BINCHE ET LE JEU DE PAUME DIT DE BALLE PELOTE
Alain
GRAUX
LE JEU DE PAUME SOUS L’ANCIEN RÉGIME
Le jeu de paume est un jeu très ancien
créé au XIIe. Siècle, la paume courte (en terrain clos) et longue (en terrain
ouvert), à mains nues d’abord, avec raquette et filet ensuite. En 1650, on
dénombrait à Paris cent quatorze jeux de paume, il n’en restait que dix en 1780 [1].
Vers 1774, le jeu de balle dit jeu de
paume était déjà un des amusements préféré des Binchois. L’administration
communale voulait récompenser les joueurs par
une balle d’argent, attirant ainsi des équipes venant de l’extérieur,
afin d’en retirer un profit pour le commerce de la ville. Le magistrat demanda
donc à l’autorité supérieure, s’il pourrait dégager une somme pour ce trophée.
« Se représente que comme la
ville tient les maltotes de cette ville et pour les fructifier et augmenter il
conviendroit d'exposer une balle d'argent pour inviter plusieurs villages et
communautés à l'exemple de la ville de Mons, on espère de là que lesdites
fermes pourront augmenter.
Conclut
d'exposer la dite balle gratis » [2].
Le Conseil des finances répondit :
« Très chers Srs et spéciaux amis, aiant vu
votre représentation du 2 de ce mois touchant la balle d'argent que vous nous
proposez de donner le jour de la dédicace prochaine, nous vous faisons la
présente pour vous dire que le fermier des moyens courans étant principalement
interessé dans cette affaire, devroit aussi en supporter la dépense, mais que
pour autant que la ville pourroit aussi y avoir quelqu' intérêt, vous pourrez y
contribuer pour la moitié, laquelle sera en conséquence passée dans le compte
de votre administration…
De Bruxelles au Conseil des domaines et finances
de l'Empereur et Roi le 26 juin 1781 » [3].
A la fin du XVIIIe s. La ville récompensait les
joueurs de paume par une somme d’argent :
« à
MM. du magistrat de la ville de Binch.
Remontrent très humblement
les jeunes gens de la ville de Binch qu'il était de coutume que la ville leur
accordait en vertu d'autorisation du gouvernement une somme de quattre pistoIles
pour être employée à acheter des prix pour jouer à la balle pendant la
quinzaine de la carmesse, ce qui causoit un divertissement pour cette ville; et
comme la carmesse, est à présent remise après la quinzaine des pasques, tems
peu favorable pour ce jeu à cause du froid et mauvais tems qu'il fait
ordinairement dans cette saison, pourquoi ils vous supplient MM. de vouloir
bien leur accorder cette année la même somme pour être convertie en achat des
prix pour les jouer pendant les dimanches de l'été et commencer dimanche
prochain ou autre jour qu'il vous plaira leur designer et en cas que vous
trouverés n'être pas au pouvoir de le faire, ils vous supplient d'en faire la
demande en leur nom au gouvernement.
Conclut
d'en écrire au gouvernement » [4].
« Les jeunes gens de la ville de Binch
se sont présentés au bureau pouvoir jouer à la balle le 5 de ce mois, répondu
que nous regardons le dimanche prochain 5 du mois égaux à tous ceux de l'année
et qu'étant la coutume que les jeunes gens se divertissent à ce jeu presque
tous les dimanches de l'été. ils peuvent jouer sans s'adresser au magistrat.
Par dépêche du 9, le conseil royal du gouvernement
refuse d’approuver la dépense de 4 pistolles pour le prix du jeu de balle »
[5].
LES RÈGLEMENTS COMMUNAUX
Les
luttes de jeu de balle, de jeu de
quilles, et de jeu de fers constituent l’un des éléments attractifs de la
ducasse. Ces joutes passionnent bien entendu joueurs et supporters qui viennent
assister aux affrontements.
Pour
éviter les litiges, c'est l'autorité municipale qui établit les règles de ces
jeux populaires[6], tel règlement du jeu de
balles pour 1806[7]
« Règlement
pour le jeu de balle
Le
six juillet 1806 à quatre heures et demi de relevée, les joueurs qui se sont
fait inscrire se réuniront dans la salle des séances de la mairie pour prendre
connaissance du règlement dont il leur sera donné lecture.
Le
sort, règlement, l’ordre dans lequel les parties devront jouer et celui avec
qui elles devront concourir , on suivra à cet égard l’indication numérique des
billets qui seront échus à chacune d’elles.
Les
billets seront déposés dans un vase en pareil nombre qu’il y aura de parties
inscrites. Elles seront appelées pour tirer au sort suivant l’ordre de leur
inscription.
Celles
qui n’ont point requis leur inscription avant la fermeture de la liste ne
seront point admises à concourir .
