LA VESSIE, ACCESSOIRE
DISPARU DU CARNAVAL DE BINCHE
Alain GRAUX
OBJET TRADITIONNEL DES FESTIVITES WALLONNES
Lors du « Cwarmé »
carnaval traditionnel de Malmedy, Lu
Vèheû (le putois) : coiffé d'un bonnet carré et vêtu d'une culotte
serrée aux genoux et de bas blancs, frappe délicatement les spectateurs avec
une vessie de porc au bout d’un fouet.
Le Blanc-Moussi, personnage
central du carnaval de Stavelot, porte un déguisement complété par un masque au
nez en carotte. Cette robe de bure et ce capuchon blancs ont été adoptés par la
population en signe de protestation face aux sanctions infligées par le
Prince-abbé aux moines de l’abbaye de Stavelot qui avaient participé au
carnaval. Prenez garde, le Blanc Moussi, qui ne s’exprime qu’en émettant des
grognements, distribue des coups de vessie de porc dans la foule.
Lors du combat du «Lumeçon» où combat du
«Doudou», à Mons, les Diables sont les alliés naturels du Dragon, mais
représentant le Malin, ils ne le respectent même pas. Empreints de la plus totale immaturité et de
l'absence de limites, ils sèment le trouble dans le Rond (arène du
combat). Ils brandissent une vessie de porc avec laquelle ils taquinent les
Chinchins et le public. Ils écouleront environ 15 vessies sur le combat et
trois pendant la Descente de la rue des Clercs. Ils sont les premiers à rentrer
dans le Rond en faisant au
moins un cumulet ou une roulade. Ils seront les derniers à rester dedans,
terminant la relation fusionnelle qu'ils ont nouée avec le public-participant
depuis le début. Au cours du combat, ils
seront traînés par les Chinchins et taperont le sol avec leur vessie devant le
cheval de saint Georges pour l'attaquer. Mais personne ne touche saint Georges.
Ils décrivent un mouvement en forme de huit dans l'air avec leur vessie et sont
extrêmement agiles et mobiles.
Lors du cortège de la ducasse d’Ath, le diable
Magnon, au visage noirci, est muni d’une vessie, il assume la fonction de
police le long du cortège
L’emploi de la vessie lors du carnaval de Binche
Pendant des siècles, paraît-il, et
jusque vers le milieu du XIXe siècle, le balai complet (brosse et manche) était
utilisé pour frapper toute personne non déguisée venant au Carnaval à la
manière de la vessie de porc gonflée d'air que l'on a bien connue à Binche
jusqu'au début des années 70. Cet accessoire de police du carnaval fut
certaines années prohibé[1].
En effet, jadis, le Binchois en
domino prenait plaisir à sanctionner le visiteur en pékin en l’assaillant à
coups de vessie de porc.
L’usage des vessies est déjà attesté au cours du XIXe
siècle, ainsi, à Binche en 1862 :
« Le domino si bien porté par les dames est affreux quand il est porté par les hommes qui
ajoutent à cet inconvénient, celui de tenir au bout d’un bâton, une vessie
suspendue au moyen de laquelle on augmente, de beaucoup, le tapage »[2]
En général se faire frapper par
une vessie, se fait avec bonhomie, néanmoins, parfois, un incident se fait
jour, tel en 1872 :
« …vers quatre heures, un domino ayant pris
pour amusement de taper à bras raccourcis sur le chapeau du bourgmestre,
celui-ci, après plusieurs observations
amicales, finit par conduire au poste le masque à la vessie peu
respectueuse ; ce fut dans un haro général, et force fut, quelque temps
après, de relâcher notre domino, lorsqu’il eut cuvé son vin »[3]
De même en 1877
« Les comparses obligés des Gilles sont
des dominos de toute couleur, d’élégants pierrots et pierettes. Ceux-ci sont,
pour ainsi dire chargés de la police de la ville. Aussi se tiennent-ils massés
à la gare à l’arrivée de chaque train ; et malheur au pauvre voyageur qui
n’est ni masqué, ni déguisé, car il doit passer sous leurs fourches caudines.
Et après que les vessies l’ont assourdi et aveuglé, et au moment où il croit
pouvoir enfin respirer, il est inondé sous une pluie de son. Les pierrots n’épargnent
personne, ni dames, ni enfants, ni gendarmes !
Et c’est ainsi que par toute la ville on ne rencontre pas un homme qui
ne soit masqué » le mardi gras »[4]
Le Binchois,
journal local catholique rapporte en 1892 :
« A Binche, on ne fait pas tapisserie. Pas de
spectateurs si ce n’est les cloisons et
les grillages qui blindent les fenêtres. Tout le monde gambade…, jette des
confettis et traque à coups de vessies les imprudents qui s’aventurent dans les
rues sans être masqués…Le carnaval de Binche
comporte le masque obligatoire »[5].
En 1896, le journal libéral La
Constitution signale :
« Et l’on voit dans les airs des quantités de vessies s’agiter et retomber à
coups redoublés sur le dos des malheureux
qui se sont aventurés dans cette galère sans avoir pris la précaution de
revêtir un domino ou un autre déguisement… »[6]
Le port de vessies est réglementé par la police, par
exemple, l’ordonnance de police de 1938,
autorise le commerce des vessies, il stipule :
Article 3 La vente de tout objet sur la voie
publique est interdite. Exception faite pour les fleurs, les serpentins et les
confettis, et, le mardi-gras, pour les vessies.
Le stationnement des marchands et l’installation des
échoppes sur la voie publique sont interdits, sauf pour le commerce des vessies
Article 4. La
vente et l’usage des lance-parfums sur la voie publique sont interdits
Article 7. Les vessies offertes en vente et celles dont il est fait
usage sur la voie publique le mardi-gras, ne pourront pas être munies de
manches ni dépasser, dans leurs plus grandes dimensions, trente centimètres.
Elles ne pourront être coloriées et devront être gonflées, parfaitement
séchées, et n’être munies que d’un lien de cinquante centimètres au plus, pour
être tenues en main.
L’usage des vessies réunissant
les conditions ci-dessus n’est toléré que sur des personnes non masquées ni
travesties, et le 1er mars 1938 seulement de 9 à 17 heures.
Marchand de vessies en 1949
L’usage de la
vessie était devenu dans les années 1960-1970, l’arme des étudiants dont les
affrontements animaient la Grand-Place dans l’attente du rondeau, le Mardi-gras
après-midi.
Cet usage cessa vers 1970, après
la disparition du dernier marchand de vessies habituellement installé le
Mardi-gras à la rue de la Station.
Les vessies, vues par Gérard Prévôt
« Un détail pourtant : ne débarquez pas à
Binche ce jour là sans vous être un peu déguisé. Cela se fera sans grands
frais : un faux nez, un chapeau de papier, un pardessus retourné, ce sera
suffisant ! Cela pour éviter que des groupes de joyeux lurons armés de
vessies – par ailleurs inoffensives – ne vous prennent pour un trouble fête surgi par erreur dans la ville de la
joie »[7].
[7] PREVOT G. Comment
un étranger doit venir voir le carnaval de Binche, dans Binche cité des Gilles, s.d.
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