LES Ecoles d’adultes DE BINCHE
Alain GRAUX
Dans certaines villes, des cours d’adultes
virent le jour dès 1850. Ces écoles n’avaient jamais reçu de principes
d’organisation. Le ministre de l’Intérieur, Alphonse Vandepeereboom était
particulièrement sensible à cette situation D'autre part, un assez grand nombre
de parlementaires libéraux, de même que les milieux laïcs, étaient désormais
partisans de la révision de la loi de 1842, jugée trop favorable à l'Église et
à ses conceptions éducatives. Cette double évolution conditionnera d'ailleurs
pour une bonne part ce que, bien plus tard, Albert Devèze appellera .une
période émouvante de notre histoire[1],
celle qui, de 1866 à 1868, à l’aube d'un grand règne, mettra notre personnel
politique aux prises avec le problème militaire, récurrent dans ce pays,
l'affaire du Luxembourg, la question linguistique déjà, le suffrage universel,
les troubles sociaux, la tension avec la Hollande à propos du barrage de l'Escaut.
Quelles furent les motivations d'A. Vandenpeereboom
dans sa décision d'organiser des écoles d'adultes? Nous les connaissons à la
fois par le rapport au Roi introduisant le texte de l'arrêté et par le discours
qu’il prononça au cours des séances de
la chambre des 26 et 27 mars 1868, lors de la discussion du budget de l'Intérieur[2].
À ce moment - on le verra plus loin -, le cabinet est tombé depuis le 21 décembre
1867 et un nouveau gouvernement est entré en fonction le 3 janvier 1868, sous
la direction de Frère-Orban; Eudore Pirmez, succédant à Vandenpeereboom, y
détient le portefeuille de l'intérieur.
Il s'agit essentiellement de lutter contre la
scolarisation insuffisante et, partant, contre l‘analphabétisme.
" En
1866, 273 miliciens sur 1000 étaient encore complètement illettrés. C'est la
moyenne pour le pays entier, mais il est des provinces où le nombre de ces
miliciens ignorants est plus élevé encore: dans une province[3], il est de 343 et même
de 391 sur 1000 dans une autre[4] ».
Constatation importante: l'ancien ministre
observe que trop d’écoles d’adultes n'enseignent guère[5].
"Il
a été constaté que presque toutes ces écoles [c'est-à-d.ire les écoles d'adultes
dominicales organisées par les congrégations religieuses], les 4/ 5 des écoles
d'adultes sont ouvertes dans un but de moralisation et que l’enseignement
proprement dit est à peu près nul [. . .]. Programmes incomplets, méthodes
vicieuses »[6]
Par conséquent « les écoles organisées par l'arrêté royal du 1er septembre 1866
sont destinées sans doute à donner l'instruction primaire aux personnes âgées
de vingt ans et plus, qui sort totalement illettrées, à compléter l’instruction
des adultes majeurs dont l'éducation a été insuffisante ou qui ont oublié le
peu qu'ils ont pu apprendre dans leur jeunesse; mais, dans ma pensée, ces
écoles sont encore destinées à
donner l’instruction, soit le soir, soit à midi, soit à certains jours, à de
nombreux enfants âgés de moins de quinze ans qui, prématurément arrachés à
l'école primaire, sont, dès leur jeune âge, condamnés aux travaux forcés dans
les mines, dans les ateliers, dans les fabriques ou dans les champs.
Soucieux de démontrer
la parfaite régularité légale de son arrêté, 1'ex-ministre, faisant référence à
d'illustres prédécesseurs catholiques et libéraux modérés, poursuit: " L'honorable
M. Rogier […] a toujours décidé, comme ses prédécesseurs et spécialement comme
MM. J-B. Nothomb et de Theux, que les écoles dont parle l'article 25 de la loi
de 1812 [c'est-à-dire
les écoles d'adultes] tombent sous
l'application de cette loi et que l'article 26 est applicable à ces établissements »
Et de conclure: " Messieurs, en proposant au Roi le projet d'arrêté du 1er
septembre [1866], je n'ai eu qu'un but, celui de vaincre
l'ignorance [...]. Aujourd'hui
encore, j’ai soutenu la légalité et l’utilité du règlement du 1er septembre […]
Quoi qu'il en soit, le Moniteur belge du 10
septembre 1866 publie l'arrêté royal du 1er septembre 1866 portant
règlement général pour les écoles d'adultes. Ce règlement, dans le droit fil de
1a loi de1842, autorise les communes à adopter des écoles privées, comme dans le
cas des écoles primaires. Quant aux dispositions spécifiques aux éco1es
communales, elles sont contenues dans les dix-huit premiers articles de
l'arrêté; en voici les principales:
- Article 1er : « Les conseils communaux seront invités à établir des écoles
spéciales pour adultes;
- Article 2:"Il
y aura des écoles distinctes pour chaque sexe. Elles seront administrées et
surveillées d'après les mêmes principes que les écoles primaires.
