournier.  Celui-ci fournit la chaux pour le rehaussement de la Tour du château de Binche dite de Tournay [3].

Au 16e siècle on parle des « deux tournans du moulin Dessous-le-Mont » [4].

Le 5-9-1532, l’empereur Charles-Quint confirme la charte de l’allouet de Binche, qui entre-autre, signale que le maire héréditaire de Bruille, fief ample dépendant du comte de Hainaut, percevra annuellement au noël, sur le moulin Dessous le Mont, deux chapons six deniers blancs et quatre pains :
« Encore à li maire yretaules del aluet de Binch sour le moulin desous le Mont, au noël chacun an yretaulement et à toujours II capons VI deniers blans. Item IIII  pains, desquels li IV pain doient yestre de la valeur d’un demi muy de blé, au petit doré du milleur bled qui sera au moulin desous le Mont, le semaine avant noël et li doit li mounier faire serment de ne prendre de mouture et li boulangiers doient faire serment de li bien cuire et loyaulment sans point  prendre de fournaige »[5].

Les nombreuses guerres entre la France et l’Espagne n’épargnèrent pas les villages situés près de Binche et dévastèrent Waudrez comme tout le Hainaut, nous ne citerons qu’un exemple de ce que subit le moulin :
En 1572, le meunier de Dessous-le-Mont obtint « une grâce » de 100 livres à cause des pertes qu’il avait éprouvées pendant que les « ennemis estoient en la ville de Mons, dont les gens et souldars de S.M. alloient journellement vollers et pilliers quatre ou cincq lieuwes allenthour de ladite ville, comme aussi ont fait les gens du prince d’Orainge ayant passet et repasset illecq venant de devant Mons, tellement qu’il avoit dû abandonner son moulin et n’avoit pu rien sauver de ses biens meubles, fouraiges ny bestiaulx pour avoir été surprins » [6].

LA MANUFACTURE DE DRAPERIE


En 1700, les drapiers de Thuin, ville située dans la principauté de Liège, ne pouvaient plus écouler leurs produits vers la France, tant le transit des marchandises sur la Meuse et la Sambre était onéreux.
Les Pays-Bas espagnols, modifia ses tarifs douaniers afin d’attirer le trafic marchand dans notre pays.
Le 14 juillet 1702, les drapiers de Thuin sollicitèrent les édiles binchois  afin de s’établir dans la ville. Après de longues tractations qui aboutirent et leur donnèrent divers avantages, la ville de Binche les autorisa à s’établir près de la ville :
« ..la ville se charge au surplus de leur fournir une foullerie bien conditionnée prette à travailler et l’entretien à la charge desdits maîtres drappiers  et la tout pour le terme de dix ans, qui sera scituée au lieu et place du moulin d’en dessous le mont de justice. Le tout sera sous le bon plaisir de Sa Majesté. La ville s’oblige pareillement à leur fournir à chacun en nombre de six, une rame, et l’entretien d’icelle sera à leur charge. Surabondamment la ville s’oblige de leur fournir deux chaudières autrement teinture, scavoir une commune et une petite, desquels l’entretien sera pareillement à leur charge… » [7].
Le 18 mars 1705, le Sr Pépin, receveur des octrois de la ville suivant une lettre reçue de M. d’Onnezies décide :
« ..qu’on peut convenir avec les maistres charpentiers de la ville de Thuin pour la construction d’une foulerie à draps à faire au moulin d’en Dessous le Mont près Binch suivant octroy du roy pour la manufacture desdits draps, ont convenu avec Médart Dartevelle et Nicolas Danelys, maistres charpentiers dudit Thuin… »
Ces ouvriers reçurent 1900 livres de monnaie courante et 12 sols d’argent pour 6 rames de 200 pieds qu’ils réalisèrent dans l’ancien moulin aux endroits désignés par les maîtres drapiers. Le tout fut terminé le 19 septembre 1705 [8].
C’est ainsi que s’établirent à Binche des familles connues tels les Devergnies, les Voituron et les  Brûslé.
L’ensemble des constructions figure sur le plan Ferraris vers 1778.
Actuellement à Waudrez (Ferme de la Princesse)
Le 17-5-1736,  les gens de la loi de l’Alloët de Binche « ayant fait visite des chemins en avril dernier ont remarqué que le pont de pierre qui est sur la rivière qui conduit au moulin de Dessus le Mont est entièrement détruit et impraticable et dans la croyance que c’étoit aux manufacturiers de cette ville de le faire rétablir car la ditte rivière a été construite pour l’usage du moulin auquel il a été  cédé pour leur manufacture… »[9]
Le 10 juillet 1744, lors de la guerre entre la France et l’Autriche, les installations des drapiers eurent à subir de gros dégâts.

