Alain GRAUX
Le droit domanial de l'époque carolingienne comportait
l'interdiction absolue pour tous ses tenanciers de changer de résidence, mais
du jour où l'organisation économique fut battue en brèche par l'attraction des
villes neuves, les seigneurs permirent à leurs tenants libres ou serviles d'y
habiter, droit qui pouvait être avantageux par la plus-value proportionnelle de
la mainmorte, car le serf reste soumis à toutes les charges inhérentes à sa
condition originelle.
Mons et Valenciennes étaient les deux seules villes du
Hainaut où, pour se soustraire à leur condition, les serfs pouvaient résider,
et si leurs seigneurs les réclamaient par leur droit de poursuite, les serfs
après un an et un jour, devenaient libres. Cette mesure contribua largement à
l'extinction de la servitude.
Les autres bonnes villes du comté (Ath, Binche, Braine,
Hal, Maubeuge, Soignies) n'étaient pas capable de conférer la liberté.
Le seigneur renonçait parfois à ses droits de poursuite et
de morte main et renonçât à une partie de ses droits et prélevât une somme inférieure
à celle qu'il eût pu exiger, quand le produit de l'aliénation était destiné à
un remploi plus avantageux, c'est ce qui arrive à Binche en 1359 :
« Rechiut de le Rousse Pau Paisus, de Waudret,
serve, pour le consentement de vendre une maison estant à Binch, lequel argent
dou vendaige il eut encouvent de tourner et mettre en mouteplianche, 3 moutons
de 60 sols… »[1].
Il y a des exemples d'abandon par commisération de la
totalité de la succession mobilière, tel à Binche en 1414:
« De la femme Martin Artillon, serve, pour la
moitiet d'une maison...; et des meubles nient comptet, car c'estoit une povre
femme atout 6 petis enfans vivans d'aumosne… »[2]
On trouve aussi des traces d'affranchissements individuels
de serfs, émanant du comte de Hainaut, on cite à Hal la même année:
« De Colin Gharin, sierf de le terre de Binch,
lequel Monsigneur a affrancquit doudit servage...24 couronnes de Franche en
or...39 L.18 s... »[3].
A propos du meilleur catel:
Le 5-8-1200, une charte réglementant l'alleu de Binche fut
octroyée par le comte de Hainaut, on y stipule que le comte prend le meilleur
catel de tous les manants décédés dans l'alleu, le maire héréditaire peut
prendre deux draps, sauf s'il n'y a que deux draps d'héritage.
« ...Che sont les villes del aluet de Binch:
Waudret, Waudrisiel, Bruille, Li Lus, Fantegnies, Buverinnes, le
Mons-Sainte-Genevire. En toutes ces villes a li cuens l'ost et le chevaucie, et
toute justice, mortemain, sisainnes et douzainnes...encore a chacuns maires par
le raison de se mairie les meilleurs dras, deux pièces de celui qui meurt en
l'aluet à cui le cuens prent le milleur katel, mais li cuens prent avant le
milleur Katel s'il n'avoit fors que ses dras… »[4]
Par acte du 16 septembre1310, la comtesse Philippine de
Hainaut permit à une famille de juifs de s'établir pendant cinq ans dans le
comté, sauf à Binche, pour y marchander de leur argent et leur accorda
entre autres privilèges l'exemption du droit de meilleur catel.
La bourgeoisie de Binche était dotée du privilège
d'exemption du droit de meilleur catel ; aucun document ne permet d'établir
l'origine de ce privilège, mais il est vraisemblable qu'il existait déjà en
1265-1256, le meilleur catel n'étant pas mentionné dans « le cartulaire
des rentes de Hainaut », parmi les prestations auxquels les Binchois
étaient tenus, quoi qu'il en soit d'ailleurs, l'affranchissement fut évoqué en
1368 contre le seigneur de Solre[5].
Le 28 janvier1401 (1402), Guillaume de Bavière confirma le
privilège des Binchois et en précisa nettement la portée: aux termes de la
charte qu'il octroya, devaient seuls jouir de l'exemption de meilleur catel:
- Les bourgeois et bourgeoises natifs de Binche, et leurs
enfants ainsi que les autres habitants, et leurs enfants. De même que les
bourgeois et les bourgeoises natifs du comté de Hainaut ou de l'Empire, ainsi
que leurs enfants.
