Alain
GRAUX
Parmi les cartes anciennes de nos
contrées, la Carte de Cabinet des Pays-Bas, dite Carte de Ferraris, est d’un
grand intérêt pour l’histoire de l’habitat, des paysages, mais également des
voies de communication en Wallonie, avant l’avènement de la Révolution
Industrielle. Cette carte fut levée de 1771 à 1778 à l’initiative du comte
Joseph de Ferraris, directeur de l’Ecole de Mathématique du Corps d’Artillerie
des Pays-Bas. Il s’agit de la première carte topographique générale de nos
contrées.
La ville de Binche
extraite de la carte 65 ou S8
Celles-ci étaient alors sous
l’autorité des Habsbourg d’Autriche en la personne de l’Impératrice
Marie-Thérèse qui règne à Vienne de 1740 à 1780. Levée par des élèves
officiers, cette carte avait une vocation exclusivement militaire, devant
servir à l’état-major autrichien à préparer de futures campagnes militaires et
la défense des territoires habsbourgeois.
Cette carte a été dessinée et
coloriée à la main, planche par planche et compte 275 planches de grande
taille, accompagnées de commentaires sur le territoire représenté. Malgré ses
imprécisions, cette carte fournit un grand nombre de renseignements sur la
réalité paysagère, urbanistique, politique et économique de nos contrées à la
fin du 18e siècle. Le relief, le réseau hydrographique, l’affectation du sol,
l’organisation des villages, les frontières politiques, les infrastructures
économiques (moulins, canaux), les bâtiments importants (châteaux, abbayes,
églises, chapelles), sont représentés sur cette carte.
Bien évidemment les voies de
communication son également soigneusement représentées étant donné la vocation
militaire du document. Chaussées, chemins et sentiers portent même des noms, la
toponymie – bien que parfois erronée et imprécise – étant aussi l’un des
nombreux intérêts de la Carte de Ferraris. Avant même la réalisation de l’Atlas
des Chemins vicinaux de 1841, la Carte de Ferraris constitue le premier jalon de
notre connaissance des anciennes voies de communications sur l’ensemble de la
Wallonie, réseau que vient ensuite modifier l’avènement du chemin de fer à
partir de 1845, la Révolution Industrielle et le développement de notre
société, de notre économie et des modes de communications modernes. Un
patrimoine cartographique de première importance donc, soigneusement conservé à
l’Institut Géographique National de Belgique.
Ces cartes sont accompagnées de
commentaires, les « Mémoires historiques, chronologiques et
œconomiques ».
Dans l’ »Eclaircissement sur
la carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens » on lit :
« Il y a sur chacune de ces feuilles (275 cartes couvrant la
Belgique) un mémoire historique,
chronologique, œconomique et politique contenant une description du lieu
principal où entrent les événements les plus remarquables ; les objets
faisant monument et époque dans l’histoire, une dissertation sur la situation
locale, la nature du sol, son produit en différents genres ou espèces et
l’amélioration dont ce sol est susceptible ; sur le commerce du pays, un
dénombrement des moulins, des usines, des carrières, des mines etc. ; le
nom des rivières et des ruisseaux avec leur cours ; le nombre des ponts et
des gués ; et enfin des observations militaires pour les campements et
cantonnements »[1].
Le professeur Arnould, en raison
de la parfaite uniformité de ces 275 mémoires a pensé à des informations
obtenues sur place d’après un modèle de base[2]. On
peut se demander si les auteurs des mémoires n’ont pas été aidés par les
fonctionnaires de l’Administration des Finances, qui avaient mis au point un
recensement économique[3].
La carte se rapportant à Binche
et sa région est cotée 65 et les commentaires font partie du volume VI des
Mémoires. Elle est levée à l’échelle 1/25.000. Le Crédit Communal de Belgique
en a réalisé des copies en réduction, soit 2,7 fois en longueur et 4,72 fois en
largeur.
La carte de Binche s’étend sur le
baillage du Rœulx et la prévôté de Binche.
Les villages concernés sont Bellecourt,
Boussoit, Bray, Buvrinnes, Carnières, Epinois, Estinnes-au-Mont,
Estinnes-au-val, Haine-Saint-Paul, Haine-Saint-Pierre, Havré, Houdeng, La
Hestre, Leval-Trahegnies, Maurage, Mont-Sainte-Aldegonde, Morlanwelz et le
domaine royal de Mariemont, Péronnes, Ressaix, Saint-Vaast, Strépy, Thieu,
Trivière, Vellereille-le-Sec, Villers-Saint-Ghislain, Waudrez, et la ville de
Binche.