LE TORDOIR ET LA SAVONNERIE


Le 1er ventôse an V (19-2-1797) , devant le notaire Lecocq, Florence Gauchez, tant pour elle que pour Augustin Gauchez, son frère, et François de Stassart, à titre de Caroline Gauchez son épouse, vente le tordoir, foulerie et bâtiment d’habitation dits moulin Dessous-le-Mont sis sur environ un bonnier de prairie en la commune de Waudrez, moyennant la somme de 8.400 livres d’argent de Hainaut faisant 7.700 francs. au profit d’Emmanuel Derome et Henri Bourgeois, tous deux résidant à Binche[10].
Philippe Vander Maelen [11] nous apprend qu’en 1829, un tordoir d’huile et une savonnerie y sont exploités.
Le rapport du collège des bourgmestre et échevins au Conseil communal de Waudrez de 1850, signale que quatre à cinq ouvriers y travaillent, tandis que celui de 1865, n’en mentionne plus que deux.
Cette exploitation appartint ensuite en indivision à la famille Sebille, en effet,  en 1830, comme le renseigne le cadastre primitif de Waudrez, Marie-Anne Sebille[12], veuve Henri Bourgeois, et sa sœur Marie-Thérèse[13], veuve Emmanuel Derome possédaient les biens suivant :
Section A.
  128    Terre                        56a
  129    Pépinière                  61a  70 ca.
  130    Jardin                               60 ca.
  131     Terrain d’agrément 10a  30 c
  132     Savonnerie                4a  60 ca.
  133    Jardin                         1a
  134    Moulin à l’huile         2a
  135    Maison                       5a  20 ca.
  136    Jardin                         5a  40 ca.
  137    Verger                      29a 



En 1850, eut lieu un partage, le bien échoit à la fille d’Emmanuel Derome. Elle épousa elle aussi un Sebille [14], famille anoblie en 1822. La fille de ce couple Marie-Antoinette de Sebille [15], devint propriétaire de l’exploitation.
En 1863, le moulin à l’huile tomba en ruine suite à un incendie et en 1870, la savonnerie fut convertie en bâtiment rural. A partir de cette époque l’exploitation devint une ferme.

LA FERME DU TORDOIR où « Tord’was »


Le cadastre signale Hyppolite Lecocq, docteur en, médecine comme propriétaire. Le couple Lecocq-de Sebille n’eut pas de descendance, c’est donc par un partage qui eut lieu en 1874, que l’exploitation passe aux mains du frère de Marie-Thérèse, Emile de Sebille [16].
Une vente rend Gustave Abrassart, rentier à Mons, propriétaire de la ferme. On trouve ensuite les héritiers Adolphe Baudson, maître plafonneur, qui sont propriétaires en 1892, ils vendirent la ferme en 1895 à Arthur Joret, négociant à Mons.
La ferme fut louée par Gaston De Bie [17] , maître cultivateur qui s’y établit en août 1908, il habitait alors Péronnes. L’exploitation passa alors aux mains de son fils Léon [18] et successivement à sa fille Marie[19], épouse Harpegnies. Ce sont ces derniers qui vendirent la ferme aux époux Dooms-Dubuisson [20]. Ils s’y établirent le 29 octobre 1970.
La ferme portait alors le n° 60, chemin de Péronnes à Waudrez, 

