vendredi 20 janvier 2017

Les "Marches" binchoises de l'ancien régime


LES "MARCHES" BINCHOISES DE L'ANCIEN REGIME
                                                                                                                                          Alain GRAUX

Les jeunes gens de Binche formaient sous l'ancien Régime, un corps spécial qu'on nommait « la jeunesse » et qui participait en formation armée aux solennités de la ville. Ces marcheurs protégeaient les reliques des corps saints lors des processions.
Bien qu'on trouve des traces de ces marches de la jeunesse dès 1576[1], la première mention d'une « marche » date du 14 juillet 1639[2], lorsque Charles Lucq offre « ...encoire son service toutes fois qu'il plaira à Messieurs pour marcher et conduire laditte jeunesse... »
Le compte de massarderie du 9 novembre 1659[3] renseigne que le capitaine de la jeunesse «...at esté payé comme d'ordinaire pour avoir marché avec laditte jeunesse le jour de la procession... ».
Au conseil du Magistrat du 17-6-1666, « ...la jeunesse de ceste ville de Binch a représentée qu'elle se trouve disposée à marcher à la dédicasse d'icelle ville pourveu l'aggréation et consentement de mes dis Sieurs du Magistrat.. »[4].
Lors de l’audience du 9-6-1713, pour le millénaire de Saint Ursmer, les jurés de la ville « ...ce représente que le jour de la dédicasse approche, on demande si on trouve bon de faire marcher la jeunesse ce jour là… »[5].
Le conseil approuva « ...résolus d'en  faire la solemnité la plus glorieuse qu'il se poura, auquel effet il a été conclu de faire marcher la jeunesse… »

Il apparaît au conseil du 26-7-1582, que cette marche est une marche militaire, les marcheurs sont armés de fusils:
« ...les jeunes gens ayant esté le thour de la procession avecq leurs armes requerent leur estre donné quelque gratieuseté pour eulx recréer. Ordonné leur faire délivrer par le massard X L.t. »[6].
Il est probable que cela dura ainsi jusqu' en 1743. Dans une lettre datée du  4 mai 1743 et envoyée de Fayt-lez-Seneffe où il résidait, le gouverneur de la ville interdisait à la jeunesse de participer à la procession avec des fusils.
La lettre est lue au Conseil du 6-5-1743 :
« Le Sr andré aiant receu une lettre de M. de Gongnies en date du 4 de ce mois dont la déclaration s'ensuit:
J'ai receu en son temps la vostre du 26 au suiet de la jeunesse à qui j'ay defendu de porter à l'avenir un fusil, en conséquence, je vous prie charger tous les autres gardes de l'observer de prez et en cas qu'ils les rencontrent avec sondit fusil, soit dans les mains ou dans d'autres de le calenger et d'en faire raport sur le champ »[7].
La poudre était livrée par la Ville, comme en convient le conseil du 26-6-1614 :
« ...et pour la dédicasse prochaine leur livrant de la poudre… »[8].
De même le conseil du 23-7-1700, accorde au sieur Bard 80 livres « ...comprins la poudre consommée, à prendre sur la massarderie… »[9].
Le conseil du 25-6-1713 accorde 100 livres de poudre en 1713[10].
Mais est-ce pour des fusils ou pour battre « les campes » comme on le fait encore dans nos campagnes à l'heure actuelle, comme nous le laisse entendre ce texte rédigé au conseil du 13-7-1606 : « …Les josnes compaignons s'estant représentez en esquipaige à la procession dernière requièrent les recognoistre de quelque courtoisie. Fiat pour la Xe du capitaine et ceulx de sa suyte lieutenant et officiers »[11].
Ou celui du conseil du 6-8-1608 :
"…Jean Doret capitaine de la compagnie de josnes hommes ayans estez en esquipaige à la procession dernière requiert recompense avecq son port- enseigne. A sabmedy prochain »[12].

Aucune représentation iconographique ne peut nous préciser la composition du costume, mais ce dernier comportait un chapeau, comme le conseil du 10-7-1614, le précise[13].
« ...Le tamboureur ayant accompaigné les josnes gens à thirer leur chapeau requiert le même. Fiat...XIIII s.                                                   
Le compte du massard de 1615-1616, confirme :
« …Pour ung chapeau avecq ung cordon et une plume qu'il at livret pour donner à la jeunesse le lendemain de la procession, payez...XXIIII L… »[14].

