GILLE A SIX ANS
Fernand GRAUX
Il faut que je vous narre cette mémorable et si
fameuse journée de ce mardi-gras de 1928 : mon père qui tenait un café sur
la place avait parfois de très drôles et cocasses idées, ainsi n’avait-il pas
imaginé de faire le gille ? Ce n’est peut être pas extraordinaire me
direz-vous ? Mais quand on songe qu’il était tenancier d’un grand café sur
la Grand-Place ! C’est impensable pas vrai ? Mais soit, donc il
s’était fait inscrire ainsi que moi-même chez notre ami et voisin d’en face
Paul Hoyaux (un autre café intitulé « Au Tourisme » actuellement).
Nous voilà donc mardi-gras, et dès l’aube, vers
cinq heures du matin, nous étions fin prêts à attendre notre tambour qui
n’arrivait pas ; qui ne tarda guère d’ailleurs, « que l’on ouvre quelques bouteilles de
champagne » dit mon père déjà « tout parti »…et de trinquer
avec les quelques garçons de café et aidants accourus pour admirer la belle
prestance du patron et de son rejeton ; j’avais eu droit moi aussi à un
verre de cette boisson pétillante, aussi tout fier dans mon costume tout
pimpant à la collerette rutilante de soie. Je fus le premier dehors, malgré la
bise matinale assez fraîche qui me rendait les joues plus roses encore.
Nous partîmes donc sous les regards admiratifs
des voisins encore en chemise de nuit.
Toute la matinée se déroula sans encombres,
trinquant tout comme « un grand » ingurgitant force verres de
champagne ou de mousseux, supportant cela très bien.
Le dîner copieux fut très réparateur et nous
revoilà repartis mon père et moi pour la formation du cortège de l’après-midi.
Le cortège fini, rassemblement de tous les
gilles de la société à la maison et la question s’est posée ! « où
est passé l’gamin ? » il avait disparu au cours du rondeau et nul ne
l’avait plus revu ! La mère, quoique fort occupée (on s’en doute un peu),
émit l’hypothèse que je m’étais trompé de société de gille, lors de la
dislocation du rondeau : c’était bien possible après tout. Et tout le
monde repartit vers d’autres sarabandes, mon père se jurant bien de me
retrouver aisément.
Hélas, peu avant le rondeau du soir mon père
revint avec d’autres gilles de ses amis…on avait tout rebattu et on n’avait pas
retrouvé le gamin et franchement tout le monde s’en trouvait fort inquiet, les
tantes, les oncles, les connaissances, tous furent interrogés, enfin tout fut
mis en œuvre pour me retrouver.
J’arrête ici le suspense, car ma sœur, on ne
sait par quel hasard, entrouvrit les rideaux d’une alcôve qui cachait le lit de
mes parents et eut la stupéfaction de me voir tout habillé :
l’apertintaille me ceignant encore la ceinture, sabots aux pieds dormant le
sommeil des justes !
Il ne va sans dire que malgré leur contentement
mes parents me promirent dès le lendemain que je ne ferais plus jamais le
gille.
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