LE GENDARME ET LE BOURGMESTRE
Alain GRAUX
Un long conflit entre plusieurs juridictions
judiciaires eut pour point de départ un fait divers qui se passa à Binche.
Jean-Joseph Damin, gendarme à cheval, se
trouvait en état d’ivresse dans la soirée du 1er décembre 1864, dans
un café de la ville de Binche, où il insultait d’autres personnes qui s’y
trouvaient également.
Le bourgmestre de la ville étant survenu dans
cet établissement, et ayant engagé Damin à rentrer à la caserne, celui-ci
répondit qu’il savait ce qu’il avait à faire, réponse qu’il donna en maniant sa
carabine de manière à faire croire au bourgmestre qu’il se moquait de lui.
Le bourgmestre l’ayant engagé de nouveau à
sortir, en disant que si on le traitait comme il le méritait, il irait en
prison de la ville.
Le gendarme rétorqua « Ah, monsieur le
bourgmestre, en prison vous y iriez avant moi ! »
Sorti enfin du café en se dirigeant vers un
autre cabaret, il rencontra un individu qu’il mit en joue, en lui disant que
« s’il ne se retirait pas, il lui brûlerait la cervelle ».
Poursuivi devant le tribunal correctionnel de
Charleroi, pour avoir à Binche le 1er décembre 1864, outragé par
paroles, gestes et menaces, le sieur Wandepepen, bourgmestre de la ville de
Binche, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, ou tout
au moins, d’avoir à Binche à la date pré mentionnée, adressé des injures audit
Sr Wanderpepen et au Sr Gigonnon, et d’avoir été l’auteur de bruits et tapages
injurieux de nature à troubler la tranquillité publique ; la chambre du
conseil du tribunal de Charleroi, par ordonnance du 9 janvier 1865, se déclara
incompétente pour statuer sur la prévention et déchargea le magistrat instructeur
de l’information.
Le tribunal fondait sa décision sur ce que la
gendarmerie nationale, faisant partie de l’armée, est justiciable des tribunaux
militaires, sauf pour les délits relatifs au service de la police générale et
judiciaire dont elle peut être chargée, service dont le prévenu n’était pas
chargé lors du délit poursuivi.
L’affaire ayant été renvoyée à l’autorité
militaire, le conseil de guerre du Hainaut, qui en fut saisi, rendit le 28
janvier 1865, un jugement sur lequel il se déclara lui aussi incompétent et renvoya le prévenu devant la
juridiction ordinaire étant donné que, bien que faisant partie de l’armée, les
attributions des conseils de guerre ne concernent que les faits avérés en temps
de conflit armé.
Il renvoie donc le gendarme Damin devant la
juridiction criminelle ordinaire.
L’auditeur militaire de la province de Hainaut
s’est pourvu en règlement de juges par une requête en date du 18 février 1865
suivant, qu’il a adressé à la cour de cassation.
Il motive cette requête comme suit :
« L’instruction avait constaté que les
délits dont il s’agit avaient eu lieu dans un café où le gendarme Damin était
entré comme simple particulier et non comme gendarme, venant poser des actes du
service de la police générale et judiciaire, dont la gendarmerie est
chargée ; c’est dans cette circonstance de fait que prend sa source la
divergence qui s’est déclarée entre les deux juridictions devant lesquelles
cette affaire a successivement été portée ».
On renvoya donc l’affaire devant la chambre du
conseil d’un autre tribunal correctionnel du ressort de la cour d’appel de Bruxelles
pour être procédé conformément à la loi.
La cour de cassation de Bruxelles en date du 27
mars 1865, présidée par le comte de Sauvage, en présence du rapporteur Marcq et
de l’avocat général Cloquette, déclara nulle l’ordonnance du 9 janvier 1865, du
tribunal de Charleroi, renvoya les
pièces de procédures devant la chambre du conseil du tribunal de 1ère
instance de Mons pour être procédé aux règles du code de procédure ordinaire.
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