Chaque
commune ne peut fournir que deux joueurs qui la compose, doivent y avoir la
résidence déterminée par les lois de l’Empire pour acquérir domicile.
Ils
ne peuvent être pris dans une commune étrangère.
En
cas de contestation les joueurs devront justifier de leur résidence par un
certificat du maire de la commune, constatant leur inscription au tableau de
population de l’an 1805, ou par tout autre moyen que le maire ou le commissaire
de police du jeu trouvera bon.
Si
le nombre des parties inscrites était impair, celle à qui le sort assignera le
plus haut numéro demeurera au chapeau, mais celle qui aura joui de ce bénéfice
au premier tour de rôle ne pourra plus l’obtenir au second tour, et aucune deux
fois de suite, de manière que celui qui aura le chapeau pour un tour de rôle
sera censé être échu au tirage suivant au billet premier, et conséquemment
devra concourir contre la partie échue au billet numéro deux.
Lorsqu’une
des deux bandes qui doivent combattre ensemble ne se présentera pas ou ne se
présentera qu’en nombre incomplet après l’intervalle d’une heure écoulée, entre
le moment fixé pour son tour de rôle, elle sera censée battue et la bande qui
se sera rendue sur le jeu en tems utile sera la partie victorieuse.
La
première ne pourra se représenter en aucun tems. Ledit commissaire pourra
admettre des exceptions lorsque des accidens en des circonstances imprévues non
imputables aux joueurs absens réclameront en leur faveur. Mais ces exceptions
n’auront lieu qu’en tems que les joueurs absens se représenteront avant un
nouveau tirage au sort entre les vainqueurs
Au
surplus, lorsque les bandes appelées
pour jouer ne seront pas rassemblées, à l’instant même, le commissaire
pourra appeler les bandes suivantes afin qu’il n’y ait pas d’interruption de
jeu et que le public puisse jouir pleinement du plaisir qu’il avoit en vue en
se rendant sur le lieu du jeu aux heures fixées, sauf à rétablir l’ordre entre les
bandes proposées par l’appel à faire après chaque partie et à charge pour les
bandes qui auront été proposées pour ne s’être pas trouvée à l’appel de se
représenter au dit commissaire dans l’heure qui aura suivi leur appel pour
juger de leur diligence et présence, à peine d’être réputées battues, comme dit
cy plus haut.
On
ne pourra faire aucun changement de joueurs sans motifs graves et constatés,
tel que le cas de maladie, de manière que les cinq joueurs qui auront commencé
le concours se devront de le terminer et ne pourront être remplacés.
Toute
contestation relative au jeu se décidera sur le champs par le commissaire
préposé à la police du jeu et les arbitres choisis et nommés à cet effet.
Les
parties devront se soumettre à leur décision.
Les
experts une fois choisis et mis en activité ne seront plus libres à l’une ou
l’autre partie de les réussir ni à ceux-ci de se retirer sans le consentement
des deux parties et du commissaire préposé à la police du jeu.
M.
de Biseau, maire adjoint, ayant bien voulu s’en charger, est nommé commissaire.
Toute
balle qui touchera l’arbre de la Liberté sera réputée bonne lorsqu’elle tombera
dans le jeu.
Les
prix se distribueront pour la partie gagnante : une balle en argent et
cinq demi douzaines de cuillères et la partie concurrente aura également cinq
paires de boucles en argent.
Le
maire ou l’un de ses adjoints de la ville fera la distribution de ces prix, la
balle sera donnée à celui qui aura fait le dernier coup pour le grain de la
partie, et les cuillères et boucles seront distribuées à la partie gagnante en
commençant par le grand milieu, le petit, la droite, la gauche et le derrière,
et il en sera de même pour la partie concurrente.
Binche le 6 juillet 1806 »
Le
15 août 1807, est organisée la fête de l’empereur, date de son anniversaire,
les autorités communales organisèrent un jeu de balle exclusivement réservé aux
amateurs de la ville. Les prix consistent en une médaille d’argent à l’effigie
de l’empereur et de Joséphine destinée à être offerte par les gagnants à
Notre-Dame du Mont Carmel et en cinq services d’argent pour la partie gagnante [8]
Le
règlement de l’an 1824 stipulait entre autres:
Art.1. Qu’en suite de notre règlement du 19 juin
courant, il se pourra y avoir plus de deux parties de chaque ville ou commune
en général sans cependant qu’aucun des joueurs puisse jouer dans deux parties.
Les
étudiants de la ville de Binche pourront indépendamment qu nombre ci-dessus
fixé former une partie...
Art.
9. Si cependant il arriva que deux parties
de la même ville ou commune restassent victorieuses avec une seule partie d’une autre commune, en
ce cas le sort sera tiré et si son résultat porte que les deux parties de la
même ville ou commune doivent jouer l’une contre l’autre, elles devront obéir
audit résultat.