« …premièrement, que tout li bourgois, fil et
filles de bourgois et bourghoises de le nation de le ditte ville et chircuite
de Binch, et ossi masuyer de la nation d'icelle non bourgois et leur enfant ne
deveront et ne seront tenut de payer point de milleur catel à leur trespas,
s'ils trespassent en le ditte ville et chircuite de Binch.
item, tout autre qui seroient u seront bourgois u
bourgoises de le ditte ville et leur enfant, en quelconcque liu qu'ils
euwissent estet net ou pays de Haynnau et en l'empire d'Allamaigne ne deveront
ossi point de milleur cattel à leur trespas, s'ils trespassoient en le dite
ville et chircuite… »
Les manants ou bourgeois demeurant à Binche pourront tester devant le magistrat de Binche sans qu'on leur prenne leur catel, sauf les serfs et les bâtards:
"..Item que tous li bourgois et bourgoises, li
manant, demorant, habitant et passant en le ditte ville et chircuite de Binche
puissent ordonner de leur biens meubles et catteux par testament u autrement
deuwement par-devant le loy de le ditte ville, et les testamens et ordonnanches
volons yestre acomplis seloncq leur teneur et le loy de le ditte ville de
Binch, sauf et reservet en ce les sierfs et les bastars, qui demoront en leur
conditions au pourfit de nous et de nos sucesseurs, seloncq l'usaige dou dit
pays de Haynnau, par le manière acoutumée… »[6].
Mais le privilège était inopérant si le décès du bourgeois
survenait au dehors de la ville de Binche:
En confirmation de cette stipulation, la cour des mortes mains
débouta la veuve d'un bourgeois de Binche mort à Mons en 1684, laquelle
prétendait que son mari « …étant sorty d'un lieu ingénu et affranchy ne
pouvoit point avoir changé de condition dans un autre lieu qui jouy aussy de la
liberté" et invoquait "l'exemple des citoyens romains qui, en
quelque lieu qu'ils se trouvoient, jouissoient toujours de la liberté et des
privilèges de cette reine nation »[7].
Des exemptions du droit seigneurial de meilleur catel fut
accordé à certaines institutions religieuses:
Le 12 octobre 1412, le comte Guillaume de Bavière
affranchit le chapitre de Binche du droit de meilleur catel[8].
Ce privilège est confirmé dans une charte de Philippe le
Bon, du 12 octobre 1444[9].
En 1739, le receveur des mortes mains se plaint de ce que
les habitants de Binche « se font bourgois dans leur dernière maladie »[10]. Cette
année là, la suppression du droit de meilleur catel était à l'ordre du jour des
Etats de Hainaut.
Une initiative fut prise des communautés de la prévôté de
Binche qui, au mois de novembre, adressèrent aux Etats une requête dans
laquelle elles se plaignent des exactions des fermiers du comte d'Egmont,
seigneur engagiste des mortes mains :
« ...les fermiers adjudicataires, pour trouver de
quoy payer leurs rendages respectives ont le soin de se faire fournir à la
dernière rigueur dudit droit à la morte de chacun chef d'hôtel, au grand
préjudice des pauvres habitans auxquels on enlève bien souvent, après la perte
qu'ils ont faitte de leurs père ou mère, ce qui leurs reste de mieux, en sorte
que cette double perte oblige la plupart d'avoir recours à la table des
pauvres, à la surcharge de la communauté qui souvent, faute des moyens, est
dans la nécessité de se cotiser en taille pour pourvoir aux besoins des dits
pauvres… »[11].
[2] A.E.M. compte des mortes mains de Hainaut, 1414-1415
[4] L. DEVILLERS, Cartulaire
des comtes de Hainaut, t.2, pp. 220-221.
[5] A.E.M. Cour des mortes mains, sentence du 24 février
1367/1368.
[6] L. DEVILLERS, Cartulaire
des comtes de Hainaut, t. 2, pp. 201-207.
[7] A.E.M. Procès de la cour des mortes mains, n° 52.
[8] Charte imprimée dans DEVILLERS, Cartulaire des comtes
de Hainaut, t. 3, pp. 539-541.
[9] A.E.M. Cartulaire des mortes mains de Hainaut,
1467-1468, in fine.
[10] A.E.M. Cartulaire des mortes mains de Hainaut, 1739,
Bibliothèque communale de Mons, manuscrit n°35/211.
[11] A.E.M., Etats de Hainaut, reg. 451, fol. 350.
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