La carte est destinée aux
militaires, on en donne donc différents éléments pouvant les aider en campagne,
nous les sauterons pour vous livrer les considérations réalisées sur divers
endroits de notre région:
« Mémoire concernant la feuille S8 de la carte de cabinet des Pays-Bas
autrichiens :
Cette feuille, dont l’endroit principal est Binch au comté de Hainaut,
représente une partie de cette province, sous les noms de prévôté de Binch, de
Mons et de baillage du Rœulx.
Les limites qui différencient ces districts, ainsi que celui des biens
domaniaux y sont exactement tracées et
colorées comme on en est convenu.
Elle joint par son côté oriental la feuille T7, et par son septentrion
la feuille U8.
Binch, est une petite mais très ancienne ville, dont l’enceinte étoit
autrefois flanquée de quatre vingt dix neuf tours desquelles il ne reste
aujourd’hui que ce qui a été épargné par les guerres des siècles précédents. Henri
II, roi de France la fit brûler en 1554. Dom Juan d’Autriche la prit sur les
rebelles en 1578, le duc d’Alençon la lui reprit d’assaut la même année au mois
de 7bre, et le Français y mirent tout à feu et à sang. En 1583, elle se rendit au prince de Parme. En
1667 à Louis XIV. En 1678, le 10 août, elle revint sous la puissance espagnole
au moyen du traité de Nimègue, et en 1748, le 18 8bre elle appartint à S.M.I.
par le traité d’Aix-la-Chapelle.
Le chapitre de Binch, qui était anciennement à Lobbes, fut transféré
dans cette ville en 1409 pendant les troubles du pays de Liège et Guillaume de
Bavière, comte de Hainaut l’y fixa pour toujours.
Son église collégiale dédiée à la Ste. Vierge, est sous la protection
de st.-Ursmer, que la ville choisit pour patron ; il est composé de douze
chanoines, d’un doyen et d’un prévôt qui est toujours l’abbé de Lobbes dont il
y a un représentant.
On voit encore à Binch un couvent d’hommes et 2 de femmes.
Le commerce principal de cette petite place est en couteaux, en
friperie et en pluts de dentelles dont elle fournit tout le Brabant.
Elle est à deux lieues de Mons et autant de Charleroi.
Morlanwelz, Haine-St.-Pierre et St.Paul, Estinnes et Haute Estinnes
sont des endroits qui n’ont rien de remarquable, et qui ne sont pas digne
d’attention que par différents camps qui s’y sont tenus.
….
Au nord-est de cette feuille, est le parc et château royale de Marimont
où S.A.R. Mgr. Le duc Charles de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas
autrichiens passe une partie de l’automne. Marie d’Autriche, aussi gouvernante
des Pays-Bas le fit bâtir dans l’emplacement que lui donna l’empereur Charles
V. Il fut ensuite brûlé par le roi de France Henri II, en même temps que la
ville de Binch en représailles de ce que Marie avait fait brûler son château de
Folembrai en Picardie, mais depuis il est magnifiquement rebâti, et l’on
travaille encore tous les jours à l’embellir.
L’abbaye de l’Olive qui joint le parc et se nommait anciennement
l’Hermitage fut fondée aux environ de l’an 1220 pour des religieux de l’Ordre
de Citaux par un saint hermite de Flandre, nommé Guillaume.
Le prieuré de Montaigu situé au sud de cette abbaye est de l’Ordre des
Prémontés et dépend de l’abbaye de Bonne-Espérance. Celui de Prix
(Prisches) entre Binch et le village
d’Espinoit est du même ordre et fut aussi érigé pour les religieux de la même
abbaye.
Au nord d’Espinoit il y a un ermitage nommé Ste-Apolline où l’on
enseigne des écoliers.
Le village de Péronne que l’on voit sur cette feuille vient d’être tout
récemment réduit en cendres, à l’exception d’une partie de l’église et de la
maison du curé.
Quoique ce territoire soit coupé çà et là de montagnes et couvert de
quelques petits bois on y encontre néanmoins deux plaines rases d’une grandeur
prodigieuse. Il semble que les belles collines qui en font la séparation aient
été formées à plaisir par la nature. Ses plus hautes éminences se trouvent au
nord de la ville de Binch et le long de la rivière de Haine. Elles ont 20, 30,
à 35 toises d’élévation et on ne peut y monter que par des chemins usités.