LA FERME DE LA PRINCESSE


Avec la fusion des communes et le changement des noms de rue, le ferme est maintenant située au n° 120, rue de la Princesse à Binche (Section Waudrez).
Le 2 juin 1980, André Meurant [21] et son épouse s’installèrent dans la ferme ; ils décidèrent de la transformer en atelier et magasin de produits fermiers sous l’appellation « Ferme de la Princesse ».
Ils se spécialisèrent en élevage de canards destinés à la fabrication de foie gras, de confits et produits fumés. Ils livrent leur fabrication aux restaurateurs de la région ainsi qu’à la vente au détail.




[1] Devillers L., Cartulaire des rentes et cens  dus au comte de Hainaut (1265-1286), Mons 1873.
[2] HAYEZ F. Cartulaires de Hainaut. Monuments pour servir à l’histoire du Hainaut,  Bruxelles , 1886, tome 3, pp. 221-224
[3] A.G.R. C.C. 39349
[4] A.G.R. C.C. 8851
[5] A.E.M. Cartulaires de Hainaut, copie collationnée le 10-7-1568, document disparu
[6] A.G.R. C.C. 8930
[7] a.v.b. 00-00-01-25. Audience du 17-7-1705.
[8] A.v.b. 00-00-01-25. Audience du 3-10-1705
[9] A.V.B. 00-00-01-30
[10] A.E.M. Enregistrement A.C.P. reg. 5/1.
[11] VANDER MAELEN P. Dictionnaire géographique de la province de Hainaut, Bruxelles, 1833, p.518.
[12] Sebille Marie-Anne-Amélie, ° Binche 17-5-1765, x Waudrez 8-4-1808, Bourgeois Henri-Nicolas-Jh., ° 1762±, marchand.
[13] Sebille Marie-Thérèse-Adélaïde, ° Binche 20-3-1763, y † 4-10-1835, marchande, x Binche 27 floréal an VI (16-5-1798), Derome Emmanuel-Augustin, ° Bavay 14-11-1766, marchand.
[14] Derome Marie-Thérèse-Augustine, ° Binche 5-4-1796, y † 19-2-1824, x Binche 21-6-1820, Sebille Louis-Charles-François-Jh., ° Mons 8-1-1794, † La Buissière 7-8-1837.
[15] De Sebille Marie-Antoinette-Isabelle-Thérèse-Louise, ° Binche 23-3-1821, y † 22-1-1870, x 1°- Binche 18-9-1849, baron Théodore-Jh. de Snoy, ° Malines 30-3-1818, rentier,  mariage dissout. X 2°- 1868, Lecocq Adolphe-Hyppolite-Jh.
[16] de Sebille Emile-Ignace-Louis-Jh., ° Binche 15-5-1823, y † 27-3-1876, célibataire.
[17] De Bie Gaston-Séraphin, ° Cambron-Saint-Vincent 13-5-1878, x Péronnes-lez-Binche 20-6-1901, Laveine Lydie, ° Estinnes-au-Val 19-9-1880.
[18] De Bie Léon-Gaston-Paulin, ° Estinnes-au-Val 16-10-1900, x Fontignies Germaine ° Waudrez 26-8-1898
[19] De Bie Marie-Lydie-Geneviève, ° Waudrez 17-6-1922, x Waudrez 30-11-1942, Harpegnies Félicien-Joseph-Jean-Baptiste, ° Waudrez 1-5-1921.
[20] Dooms Max-Valentin-Ghislain, ° Naast 11-11-1917, x Le Rœulx 18-2-1939, Dubuisson Clémence, ° La Louvière 29-10-1910,  † Seneffe 16-8-1995.
[21] Meurant André-Jean, ° Havré 13-9-1956, x Mons 21-11-1979, Demaret Françoise-Raymonde, ° Maurage 24-8-1960.

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