vendredi 16 décembre 2016

Ceux dont on ne parle jamais


CEUX DONT ON NE PARLE JAMAIS

   Fernand GRAUX



L’étranger venu au carnaval de Binche pour la première fois s’émerveille à juste titre de l’ambiance exceptionnelle qui se dégage de chaque société suivie par lui, ambiance créée selon lui par des airs entraînants , quelques peu particuliers et personnels joués  par les musiciens desdites sociétés.

Mais ce qu’il ne sait pas c’est que le gille, ne suit que le rythme des tambours imperturbablement, mais les tambours, eux, éprouvent quelques fois  le besoin de se parfaire, de s’exprimer autrement, et c’est là qu’intervient  le chant des cuivres ! Grâce à lui toute la fantaisie des tamboureurs prend le dessus jusqu’au paroxisme.

J’ai eu l’immense plaisir ce dernier mardi-gras de suivre assez longuement la musique des  « Incas » et c’est alors que m’est venue l’idée d’écrire ces lignes, car j’ai surpris la satisfaction inconditionnée qu’éprouvaient deux tamboureurs de cette batterie à se donner, ce que les vieux Binchois connaissent bien ; des « assauts » dont les « Mémés » étaient autrefois les maîtres incontestés.

Les personnes qui suivaient ces musiciens étaient ébahies, époustouflées, à voir la dextérité de ces deux batteurs amoureux de leur art, le processus est immuable, après un air joué par les cuivres les tamboureurs ne s’arrêtent pas pour autant de jouer, ils continuent à battre consciencieusement la peau de leurs tambours. Après quelques reprises (trois ou quatre) le « tapeu d’caisse » de sa vigoureuse mailloche donne l’éveil à toute la fanfare puis « l’annonceu », le plus souvent une clarinette « lance » les quelques notes qui avertissent les musiciens de l’air à jouer, quelques roulements de tambours encore puis la fanfare se déchaîne. Et c’est à ce moment que, rompant la monotonie des ra et des fla , que les tambours s’en donnent à cœur joie, réveillant, si je puis m’exprimer ainsi , le pas du gille qui est en attente, imprimant par leur virtuosité un sens nouveau à la danse inimitable du gille de Binche.

D’après de nombreux musiciens chevronnés, les villageois des environs ne comprennent pas le sens caché de tout ce rituel et aiment mieux le chant des cuivres que le son des tambours, ils s’adonnent plus à la musique qu’à la cadence.

N’avez-vous jamais eu la curiosité de dénombrer une fanfare ? Voici en ce cas ce dont elle se compose pour les plus importantes ; une clarinette, deux trompettes, deux trombones, cinq bugles, deux tubas, deux bombardons, quatre tambours et une caisse, soit quatorze personnes.

Songez donc à ces gens qui, les doigts gourds sous le froid mordant de ce mois dernier, jouant sept à huit heures d’affilée, sans relâche ni répit, non pas pour gagner le peu d’argent qu’on leur concède mais pour l’amour de la musique, nous ne pouvons que dire : chapeau !

De même lorsque réunis sous la même baguette endiablée d’un chef au beau milieu de la Grand-place ces quelques deux cent musiciens, comme un seul homme, entonnent l’air final du rondeau, le pas de charge.

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