Les marcheurs étaient commandés par des officiers: un capitaine, un lieutenant, un alfer (porte drapeau), des sergents. Ils sont choisis par élection par le Magistrat comme l’atteste le conseil du 26-6-1614 :
« Conclud de choysir ung josne homme mariet de la ville pour conduire la compaignye d'aultres josnes hommes avecq quelcques honnestes compaignons des plus resseants de la ville aux choix desdis capitaines et josnes homes. Et pour la dedicasse prochaine leur livrant la pouldre seullement y appelé Mre Jean Mauret lequel l'at accepté. Depuis il s'en est excusé et en son lieu y estably Jean Doret fils Loys »[15].
Le conseil du 28-6-1618, désigne Jacques Dellemotte « … conclud d'accepter Jacques Dellemotte pour capitaine et conduire la jeunesse à la procession. Et pour enseigne Baulduin Bourgeois. »[16].
Ou encore le conseil du 25-6-1713, soit cent ans plus tard[17] :
« ..Messieurs du Magistrat ont choisis et éleus le sieur Maloux un de leur corps pour capitaine, le sieur Dupont pour lieutenant et le sieur André Lucq pour porte enseigne… »   
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         
Le compte du massard des années 1617-1618, précise que les officiers se présentent avec un chapeau empanaché, une écharpe et une épée qu'ils doivent rendre après leurs prestations:

«  Conclud aussy d'achepter ung chappeau avecq un ploma pour la jeunesse. Aussy faire avoir ung ploma pour le capitaine et le rapporter d'aultant qu'il sera appartenant à la ville... »

« A Jehan Lermiseau pour deux trousses de plume et ung cappeau qu'il at vendu et livré tant pour le capitaine de la jeunesse que comme pour l'alfer par ordce payez....XXXVIII L. »[18].

L’acte du conseil du 20 juillet 1628, stipule « Les capitaine et alfer de la jeunesse ont rapporté l'espieux, l'enseigne et la plume à eulx délivrées pour le jour de la procession. Après un remerciement accordé...XI L. »[19].

Le compte du massard de 1629-1630, explicite :

« Les sergeans de la jeunesse ont rapportez leurs éscharpes remerchians Messieurs de l'honneur qu'ilz leur ont faict requiérant quelque mercède. Accordé à l'ordinaire... »[20].

La Ville entretien l’épée comme le renseigne le compte du massard du 9-11-1630 :

« A Mre Lucq Ghosée reçoit 8£.10 s. pour redorer l'espieu du capitaine de la Jeunesse et racommoder le cheval d'osier »[21].

L’audience du Magistrat du 11-7-1624, précise les émoluments des officiers :

Le conseil alloue 40 livres au capitaine et à l'alfer, 12 livres aux sergents, ils reçoivent en outre le produit des amendes, comme les autorise sans doute un réglement des compagnies de la jeunesse.

« … Les quatres sergeans ayans adsisté à conduire la compaignie des josnes homes à la procession dernière, requièrent quelcque mercède. Fiat à chacun d'eulx...XXX s. »

 « accordé 12L. pour les trois sergeans ayans conduit la jeunesse à la procession »[22]

Lors du conseil du 12 mai1618 on cite « Jacques de le Motte, Bauldduin Bourgeois, capitaine et alfer tant pour eulx que estant en nombre de vingt-cincq ont requis récompense.   Ordonné ....XXX L. »[23].     

La réception de la femme du gouverneur de la ville, requiert les services de la Jeunesse (Conseil du 17-1-1619) :

« Le capitaine, l'alfer, et sergeant des jeunes gens requiert récompense pour leur labeurre à l'entrée Madamme de Nemours »[24].

« Jean de le Forghe, Jean Jonnet, capitaine et alfer de la procession dernière ont requis quelcque gratieuseté et récompense ensemble que les amendes des déffaillans fuissent à leur prouffict et qu'ils puissent à ce constraindre. Accordé XXX £. et pour le regard des amendes qu'il huissent à donner billet déclaratif des défaillans »   (conseil du 20-7-1623)[25].

D’après son compte de1622-1623, le massard est tenu de payer les tambours

La troupe était requise à participer aux différents cortèges par deux tambours:

« A Baulduin de Solre et Jean Denis pour par eulx avoir esté publier parmy laditte ville affin de signiffier aux jeusnes gens aller à la procession dudit Binch avecq armes...XXs. »[26].

La troupe était conduite au son du tambour et parfois de quelques musiciens comme le confirme le compte du massard en 1615-1616 :

« Aux juweurs de tambourin et fiphe pour avoir jowé avecq les compaignons à la procession de Binch, leur a esté payez XIs.

item à sept tamboureurs estrangers ayant conduict la jeunesse le jour de la procession. Payez....VII L. »[27].

Le compte du massard 1629-1630, renseigne le nombre de joueurs et les instruments dont on se sert :

« A Jean Denis tamboureur tant pour luy que pour unze aultres tambours ayans adsisté à ladite procession de Binch....XII L. »

A luy at esté payé tant pour luy que pour sept aultres tamboureurs comprins deux petitz pour avoir conduict la jeunesse allant thirer le chappeau

A Jean Planquem chiffloteur pour avoir joué de son chufflot durant ladite procession de Binch payez  XII s. »[28].

