dimanche 4 décembre 2016

La vessie accessoire du carnaval


LA VESSIE, ACCESSOIRE DISPARU DU CARNAVAL DE BINCHE

                                                                                                                                      Alain GRAUX
OBJET TRADITIONNEL DES FESTIVITES WALLONNES

Lors du « Cwarmé » carnaval traditionnel de Malmedy, Lu Vèheû (le putois) : coiffé d'un bonnet carré et vêtu d'une culotte serrée aux genoux et de bas blancs, frappe délicatement les spectateurs avec une vessie de porc au bout d’un fouet.
Le Blanc-Moussi, personnage central du carnaval de Stavelot, porte un déguisement complété par un masque au nez en carotte. Cette robe de bure et ce capuchon blancs ont été adoptés par la population en signe de protestation face aux sanctions infligées par le Prince-abbé aux moines de l’abbaye de Stavelot qui avaient participé au carnaval. Prenez garde, le Blanc Moussi, qui ne s’exprime qu’en émettant des grognements, distribue des coups de vessie de porc dans la foule.
Lors du combat du «Lumeçon» où combat du «Doudou», à Mons, les Diables sont les alliés naturels du Dragon, mais représentant le Malin, ils ne le respectent même pas.  Empreints de la plus totale immaturité et de l'absence de limites, ils sèment le trouble dans le Rond (arène du combat). Ils brandissent une vessie de porc avec laquelle ils taquinent les Chinchins et le public. Ils écouleront environ 15 vessies sur le combat et trois pendant la Descente de la rue des Clercs. Ils sont les premiers à rentrer dans le Rond en faisant au moins un cumulet ou une roulade. Ils seront les derniers à rester dedans, terminant la relation fusionnelle qu'ils ont nouée avec le public-participant depuis le début.  Au cours du combat, ils seront traînés par les Chinchins et taperont le sol avec leur vessie devant le cheval de saint Georges pour l'attaquer. Mais personne ne touche saint Georges. Ils décrivent un mouvement en forme de huit dans l'air avec leur vessie et sont extrêmement agiles et mobiles.
Lors du cortège de la ducasse d’Ath, le diable Magnon, au visage noirci, est muni d’une vessie, il assume la fonction de police le long du cortège

L’emploi de la  vessie lors du carnaval de Binche


Pendant des siècles, paraît-il, et jusque vers le milieu du XIXe siècle, le balai complet (brosse et manche) était utilisé pour frapper toute personne non déguisée venant au Carnaval à la manière de la vessie de porc gonflée d'air que l'on a bien connue à Binche jusqu'au début des années 70. Cet accessoire de police du carnaval fut certaines années prohibé[1].
En effet, jadis, le Binchois en domino prenait plaisir à sanctionner le visiteur en pékin en l’assaillant à coups de vessie de porc.
L’usage des vessies est déjà attesté au cours du XIXe siècle, ainsi, à Binche en 1862 :
« Le domino si bien porté par les dames est affreux  quand il est porté par les hommes qui ajoutent à cet inconvénient, celui de tenir au bout d’un bâton, une vessie suspendue au moyen de laquelle on augmente, de beaucoup, le tapage »[2]
En général se faire frapper par une vessie, se fait avec bonhomie, néanmoins, parfois, un incident se fait jour, tel en 1872 :
« …vers quatre heures, un domino ayant pris pour amusement de taper à bras raccourcis sur le chapeau du bourgmestre, celui-ci, après  plusieurs observations amicales, finit par conduire au poste le masque à la vessie peu respectueuse ; ce fut dans un haro général, et force fut, quelque temps après, de relâcher notre domino, lorsqu’il eut cuvé son vin »[3]
De même en 1877
« Les comparses obligés des Gilles sont des dominos de toute couleur, d’élégants pierrots et pierettes. Ceux-ci sont, pour ainsi dire chargés de la police de la ville. Aussi se tiennent-ils massés à la gare à l’arrivée de chaque train ; et malheur au pauvre voyageur qui n’est ni masqué, ni déguisé, car il doit passer sous leurs fourches caudines. Et après que les vessies l’ont assourdi et aveuglé, et au moment où il croit pouvoir enfin respirer, il est inondé sous une pluie de son. Les pierrots n’épargnent personne, ni dames, ni enfants, ni gendarmes !
Et c’est ainsi que par toute la ville on ne rencontre pas un homme qui ne soit masqué » le mardi gras »[4]
 Le Binchois, journal local catholique rapporte en 1892 :
« A Binche, on ne fait pas tapisserie. Pas de spectateurs si ce n’est les cloisons  et les grillages qui blindent les fenêtres. Tout le monde gambade…, jette des confettis et traque à coups de vessies les imprudents qui s’aventurent dans les rues sans être masqués…Le carnaval de Binche  comporte le masque obligatoire »[5].
En 1896, le journal libéral  La Constitution signale :
« Et l’on voit dans les airs des  quantités de vessies s’agiter et retomber à coups redoublés sur le dos des malheureux  qui se sont aventurés dans cette galère sans avoir pris la précaution de revêtir un domino ou un autre déguisement… »[6]
Le port de vessies est réglementé par la police, par exemple,  l’ordonnance de police de 1938, autorise le commerce des vessies, il stipule :
Article 3          La vente de tout objet sur la voie publique est interdite. Exception faite pour les fleurs, les serpentins et les confettis, et, le mardi-gras, pour les vessies.
Le stationnement des marchands et l’installation des échoppes sur la voie publique sont interdits, sauf pour le commerce des vessies
Article 4.         La vente et l’usage des lance-parfums sur la voie publique sont interdits
Article 7.         Les vessies offertes en vente et celles dont il est fait usage sur la voie publique le mardi-gras, ne pourront pas être munies de manches ni dépasser, dans leurs plus grandes dimensions, trente centimètres. Elles ne pourront être coloriées et devront être gonflées, parfaitement séchées, et n’être munies que d’un lien de cinquante centimètres au plus, pour être tenues en main.
L’usage des vessies réunissant les conditions ci-dessus n’est toléré que sur des personnes non masquées ni travesties, et le 1er mars 1938 seulement de 9 à 17 heures.

   Marchand de vessies en 1949

L’usage de la vessie était devenu dans les années 1960-1970, l’arme des étudiants dont les affrontements animaient la Grand-Place dans l’attente du rondeau, le Mardi-gras après-midi.
Cet usage cessa vers 1970, après la disparition du dernier marchand de vessies habituellement installé le Mardi-gras à la rue de la Station.



                                              Le dernier marchand de vessies, vers 1960

Les vessies, vues par Gérard Prévôt

« Un détail pourtant : ne débarquez pas à Binche ce jour là sans vous être un peu déguisé. Cela se fera sans grands frais : un faux nez, un chapeau de papier, un pardessus retourné, ce sera suffisant ! Cela pour éviter que des groupes de joyeux lurons armés de vessies – par ailleurs inoffensives – ne vous prennent pour un trouble  fête surgi par erreur dans la ville de la joie »[7].











[1] Révelard M., Le carnaval de Binche. Une ville, des hommes, des traditions, 2002, p.134.
[2] Chronique, dans Le Centre, 9-3-1862.
[3] Des Gilles de Binche, dans le Journal du Centre, 21-2-1872
[4] BAUDOUX L., Le monde illustré, 3-3-1877.
[5] Le Binchois, 26-2-1892.
[6] La Constitution, 23-3-1896.
[7] PREVOT G. Comment un étranger doit venir voir le carnaval de Binche, dans Binche cité des Gilles,  s.d.

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