LES INTERDITS DE L’EGLISE DE BINCHE
AU XIVe SIECLE
Alain GRAUX
Le cartulaire des comtes de Hainaut[1]
nous révèle qu’en 1338 l’église de Binche dut encourir un interdit.
L’interdit est une censure du droit canonique qui prive
les fidèles de certains biens spirituels, tels l’interdiction de célébrer le
culte, l’usage des sacrements et la sépulture ecclésiastique, sans toutefois
les exclure de la communauté ecclésiale.
L’incident qui survint à Binche n’est
pas signalé dans l’histoire de la ville de Binche[2]
ni dans d’autres publications.
Le 6-8 juillet 1338, Nicolas Stuc, de Dordrecht, chanoine
d’Utrecht, au nom de Guillaume[3],
comte de Hainaut, de Hollande, de Zélande et seigneur de Frise, fit appel en
cour de Reims pour l’excommunication
publiée par Guillaume, évêque de
Cambrai contre :
·
Ceux qui, à Valenciennes, avaient condamné et fait exécuter un clerc, Jean fils de Baudouin de Résignies, coupable d’assassinat.
·
De l’interdit lancé contre l’église de Soignies, à l’occasion d’un
meurtre commis dans le cimetière de cette ville et dont on ne put découvrir les
auteurs.
·
De l’interdit prononcé contre l’église de Binche, à cause de deux
prêtres qui s’y étaient battus.
Examinons ce dernier cas qui concerne notre ville[4].
Le procureur demanda la levée de l’interdit en
compensation d’une amende en numéraire:
Item dico ego
procurator antedictus nomine quo supra, quod alia in villa domini mei de
Binctio in Hanonia mandatum fuit et est cessari a divinis per ipsum episcopum
vel eius subditos in suis officiis existentes, occasione cuiusdam dissensionis
et rixe ac verberationis quam habuerunt
et fecerunt quidam presbiteri inter se in loco predicto. Et cum dominus meus
antedictus requiri fecisset humiliter pluribus vicibus competenter dictum
episcopum, ut ipse faceret ibidem organa divine laudis resumi, cum ipse dominus
meus, suique officiati et inhabitantes
ibidem essent inculpabiles facti predicti, ipsique presbiteri sui non
essent iusticiabiles, immo ad ipsum episcopum spectabat punitio et correctio
dictorum presbiterorum, idem episcopus requisitionem et supplicationem domini
mei non admisit, sed eam totaliter facere recusavit minus iuste ; nitens
dominum meum et populum ibidem sibi subditum compellere ad cantum ibidem seu
divine laudis organa pecunia redimenta…
De même moi, procurateur (Nicolas Stuc, procureur) dont
le nom figure plus haut, je déclare ce qui suit : dans une autre ville de
notre seigneur, à Binche, en Hainaut, j’ai reçu et ai, par autorité divine
de notre évêque lui-même et de ceux qui
lui sont subordonnés dans ses fonctions, j’ai reçu mission d’interdire le culte, en raison d’une dispute
et rixe avec coups qu’eurent et firent entre eux certains prêtres, dans
l’endroit mentionné supra. Et lorsque mon maître nommé plus haut avait demandé
humblement et à plusieurs reprises selon la compétence du dit évêque par l’organe (l’œuvre) de la louange divine,
pour que lui même fasse en sorte que soit repris le culte ; et comme mon
maître lui même et certains officiaux habitant là étaient innocents du fait en
question et que les prêtres eux-mêmes n’étaient pas justiciables, et qu’au
contraire la punition et réprimande des prêtres cités regardait l’évêque
lui-même, le même évêque n’admit pas la demande et la supplique de son maître
et refusa injustement de la satisfaire, s’efforçant d’amener mon maître et le
peuple de l’endroit qui lui est soumis, à célébrer le chant ou les offices
divins et avec la grâce divine de cette louange, de se racheter moyennant
argent…
..presentibus discretis et honestis viris dominis
jacobo dicto de Binctio, canonico ecclesie beate Marie ad aulam in Valenchenis,
Johanne perpetuo capellano beate Marie in Capric (Caprycke) ,
presbiteris.
(demandes) présentées par les humbles et honnêtes hommes
Jacques dit de Binche, chanoine en l’église de la bienheureuse Marie, près de
la cour de Valenciennes et aussi Jean, chapelain perpétuel de Notre-Dame de
Caprycke, prêtre.
Réunis en consistoire de l’église de Cambrai, l’acte se
passa en présence des personnes suivantes :
- Jehan d’Audenarde, official de la cour
épiscopale de Cambrai.
-
Julien de Sart, prévôt de l’église de
Nivelles.
-
Pierre de Saint-Amand, professeur de droit, chanoine de Cambrai et
de Sainte-Waudru, à Mons.
-
Arnould Laguthi, chanoine de Cambai.
-
Jean du Lart, chapelain de Cambrai.
-
Jehan de Rosoit et Jehan Tolemo, vicaires de la dite église.
-
Jehan Vallete et Gilles Bardiel, prêtres.
-
Julien et Pierre de Cambe et Jehan
Coppelet, avocats.
-
Jehan de l’Etape, Jehan Petit dit du Marché, Jacques de Basseia.
-
Jehan Vake, Jacques le Parckeminiers, Bartholdus
de Morchies.
-
Guillaume de Molendin et plusieurs autres
notaires et procureurs, témoins. Ad premissa vocatis specialiter et rogatis.
-
L’acte est rédigé par Jehan de
Revin, notaire impérial[5].
On connaît un autre cas d’interdit de l’église de Binche, suite à la
violation du droit d’asile religieux dont le prévôt de Binche Gérard d’Obies se rendit coupable en
juillet 1379[6].
[1] DEVILLERS L. Cartulaire des comtes de Hainaut de
l’avènement de Guillaume II à la mort de Jacqueline de Bavière, t.1, Bruxelles,
1881, pp. 51-56.
[2] LEJEUNE T., Histoire de la ville de Binche.
[3] Cet épisode de l’histoire se passe à la charnière
entre deux règnes : fin du règne de Guillaume Ier d’Avesnes, le comte
décéda le 7-6-1337, à peine âgé de 50 ans, après 33 ans d’un règne remarquable,
qui le fit surnommer Guillaume le Bon. C’est Guillaume II qui lui succède de
1337 à 1345.
[4] Je remercie Messieurs Demaret et Ménestret, pour la
compétence et érudition qu’ils ont montrés, pour la traduction de ce texte du
XIVe siècle, au latin extrêmement douteux.
[5] Copié sur un original sur parchemin, muni de la
marque du notaire Jean de Revin – Trésorerie des chartes des comtes de Hainaut,
A.E.M. (Inventaire Godefroy G.39), disparu.
[6] Sur cet incident et ses répercussions, voir :
LEJEUNE, T., Histoire…o. cit. pp. 70-76.
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