vendredi 16 décembre 2016

Gille à six ans


GILLE A SIX ANS
                                                                                                                                   Fernand GRAUX
Il faut que je vous narre cette mémorable et si fameuse journée de ce mardi-gras de 1928 : mon père qui tenait un café sur la place avait parfois de très drôles et cocasses idées, ainsi n’avait-il pas imaginé de faire le gille ? Ce n’est peut être pas extraordinaire me direz-vous ? Mais quand on songe qu’il était tenancier d’un grand café sur la Grand-Place ! C’est impensable pas vrai ? Mais soit, donc il s’était fait inscrire ainsi que moi-même chez notre ami et voisin d’en face Paul Hoyaux (un autre café intitulé « Au Tourisme » actuellement).
Nous voilà donc mardi-gras, et dès l’aube, vers cinq heures du matin, nous étions fin prêts à attendre notre tambour qui n’arrivait pas ; qui ne tarda guère d’ailleurs, « que l’on ouvre quelques bouteilles de champagne » dit mon père déjà « tout parti »…et de trinquer avec les quelques garçons de café et aidants accourus pour admirer la belle prestance du patron et de son rejeton ; j’avais eu droit moi aussi à un verre de cette boisson pétillante, aussi tout fier dans mon costume tout pimpant à la collerette rutilante de soie. Je fus le premier dehors, malgré la bise matinale assez fraîche qui me rendait les joues plus roses encore.
Nous partîmes donc sous les regards admiratifs des voisins encore en chemise de nuit.
Toute la matinée se déroula sans encombres, trinquant tout comme « un grand » ingurgitant force verres de champagne ou de mousseux, supportant cela très bien.
Le dîner copieux fut très réparateur et nous revoilà repartis mon père et moi pour la formation du cortège de l’après-midi.
Le cortège fini, rassemblement de tous les gilles de la société à la maison et la question s’est posée ! « où est passé l’gamin ? » il avait disparu au cours du rondeau et nul ne l’avait plus revu ! La mère, quoique fort occupée (on s’en doute un peu), émit l’hypothèse que je m’étais trompé de société de gille, lors de la dislocation du rondeau : c’était bien possible après tout. Et tout le monde repartit vers d’autres sarabandes, mon père se jurant bien de me retrouver aisément.
Hélas, peu avant le rondeau du soir mon père revint avec d’autres gilles de ses amis…on avait tout rebattu et on n’avait pas retrouvé le gamin et franchement tout le monde s’en trouvait fort inquiet, les tantes, les oncles, les connaissances, tous furent interrogés, enfin tout fut mis en œuvre pour me retrouver.
J’arrête ici le suspense, car ma sœur, on ne sait par quel hasard, entrouvrit les rideaux d’une alcôve qui cachait le lit de mes parents et eut la stupéfaction de me voir tout habillé : l’apertintaille me ceignant encore la ceinture, sabots aux pieds dormant le sommeil des justes !
Il ne va sans dire que malgré leur contentement mes parents me promirent dès le lendemain que je ne ferais plus jamais le gille.

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