Le conseil du 25-6-1713, fixe  leur salaire et nourriture aux musiciens :

« ...et il sera soutenu par la ville les dépenses des hautbois et tambour et cent livres de poudre, Messieurs du chapitre ayant promis d'en fournir autant par le mot de dépense s'entend nouriture et sallair »[29].

En 1638-1639, le massard fait acheter à Mons un drapeau ou enseigne servant la tête du cortège:

« Audit compteur pour avoir esté à Mons pour achepter une enseigne pour la jeunesse. At esté payz pour 11 jours...XVI L. »

A luy pour la mesme enseigne luy at esté payé LII livres .XVI solz.

A Mre Luc Goze pour avoir peinct les armes de la ville sur lad. enseigne at esté payet...VIII L.. »[30].

En guise d'émoluments, la troupe recevait de la bière que l'on distribuait dans différents établissements de la ville (compte du massard de 1576-1577) :

« A Anthoine Gilbart pour II Xe de compaignons qu'il a heu à la procession de Binch à ung tonneau de cervoise pour chacun Xe de LXIIII s. chacun payez      VI L. VIII s.

A Jehan Narret dit Sancte pour IIII Xe de compaignons comprins le porte enseigne et capitaine à LXIIII s. pour chacune tonne de cervoise qui port           XII L. XVI s.

A Michel Desmoulins hoste du Lyon rouge pour II Xe de compaignons qu'il a heu à la procession pour une tonne de cervoise à chacun Xe de LXIIII s; chacun, leur at esté payez VI L. VIII s.

A Jacques le Ghayt hoste du Mouton pour une Xe de compaignons qu'il a heu à la procession de Binch pour une tonne de cervoise de LXIIII s... »[31].



CONCLUSION


Si on peut toujours participer de nos jours à la procession dédiée à Saint Ursmer, cette dernière fière d'un passé prestigieux, a néanmoins perdu après la tourmente de l'époque révolutionnaire, bien des éléments qui en firent jadis le charme. C'est à cette époque que disparurent les marches militaires. Notre temps laisse encore entrevoir se que furent les fastes déployés autrefois en regardant les marches de l'Entre Sambre et Meuse, dont les marches binchoises furent en quelque sorte les prototypes.

                                                                       .























[1] A.V.B. 00-01-00-14 Massarderie. Compte années 1576-1577.
[2] A.V.B. 00-00-01-16 Registre d'audiences années 1631-1642.
[3] A.V.B. 00-01-00-75 Massarderie. Compte année 1659-1660.
[4] A.V.B. 00-00-01-21 Registre d'audiences années 1663-1676.
[5] A.V.B. 00-00-01-26 Registre d'audiences années 1707-1716.
[6] A.V.B. 00-00-01-6  Registre d'audiences années 1580-1583.
[7] A.V.B. 00-00-01-34 Registre d'audiences années 1743-1749.
[8] A.V.B. 00-00-01-11 Registre d'audiences de...à...juin 1615.
[9] A.V.B. 00-00-01-25 Registre d'audiences années 1700-1707.
[10] A.V.B. 00-00-01-26 Registre d'audiences années 1707-1713.
[11] A.V.B.00-00-01-11 Registre d'audiences de...à…juin 1615.

[12] A.V.B. 00-00-01-11 Registre d'audiences de...à...juin 1615.
[13] A.V.B. 00-00-01-11 Registre d'audiences de…à...juin 1615.
[14] A.V.B. 00-01-00-48 Massarderie comptes années 1615-1616.
[15] A.V.B. 00-00-01-11 Registre d'audiences de...à...juin 1615.
[16] A.V.B. 00-00-01-13 Registre d'audiences années 1615-1620.
[17] A.V.B. 00-00-01-26 Registre d'audiences années 1707-1716.
[18] A.V.B. 00-01-00-50 Massarderie comptes années 1617-1618.
[19] A.V.B. 00-00-01-14 Registre d'audiences années 1620-1628.
[20] A.V.B.00-01-00-61 Massarderie comptes années 1629-1630.
[21] A.V.B.00-01-00-61 Massarderie comptes années 1629-1630.

[22] A.V.B. 00-00-01-13 Registre d'audiences années 1615-1620.
[23] A.V.B. 00-00-01-13 Registre d'audiences années 1615-1620.
[24] A.V.B. 00-00-01-13 Registre d'audiences années 1615-1620.
[25] A.V.B. 00-00-01-14 Registre d'audience années 1620-1628.
[26] A.V.B. 00-01-00-54 Massarderie comptes années 1622-1623.
[27] A.V.B. 00-01-00-48 Massarderie comptes années 1615-1616.
[28] A.V.B. 00-01-00-61 Massarderie comptes années 1629-1630.
[29] A.V.B. 00-00-01-26 Registre d'audiences années 1707-1716.

[30] A.V.B. 00-01-00-66 Massarderie comptes années 1638-1639.
[31] A.V.B. 00-01-00-14 Massarderie comptes années 1576-1577.

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