- Article 3:
« L'enseignement sera donné aux adultes dans les locaux des écoles primaires
et par le personnel de ces écoles [...].
Les Locaux seront convenablement chauffés et éclairés [...];
- Article 5:
« Chaque école d'adultes se compose de deux divisions, une division
élémentaire et une division supérieure. Les deux divisions recevront l’instruction
séparément " ;
- Article 6:
"Le programme de la division élémentaire comprendra les notions dont l'enseignement
est obligatoire aux termes de l'art. 6 de la loi du 23 septembre 1842 [disposition
incluant l'enseignement de la morale et de la religion]. Dans la division supérieure, on enseignera nécessairement:
1° la langue française,
flamande ou allemande;
2° l‘arithmétique;
3° le dessin;
4° les éléments de la
géographie et de l'histoire, principalement de la géographie et de l‘histoire de
la Belgique;
5°des notions de droit
constitutionnel, au moyen de lectures expliquées
6° des notions
d’hygiène.
Les notions de droit
constitutionnel seront remplacées par des notions d’économie domestique pour
les femmes »
Article
8 : Nul ne sera admis avant l’âge de
14 ans.
Article 12 : Indépendamment d’une rétribution par élève, l’instituteur chargé d’un
cours d’adultes recevra une indemnité annuelle qui ne peut être moindre de
cinquante francs.
Conformément à la délibération du Conseil communal
du 8 Novembre 1868 et à l'arrêté Royal du 1er septembre de la même année, le Collège du
bourgmestre et des échevins a organisé des écoles d'adultes pour les hommes et
pour les femmes.
Les écoles d'adultes sont et resteront pendant
longtemps encore, de véritables écoles primaires. Dans l'état actuel de
l’enseignement elles sont utiles aux enfants qui fréquentent irrégulièrement
l'école primaire et à ceux qui avant l'âge indiqué par la loi, ont abandonné
l'école pour aller travailler dans les
ateliers ou dans les champs. Elles sont nécessaires aux jeunes gens de plus de
quinze ans, que la paresse, une éducation négligée ou les circonstances ont
maintenus dans l’ignorance primaire[7].
Le succès des écoles d’adultes fut immédiat, la
curiosité n’était pas étrangère à ce succès foudroyant, mais avec le temps il
s’émoussa comme on peut s’en rendre
compte ci-après.
Ecole d'adultes pour Garçons.
A partir de 1871 jusqu’à la guerre 1914-1918,
les cours sont donnés à l'École communale des Garçons, les Mardi, Mercredi et
Vendredi de chaque semaine, de 7 heures et demie à 9 heures et demie du soir, à
partir du premier octobre jusqu'aux Pâques.
L'école est
fréquentée par 108 élèves en 1871
38 élèves en 1897
38 élèves en 1898
68 élèves en 1900.
Ecole d'adultes pour Filles.
Des cours sont également donnés pour les femmes
à l'Établissement du Sacré-Cœur, le dimanche et lundi de chaque semaine, de 5
et demie à 6 h du soir, pendant toute l‘année.
L'école est
fréquentée par 165 élèves en 1871
96 élèves en 1897
48 élèves en 1898
5o élèves en 1900.
[1] Préface à Jules Garsou, Les Débuts
d'un grand Règne - Notes pour servir à l‘histoire de la Belgique contemporaine,
tome II. De la démission du général
Chazal à la retraite de Rogier et, Vandenpeereboom, Bruxelles, 1934,
p.5. Les deux tomes de l’ouvrage sont rédigés d’après le journal d'Alphonse Vandenpeereboom,
dont le manuscrit est conservé à 1a bibliothèque de l'Université de Gand, mais
dont la première partie seule- _celle qui nous concerne ici -, s'étendant du I6
octobre 1864 aux funérailles. de Léopold 1er (16 décembre 1865), fut publiée sous le titre « La fin d'un règne »
[2] Ce discours.fut publié dans A. VANPEEREBOMM
« Écoles d'adultes - Discours prononcé dans les séances de la chambre des Représentants
les 26 et 27 mars 1868 »
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