Toutes les autres dont il n’est pas fait mention ne surpassent pas 15 toises au
dessus du fonds qu’elles dominent, et peuvent se traverser fort aisément en
voiture. On voit d’après cela que ce pays peut passer pour un des plus ouverts
puisqu’on n’y rencontre pas beaucoup d’obstacles quant au passage. Il en est de
même pour les chemins creux qui ne sont enfoncés que de 6, 7, et 9 pieds . Eu égard aux
rivières et ruisseaux, ils ne sont pas assez considérables pour former de
grandes difficultés. On y compte 20 moulins à eau et 4 à vent pour la mouture
des grains.
On voit aussi une tourbe à l’angle sud-est de la feuille, deux forges,
ainsi que 13 houillères, elles sont pour la plupart dans les environs du
château de Marimont, un chaufour vers le midi du village de
Vellereille-le-Secq, et plusieurs carrières de pierres.
Il y a au nord du château de Marimont une fontaine d’eau minérale dont
quantité de personnes ont éprouvé des effets salutaires.
Il est constant qu’à l’inspection de cette feuille on pourra juger du
commerce dominant des Pays-Bas qu’elle représente ; ses belles campagnes
produisent du grain de toutes espèces en si grandes quantité que ses habitants
en font un débit considérable, dont le gain les fait vivre très à leur aise. Il
est rare sans doute qu’on rencontre des
cantons aussi propres à la production que celui-ci, d’autant qu’il n’y a pas un
pied de terrein qui ne soit exactement cultivé.
Les prairies y fournissent abondamment du bon foin et les trèfles qu’on
sème sur une partie des terres arables augmentent encore la provision de
fourrage au moyen duquel on y nourri beaucoup de chevaux et bêtes à cornes,
dont on retire aussi un produit consistant en beurre, fromage ; que le peu
de bois qu’on y coupe annuellement ne suffit cependant pas pour le chauffage,
mais on en est dédommagé par la houille du pays dont le surplus donne encore
lieu à un petit trafic.
Le sol qui y est sablonneux ne contribue pas moins à l’avantage qu’on a
d’y pouvoir fréquenter les chemins en quelque saison et puisse être à faciliter
aux laboureurs le transport de leurs engrais.
C’est dans cette partie du comté de Hainaut que la rivière de Haine qui
devient par la suite navigable a sa principale source. Elle provient de
plusieurs ruisseaux dont le plus considérable
est celui de Hage qui se joint à un autre au nord du village de Péronne,
où la Haine prend son nom. Celle-ci coule rapidement en s’élargissant toujours
à mesure qu’elle approche de sa sortie à l’ouest avec une largeur de 12 à 18 pieds . Ses bords sont
obliques et elle déborde aisément surtout en hiver. On la passe sur des ponts
de maçonnerie au village de Boussoit-sur-Haine à deux endroits, de
Ville-sur-Haine, et sur un de charpente au nord d’Havré et à gué au village de
Maurage.
Celui de Hage, qui entre au sud près le côté oriental de cette feuille
passe dans les villages de Carnières et Morlanwelz et vient se joindre ensuite
avec la Haine au dessous de Péronne n’est large que de 6 et 8 pieds , et profond de 2 à
3, son lit est pierreux, on le passe aussi en voiture sur 5 ponts de
maçonnerie, savoir en 3 endroits à Haine-St.-Paul, St.-Vaast et Trivière ;
sur un en charpente à celui de Morlanwelz et à gué par tous les autres chemins.
Le ruisseau qui coule avec rapidité à l’est de la ville de Binch, dont
il lave les murs et mêle ses eaux avec celles de la rivière de Haine et du
ruiseau de Hage n’est en principe qu’un filet d’eau qui augmente jusqu’à 8 pieds en largeur et 5 en
profondeur dont 3 d’eau. Ses bords sont obliques et son lit pierreux, il ne
peut contenir ses eaux en hiver et dans les tems pluvieux. Il se passe sur 10
ponts de maçonnerie, dont 1 vers Binch et 3 vers Péronne, et il est aussi
guéable de même que ceux qui précèdent à tous les autres chemins aboutissans à
ses deux rives…. »
[2] M.A.
Arnould, L’originalité du travail cartographique de
Ferraris dans les Pays-Bas autrichiens, dans Liber
Mémorialis Emile Cornez- Anciens Pays et assemblées d’Etat, t. LVI, 1972, pp.219, 225.
[3] Voir Ph. MOUREAUX Les préoccupations statistiques du Gouvernement des Pays-Bas
autrichiens, 1971.
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