MA GRAND PLACE
Fernand GRAUX
Est-il
possible de rêver encore au vingtième siècle ? C’est pourtant ce qui m’est
arrivé la semaine dernière ; ayant mené mes fils à la bibliothèque
communale et désirant trouver un instant de détente, je restai seul, vautré sur
le siège confortable de ma voiture en attendant leur retour.
La chaleur ambiante aidant, je me laissai aller
à une douce rêverie, laissant errer mon regard sur les gros pavés de la
Grand-place.
Soudain, je m’arrêtai sur une anfractuosité qui
ne me semblait pas inconnue, en l’espace d’un clin d’œil je retournais quelques
quarante années en arrière, c’est qu’en effet, cette petite fosse était celle
où, étant gosse, j’enfouissait ma casquette en guise de piquet de goal…juste en
face du café dit « Deleuze », cela me fit sourire en songeant qu’une
fois…désoeuvré comme un gamin peut parfois l’être, j’avais entrepris, tenez-vous
bien, de compter les pavés de la place ; j’en étais à moins de cinq mille
deux cente, je les marquais d’une croix de craie blanche quand survint
intempestivement le « champête el
petit Co » qui m’intima l’ordre illico de cesser mon manège jugé par
lui insolite !
Je me revoyais aussi, couché à même la grosse
pierre plate, usée par le fond de nos culottes, de la devanture du café que
tenait mon père Firmin, par un de ces après-midi d’août si chauds à ce temps
là, écoutant les rengaines jouées par le piano mécanique que vomissait la porte
toujours largement ouverte de chez Paul Hoyaux, un cabaret d’en face.
Il me semblait voir déboucher de la rue de la
Hure, la haute charrette à pains du père Trigallet, menée à toute allure et, d’une main sûre ; son long bras décharné
brandissant une « escoride »
menaçante, envers la grappe faite d’enfants, suspendus au marchepied arrière de
sa voiture cahotante…il ne fallait guère attendre pour voir réapparaître,
débouchant de la rue du Cygne, son cheval retournant…seul ! et ar habitude
à son écurie située chez « Sira » via les rues Notre-Dame de Lorette
et Buisseret.
J’entendais comme dans un songe le bruit si
caractéristique que faisait le bois sonore et clair des quilles pansues
s’entrechoquant sous les coups des grosses boules en bois dur bordées de fer
d »chirant l’air pur et calme de ces dimanches de 1928.
Ah ! Quelle impression que faisaient les
terrasses faites de longues tables et
bancs descendant jusqu’au bas des trottoirs en face de chaque estaminet lors
des ducasses ou réjouissances de la ville, il faisait bon vivre.
Je m’imaginais encore attendant au bas de la
porte « de devant » la petite boîte métallique que me jetais mon père
du haut du toit, dans laquelle il insérait la bague numérotée tirée de la patte
du pigeon, bien souvent vainqueur. Il y avait une sorte de compétition entre
les gamins de la place, fils de nombreux colombophiles, tel que : les
Lelangue, les Gaillard, les Gressier, les Lebrun, les Boussart. C’était une
course éperdue des gosses vers le contrôle qui se trouvait chez « el Poïe
Godet », excusez moi de cet ancien sobriquet de monsieur Dupuis. Afin de
grignoter l’ultime seconde qui aurait pu les faire vainqueurs !
C’était vraiment bon tout cela…jusqu’au
carillon de l’hôtel de ville qui égrenant « Fanfan la Tulipe » me
remémorait comment j’avais appris l’heure. Je les connaissais bien tous, ces
airs tant et tant de fois entendus et…sur l’un de ces airs je me mis à murmurer
les quelques vers que plus jeune j’avais
déjà esquissés :
D’sû l’garçon du p’tit
Firmin
Que cos counissez
sûr’mint
D’sû né à l’homb’ du
cloquie
Qui s’estind d’su l’marquie…etc.
Quand
soudain je fus tiré de ma torpeur par un coup sourd frappé contre la vitre de
la voiture. Mes deux enfants me souriaient à travers le pare brise s’interrogeant
sur l’air satisfait de mon physique, dû à ma petite méditation rétrospective.
Serait-ce
vraiment présomptueux de ma part de dire que je rêvais de…ma Grand-place.
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