Art.
20. Les heures pour jouer seront
annoncées par trois sons de cloches de l’hôtel de ville et fixées par le
collège des bourgmestre et échevins, qui se retient encore le pouvoir de fixer
les heures ou les jeux devront finir...
Art.
22. On jouera avec des balles
dites d’Ath qui seront délivrées gratis aux joueurs. Ils ne pourront cependant
en faire usage de plus de quatre, le surplus sera à leurs frais.
Les
joueurs de l’année 1824 sont
Pour
Binche : Henri Biche, Désiré Seghin, Félix Winance, Maximilien Goffaux,
Eugène Masuy.
Les
étudiants de Binche : Duvivier, Lecrinier, Monnoyer, Scoupermanne, Gravez.
Pour
Battignies : François Navez, Adrien Haine, Auguste Chevalier, Adrien
Outelet, Maximilien Gallez.
On
remarquera que tous ces joueurs sont issus de la bourgeoisie binchoise.
Mais
proviennent aussi de nombreuses communes hainuyères :
Anderlues,
Buvrinnes, Carnières, Fontaine-l’Evêque, Haulchin, Leval-Trahegnies, Lobbes,
Mons, Mont-Sainte-Aldegonde, Morlanwelz, Péronnes, Thuin,
Vellereille-lez-Brayeux [9]
Le
programme de la ducasse de 1827, stipule pour le jeu de paume que les joueurs
ne pourront jouer avec des gants munis de plaques.
Vers
1830, on commence à faire la différence entre les concours dits de grosse balle
et ceux dits de petite balle, soit la balle au tamis, ces luttes sont
dotées de prix par l’administration
communale. Ces jeux, se jouant pendant et après la kermesse principale de la
ville, se perpétueront jusqu’à notre époque.
COUTUME DES JOUEURS DE BALLE
En
1840, les joueurs de balle-pelote représentant la ville de Binche, Gustave
Wanderpepen, Gustave Ramboux, Adolphe Leroy, Adolphe Laloyaux et Joseph
Dessars, participèrent à un tournois à Bruxelles, ils le remportèrent, et
reçurent une balle d’argent. Revenus en ville, contrairement à l’usage, ils
déposèrent cette balle à l’hôtel de ville.
Le
4-11-1850, les membres de la confrérie de Saint-Hubert écrivirent au
bourgmestre :
« MM.
Les joueurs de balle de notre ville vous ont fait don du prix royal qu’ils ont
remporté à Bruxelles, et certes, en vous le confiant, ils étaient certains
qu’il serait inviolablement conservé, cependant il a toujours été d’usage en
cette ville et de temps immémorial, que les trophées de l’adresse des joueurs
de balle étaient offerts à l’église et dédiés aux saints.
Si
en 1840, les joueurs de balles ont agi autrement, c’était dans des
circonstances exceptionnelles , ils ont craint alors de voir détourner cette
balle. Maintenant que cette crainte est dissipée , nous vous prions M.M. de
vouloir l’offrir à notre paroisse et de la dédier au glorieux Saint-Hubert.
Soyez
persuadés, M.M., que c’est le vœu de tous les Binchois qui verront avec joie et
orgueil promenée majestueusement dans nos rue pendant nos imposantes et
nombreuses processions…
Signé :
U. Masuy, Doyen ; A. Seghin, H. Biche, Nicolas Lebeau, C. Brichot, J.
Leblanc, Depret, Quinet, Dessart-Duvivier » [10]
De
même, les connétables et confrères de la confrérie de Saint-Ursmer, demandèrent
de pouvoir disposer de la balle d’argent.
LA SOCIÉTÉ DE JEU DE PAUME
Une
société de jeu de balle-pelote fut créée en 1871, comme nous l’apprend cette
lettre adressée au bourgmestre :
« Nous
avons l’honneur de vous exposer qu’il existe depuis le premier septembre 1871,
une société constituée sous le nom « Société de jeu de paume » dont
le local est établi chez Mme Veuve Rombaux, Grand-Place.
Cette
société avait l’intention d’offrir cette année un concours aux amateurs du jeu
de balle, mais ses ressources étant insuffisantes, elle vient avec confiance
vous prier de lui accorder la direction d’un concours donné par la
Ville… »
Cette
lettre est signée A. Van Ginderdeuren, Art. Buisseret, G. Lardurière, G.
Jaupart, Gaillard, Ar. Houssière, G. Fayt. [11]
Plus
tard cette société s’appela « Société du jeu de balle"
Le
18-4-1881, lors de l’hommage rendu à Gustave Wanderpepen pour ses 25 ans de
mayorat, Armand Houssière, président du Jeu de paume représente sa société.
Le 28-6-1885, M . Duysschaeve,
informe la Ville qu’il pourrait construire le jeu de balle en pavés bleus. Sa
demande fut rejetée.
Le 5-10-1903, le Collège
échevinal décide que la cloche dite Binette qui était employée dans le carillon
n’est plus disponible pour la sonnerie du jeu de balle[12].
Avant
la seconde guerre mondiale, la balle-pelote connaissait un grand succès
dans les quartiers de notre ville comme dans la plupart des communes avoisinantes. On jouait à la balle, soit sur
la Grand-place, soit sur l’avenue de Burlet face à la gare.
Pendant la 1940-1945, de nombreuses
équipes amateurs étaient s’affrontaient. La ville, privée de ses activités
traditionnelles, allait manifester un engouement considérable pour ce sport
opposant deux équipes de cinq joueurs en des « luttes » de 15
« jeux » ou phases, aux durées indéterminées.
BINCHE RENOUVEAU
C'est ainsi qu'au début de l'année
1942, un comité appelé « Binche Renouveau » mit sur pied la première
équipe professionnelle locale; affiliée à la Fédération Belge de Balle Pelote,
et dont le siège se situait au café Deleuze, sur la Grand-Place, à droite de
l’hôtel de ville. Par la suite, il fut transféré chez « Naveaux »,
café qui s’appela plus tard le « Fernandel Belge », et nommé
actuellement « Les Inséparables et dans les derniers temps, au
« Manneken Pis » actuellement « Le Diapason ».
Les matches se déroulaient bien évidemment sur la
Grand-Place devant une assistance regroupant souvent plusieurs centaines de
personnes.
Ils
se trouvaient d'ailleurs parmi les rassemblements populaires les plus intenses
de cette époque.
Au départ, les joueurs avaient pour
noms Boulanger, Franc, Lefèvre, Fontignies et De Mersman.
D'abord présidé par Léon Gaillard (avec Marcel
Lescalier, pour président d'honneur, Franz Weber pour trésorier et Henri Andris
pour secrétaire), le club allait rapidement passer de la deuxième division
régionale (réservant celle-ci aux cadets) à la 1ère,
BINCHE JEU DE PAUME
Dès 1943, l’équipe se hissa en Promotion générale.
« Binche Jeu de Paume » fut la nouvelle
appellation de la société .
Par deux fois, il s'en fallut de peu pour que les
Binchois raflent la « Coupe du Centre », à l'issue de deux finales
mémorables, une première en déplacement à Chapelle en 1943, une seconde chez
nous face à LevaI, à l'été 1944, où nos voisins ne l'emportèrent que par un
point d'écart.
L'équipe était composée de Bailly, Vens et Mertens et
en 1945, Rubens, Fassiaux et Cambier.
Les joueurs de notre ville demeurèrent de longues
années dans les premières places du classement. Malheureusement, en 1951,
« Binche Jeu de Paume » cessa officiellement d'exister.
De 1953 à 1954 d'autres amateurs tentèrent de monter
une nouvelle équipe au « Café du Théâtre », mais leurs efforts furent
sans lendemain. Le jeu continua toutefois à se pratiquer quelque peu dans
différents coins de la cité, puis il tomba définitivement en désuétude [13].
Le jeu de balle
pelote de la gare vers 1920
Le
comité de « Binche renouveau » en 1942 : de gauche à droite: R.
Naveau, H. Andris, Gaillard, F. Weber, M. Lescalier, M. Deparadis, M.
Vanderhage, E. Depasse.
L'équipe:
R. Boulanger, L. Franc, A. Lefèvre (debout), P. Fontignies et G. Demershman
(accroupis) .
[1]: Le sport, dans La grande encyclopédie Larousse,
Paris, 1976, p.11.312.
[3] A.V.B. 00-00-01-37. Conseil du 5-7-1781
[5] A.V.B. 00-00-01-39. Conseil du 30-7-1789.
[6] REVELARD M., Jeux populaires et divertissements à
Binche avant 1900, dans La Plume du coq, n° 36, juin 19999,
pp.21-22.
[7] A.V.B.
01-12-02-23.
[8] REVELARD M., Fêtes et réjouissances publiques à
Binche du XVIIIe. Siècle au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans Jeux
et réjouissances populaires d’antan, Binche, 1997, p.23.
[9] A.V.B.
01-12-02-23. Les Archives de la ville
conservent les noms de tous les joueurs de ces équipes
[10] A.V.B. 01-12-02-6.
[11] A.V.B. 01-12-02-6.
[12] A.V.B.
01-00-01-21.
[13] CORDIER F. La balle pelote à Binche (1942-1954),
dans Binche Evénement, n° 3, 1996, pp. 6.
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